Par Antoni Domènech, Gustavo Buster, Daniel Raventós
Tout le monde le dit, et c’est bien vrai, même si c’est déjà devenu un lieu commun: ces élections du 20 décembre 2015 sont les plus importantes depuis la récupération des libertés publiques dans notre pays. Peut-être est-ce pour cela qu’ont aussi proliféré ces dernières semaines les formules et slogans dramatiques sur les affiches de campagne: «une seconde Transition», «la fin de la vieille politique», «le début d’une ère nouvelle». Et tout à l’avenant.
Le quotidien El Pais – qui durant des mois a publié, jour après jour, des colonnes alarmistes consacrées à calomnier grossièrement le «populisme totalitaire» de Podemos – a changé de registre d’une manière frappante. A bonne faim, pas de pain trop dur: la bile anti-Podemos la plus vilement démagogique des habituels plumitifs experts pour légitimer tout ce qu’il faut – et en particulier les infinies bontés de la constitution de 1978 – a cédé le pas de manière inopinée à un vain sirop d’auto-consolation: «Voilà qui a belle allure», une «deuxième transition» serait en route.
Ce n’est pas sans raison que l’écrivain Gregorio Morán protestait, il y a peu, dans les colonnes du quotidien La Vanguardia (de Barcelone):
« …les appels des “nouveaux”, que ce soit Ciudadanos ou Podemos, à une deuxième Transition me semblent ridicules. De où à où, transitons-nous? Une chose était de passer d’une dictature à une démocratie, une autre d’assainir un régime corrompu.»
La campagne électorale des élections sans doute les plus importantes depuis 1977 a été bien étrange. On pourrait dire que les programmes de tous les partis, «nouveaux» ou «vieux» ont été ce qui importait le moins. Non seulement à cause du rôle joué par tous les numéros de cirque auxquels se sont soumis les candidats dans les reality shows les plus variés. Et d’une manière non négligeable, de par le «sloganisme» (inévitable), de style publicitaire, qui semblait dominer le gros de ces pseudo-débats et autres bagarres de café du commerce qui ne pouvaient manquer de remémorer ce vieux sarcasme de El Roto:
Il suffit de rappeler un fait. Un seul fait, aussi imposant que négligé de manière surprenante par la myriade d’ «analystes» et «chroniqueurs» sur lesquels a pu compter la campagne électorale. La Commission européenne (CE), la Banque centrale européenne (BCE) et la «Troïka» ont été les grands absents du débat et, si l’on y regarde bien, des différents programmes. Et cela pas précisément parce que les «institutions» [terme utilisé en Grèce dès février 2015, car Troïka n’était plus acceptable dans la communication gouvernementale] auraient fait silence pour l’occasion ou se seraient faites discrètes.
Au contraire. la CE ne s’est pas privée, en pleine campagne électorale, de lancer des avertissements, et pas précisément sous la forme de signaux de fumée: sur la «nécessité» de donner un tour de vis supplémentaire à la «réforme du marché du travail», sur la «nécessité» de couper dans les dépenses publiques et de continuer à réduire le déficit public en 2016 de 11 milliards d’Euros, quel que soit le nouveau gouvernement, sur les «déséquilibres persistants» de l’économie espagnole, etc.
Faut-il rappeler que le début de la fin du soi-disant «régime de 197 » et de son pilier central – le bipartisme tournant [PSOE-PP] dynastique [sous l’inspection du Roi] – a commencé avec la violence exercée en mai 2010 par la BCE et la Commission européenne contre un gouvernement socialiste qui s’est couché immédiatement et a opéré un virage à 180° dans ses politiques sociales. Et cela, sans que lui passe même par la tête la nécessité de ratifier démocratiquement sa capitulation en convoquant des nouvelles élections? Ne serait-il pas non plus nécessaire de rappeler que le bipartisme dynastique, contraint par les institutions européennes, a imposé en solitaire [dans un accord PP-PSOE], en août 2011, une réforme constitutionnelle express – celle du fameux article 135 de la Constitution – qui plaçait le remboursement de la dette issue de la banque privée irresponsable au-dessus des plus élémentaires besoins de dépenses publiques et sociales.
Si personne ne s’est souvenu de l’Union européenne durant cette campagne, c’est cependant pour une raison assez facile à expliquer. Cela n’intéressait personne
• Cela n’intéressait pas Podemos, un parti nouveau qui a connu une ascension fulgurante – il y a une année toutes les enquêtes le donnaient vainqueur – dont les espérances de vote avaient souffert terriblement de la capitulation d’Alexis Tsipras, en juillet 2015, quand le gouvernement grec, était soumis à un obscène chantage de la part de la Commission européenne, de l’eurogroupe et de la BCE, précisément avec l’objectif, en rien secondaire, de donner une leçon à d’autres et de faire plonger les espérances de Podemos.
La direction de Podemos a géré très maladroitement cette situation lors des élections catalanes du 27 septembre dernier, et ce fut alors une des raisons de son échec piteux lors de ces élections. Ayant bien appris la leçon, ils ont intelligemment décidé de garder Tsipras dans le bahut des (mauvais) souvenirs au lieu d’aller bêtement l’embrasser à Athènes ou de se vanter de ses tweets de soutien lors des meetings de campagne.
• Cela n’intéressait pas le PSOE qui avait tout à perdre chaque fois que, dans un débat, on lui aurait rappelé tout à coup le rôle minable du PASOK – son parti frère en Grèce – dans le coup porté par les autorités européennes [et de la classe dominante grecque] contre le gouvernement de Syriza et, bien avant cela, dans le désastre de l’économie grecque [entre autres, le gouvernement de Giórgos Papandréou, octobre 2009-novembre 2011 qui a signé le premier mémorandum d’austérité en 2010].
Pour ne rien dire de la capitulation et de l’abandon de la souveraineté espagnole de la part de Zapatero [président d’avril 2004 à décembre 2011], en mai 2010, et de Pedro Pérez Rubalcaba [vice-président et porte-parole du gouvernement entre octobre 2010 et juillet 2011, de 2006 à 2001 ministre de l’Intérieur], en commandite lors de ce terrible mois d’août de 2011.
• Cela non plus n’intéressait pas le PP. Un PP pour qui l’UE ne constitue absolument pas un problème. Il a réussi – c’est là son argument de propagande – à éviter le «sauvetage» (le bail-out) effroyable auquel, selon celui qui est aujourd’hui l’économiste vedette de Ciudadanos (Luis Garicano), l’Espagne était acculée inexorablement en 2012, bien que ce fût en signant un mémorandum qui revint au même. Un PP qui, en 2013-2015 – et sans doute grâce à l’existence et à l’ascension menaçante de Syriza et de Podemos – sollicita et obtint que la Commission européenne desserre en partie l’étau pro-cyclique de l’austérité et de la consolidation budgétaire afin que ses perspectives électorales s’en trouvent améliorées.
• Les questions européennes n’intéressaient pas non plus un parti comme Ciudadanos (C’s) qui a un passé trouble d’alliance avec des forces de l’extrême-droite anti-européenne et qui, aujourd’hui, présente une vision de l’UE comme une espèce de DisneyWorld. C’s se vante, dans son prétendu «régénérationnisme» [1] d’aller plus loin que le PP «corrompu» et « corporatiste » dans l’application rigoureuse du Consensus de Bruxelles.
• De son côté, Izquierda Unida, comme si les restrictions budgétaires européennes ne comptaient pas et que la poche énorme de chômage (22% au total, 55% chez les jeunes) était une donnée sans importance, a fait campagne avec un programme économique prétentieux de «travail garanti publiquement», une espèce d’incantation glorieuse conçue (quoique jamais mise en pratique) pour une économie comme celle des Etats-Unis qui ont un niveau de chômage structurellement bas. La tentative timide d’application d’un tel programme dans l’Argentine souveraine, en matière de monnaie, des débuts du kirchnerisme se solda par un échec sans appel.
Soulignons le encore une fois. Aucun programme politique et politico-économique sérieux dans le Royaume d’Espagne n’est possible sans prêter l’attention due – c’est-à-dire une attention capitale – au désastre qu’est l’Union européenne (UE) aujourd’hui, particulièrement à la configuration politique qui a conduit, premièrement, à l’asphyxie, et deuxièmement au coup porté contre le gouvernement de Syriza.
Que notre lecteur fasse la comparaison avec les intéressantes réflexions que le terrible «moment européen» a suscitées dans les gauches portugaises qui, coalisées, ont permis de battre la droite de Pedro Passos Coehlo [ancien premier ministre, jusqu’en novembre 2015] et Paulo Portas [ex-premier ministre jusqu’en novembre 2015] et mettre à la place un gouvernement minoritaire du Parti socialiste [dirigé par Antonio Costa] dans notre république sœur, et vous aurez une idée approximative de l’anomalie espagnole.
Faute de programmes intellectuellement crédibles et réalistes, nous avons eu des émotions. Après tout, ce n’est pas peu de chose.
• Le PP a recherché fondamentalement le vote de la peur. La peur de la nouveauté (Ciudadanos et Podemos). La peur de retomber dans les «vieilles ornières» (PSOE). La peur, après tout, de «gaspiller» les «énormes sacrifices» réalisés, maintenant que, grâce au gouvernement «responsable» de Mariano Rajoy [décembre 2011-décembre 2015], nous commençons à voir la «lumière de la relance».
• Ciudadanos a recueilli – a cherché serait peut-être en dire trop – le vote de la nostalgie. La nostalgie de l’Espagne des années 1990 et des premières années du nouveau siècle, l’Espagne de la pseudo-prospérité de la bulle immobilière et du crédit facile, l’Espagne où quasiment personne ne semblait douter que la Transition avait été un grand succès et que la Monarchie juancarliste durerait au moins encore 1000 ans.
L’Espagne de «pizza et champagne» comme on disait dans l’Argentine menemiste [de Carlos Menen, président de 1989 à 1999], l’Espagne du paso doble et de la bastringue (et du jackpot) postmodernes, confondus naïvement avec le «régénérationnisme» de marché. Il suffit de voir le profil sociologique de ses candidats pour comprendre la chose tout de suite. [C’s est qualifié de parti de l’Ibex 35, le principal indice boursier de la place de Madrid].
• Podemos a recueilli, et a assurément recherché, le vote de la rage, de la colère. Il y aura un avant et un après la dernière minute, célébrée avec raison, de Pablo Iglesias lors du débat sur la Sixième chaîne quand il a appelé non pas au futur, mais à la mémoire de ce qui s’était passé. Il en a appelé à la juste indignation des travailleurs et travailleuses précarisés, des chômeurs et chômeuses, des jeunes exilé·e·s, des enseignant·e·s et médecins du service public harcelés, des escroqué·e·s des banques, des trompés … Il en a appelé – et en plus sans crispation, avec un grand sourire lui traversant le visage – à l’immense poche de rage latente dans le pays.
Il en a appelé à une gigantesque colère populaire accumulée qu’avaient failli gaspiller ses zigzags programmatiques, ses prétendues excursions vers le «centre de l’échiquier» politique, ses embrassades erratiques avec Alexis Tsipras, ses gaffes dans la campagne des élections catalanes du 27 septembre, et ses hésitations quant au droit à l’autodétermination des peuples d’Espagne. Cette minute télévisée méritait, déjà, presque une remontée des votes. Et l’entrée en campagne de Ada Colau (maire de Barcelone) et Mónica Oltra (vice-présidente du Conseil de la Généralité valencienne) fit le reste, assurément. Ces sensationnelles oratrices parlent le langage clair, différent, riche et juteux du «simple peuple» et savent en appeler comme personne à la colère populaire.
• Dans l’Europe d’après l’écrasement de Syriza il n’y a pas de place pour l’espérance, pour le moment immédiat. C’est pourquoi les élections espagnoles n’ont pas été celles de l’espoir. Elles ont été les élections de la peur, qu’a exploité surtout le PP. Les élections d’une nostalgie dont– peut-être sans le savoir – Ciudadanos à chercher à profiter. Que Ciudadanos, sans avoir fait un bon résultat, balayé comme il l’a été de la ceinture rouge de Barcelone par En Comú Podem, ait quand même mieux réussi en Catalogne – où il concourrait comme une force partiellement anti statu quo – que dans le reste du Royaume, est un indice que la nostalgie n’a pas un avenir prometteur. Ni celui d’un présent très heureux: la peur et la rage paient mieux.
• Le PSOE de Pedro Sánchez a cherché à jouer toutes les cartes émotionnelles: celle de la peur, superficiellement celle de la rage. Il a même joué celle de la nostalgie. En plus, il a joué avec la fidélité à un sigle historique. Il a de plus produit en campagne les fantoches de José Luis Zapatero et de Felipe González [président du gouvernement de décembre 1992 à mai 1996]. Il n’est pas étonnant que, sur le fon, le PSOE soit le grand perdant du 20 décembre.
• Les espoirs semblaient se concentrer sur la Catalogne indépendantiste. Mais les élections de dimanche ont prouvé aussi, de manière concluante, que ces espoirs – exaltés soit dit en passant par une idée plutôt naïve de l’Europe: ce n’est pas en vain que Ciudadanos et Convergencia de Catalunya se trouvent dans un même groupe [Parti populaire] au Parlement européen – étaient totalement infondés. Après mille et une méchancetés et attaques contre Podemos qui n’étaient que des auto-goals durant la campagne, dimanche soir, voyant les résultats, le ton a changé. Esquerra Republicana de Catalunya [gauche nationaliste] par la voix de Marta Rovira et Democrácia i Libertat [nouveau sigle choisi en lieu et place de Convergence et Union] par celle d’Artur Más, en personne, ont applaudi le succès extraordinaire de Xavi Domènech [tête de liste de En Comú Podem]. Ils se sont rassurés de nouveau en saluant l’immense «majorité populaire autodéterministe» de Catalogne.
• L’espoir reviendra si, et seulement si, nous réussissons à changer le rapport de forces en Europe. C’est alors, et seulement alors, que nous battrons en brèche également la peur et réduirons à rien la nostalgie. A chaque moment suffit sa peine. Maintenant, c’est le moment de la rage, et pas de l’espoir. Et les suffrages de la rage – à voir les résultats de dimanche – ont fait un bon travail. Ils n’ont pas mis la peur en déroute, mais l’ont freinée, ni battu vraiment la nostalgie, cette émotion stérile prisonnière d’un mauvais passé qui ne doit jamais revenir.
• Le résultat des élections de dimanche est une condamnation sans appel de la gestion néolibérale de la crise par le gouvernement Rajoy. Non seulement son parti tombe de 44,62% des voix à 28,7%, et de 186 à 123 sièges, mais il ne se trouve pas non plus en condition de reconstruire l’espace de la droite avec un Ciudadanos terriblement relégué en arrière et clairement affaibli dans ses prétentions de parti de rechange: 13,9% des voix et 40 sièges.
• La seule formule de gouvernement stable, capable d’additionner plus de 176 députés, serait une «grande» coalition PP-PSOE. Mais remarquez que cela supposerait d’accepter déjà la crise même du système d’alternance bipartiste. Cela placerait cette coalition sur le devant de la scène et déplacerait la crise elle-même du système politique de la Deuxième Restauration des Bourbons de 1975 à l’intérieur même du PSOE [2]. Le parti qui se vantait avec Felipe González et Zapatero d’être le parti qui ressemblait le plus à la réalité sociologique du Royaume d’Espagne pourrait aujourd’hui se convertir en miroir de sa crise.
Durant la dernière semaine de campagne, avec un président du gouvernement aux aguets d’un possible épuisement qui pouvait lui mettre du plomb dans les ailes pour une deuxième législature, son cercle le plus intime a fait savoir la disponibilité du PP pour un pacte avec le PSOE, à condition que ce dernier lui livre sur un plat d’argent la tête de son secrétaire général Pedro Sánchez. Le plus important du médiocre débat d’alternance bipartiste entre Rajoy et Sánchez sur la Première Chaîne fut la menace de Rajoy qu’il n’oublierait pas les insultes reçues en public. C’était la deuxième fois que Rajoy proférait cette menace contre Sánchez – il l’avait déjà fait devant les Cortes lors du dernier débat sur l’état de la nation – et le message est destiné à Susana Díaz [dirigeante du PSOE et présidente de la junte andalouse], à Felipe González et à Zapatero. C’est un appel à une opération de renversement interne au nom de la commune loyauté au système politique de la Deuxième Restauration.
De son côté, les premières déclarations de Cesar Luenga, secrétaire d’organisation du PSOE, ont été de réaffirmer l’alternance et non pas un gouvernement visant à sauver le régime de 1978. Les premières déclarations de Pedro Sánchez ont visé à suggérer la possibilité, après un échec de Rajoy à réunir une majorité parlementaire, qu’il soit appelé à constituer le gouvernement avec une formule de gauche à la portugaise [le Parti socialiste portugais est soutenu – depuis le parlement, sans participation au gouvernement – de manière conditionnelle, par le PCP et le Bloc de gauche sur la base d’un programme discuté avant la nomination de Costa]. Voilà une illusion de temps révolus et un démenti de la propre gestion de la crise par le PSOE à l’époque de Zapatero. Seulement, cette illusion coïncide avec les symboles de ralliement d’une partie substantielle des militants et électeurs du PSOE qui ne sont pas disposés à livrer à la droite plus de 150 ans d’histoire du parti. A la tête de ce refus et prenant appui sur les statuts présidentialistes du parti, Pedro Sánchez peut offrir plus de résistance que prévu à ceux qui veulent couler le PSOE pour sauver le régime.
• Le match nul stratégique entre électeurs de droite (PP + C’s) et de gauche (PSOE + Podemos + UP/IU) aux environs de 162 sièges ne pourrait être dénoué dans ce nouveau parlement que par les partis nationalistes basques et catalans. Mais de leur côté, ces derniers se sont embourbés dans un autre match nul stratégique territorial, tout en pâtissant du déplacement continuel de l’hégémonie, au sein des mouvements souverainistes, des secteurs indépendantistes vers les partisans de l’auto-détermination, qui sont les alliés de Podemos en Catalogne, au Pays Basque et en Galice. Un appui ponctuel à un possible gouvernement socialiste de la part de la gauche abertzale basque, devancée par Podemos dans ses bastions mêmes, et de Esquerra Republicana de Catalunya, qui a progressé moins qu’espéré, serait inacceptable pour les secteurs les plus conservateurs du PSOE qui considèrent – non sans raison – que l’autodétermination n’est pas compatible avec le régime de 1978.
• Ainsi donc, l’actuel match nul stratégique implique l’érosion à court terme des principaux mécanismes de stabilité politique de la Deuxième Restauration, à commencer par son pilier le plus important en termes de légitimité populaire, le PSOE. Podemos est candidat à tirer profit de cette crise, à mesure que va croissant la polarisation entre un PP qui représente la continuité et qui se retranche dans la peur et un Podemos paladin de la rage et du changement. Mais comme cette polarisation va traîner tant que durera la crise du PSOE et que de nouvelles élections ne sont pas convoquées, il ne faut pas sous-estimer les pressions que vont exercer les pouvoirs de fait (UE, grandes banques, secteurs militaires, la Maison royale elle-même, avec Felipe VI…) tout d’abord sur la direction du PSOE et, en parallèle, pour une intégration systémique et institutionnelle de Podemos (à l’exemple de Syriza).
Les manœuvres pour dénouer ce match nul ont déjà commencé [3]. Rajoy répète la formule qui veut que c’est le parti le plus voté qui doit gouverner, ce qui veut dire, en dernière instance et faute d’un gouvernement PP-PSOE, que le groupe socialiste s’abstiendrait lors de la session d’investiture du président au deuxième tour. Pour des raisons de survie à court terme, les seules qui lui restent, Pedro Sanchez est disposé à tenter également de constituer un gouvernement qui serait conditionné au parlement par un programme d’urgence comme celui du gouvernement Costa au Portugal, avec au-dessus de lui les épées de Damoclès de Podemos et du droit à l’autodétermination de ceux qui le soutiendraient «comme la corde le pendu». Inutile de dire quelle est la formule que préfère Angela Merckel: nous l’avons lue sur ses lèvres lors du récent Conseil européen [17-18 décembre].
• Loin d’une deuxième transition – qui serait une cooptation de la nouvelle gauche et son inclusion dans l’arc dynastique, en échange de concessions pour une réforme constitutionnelle qui serait accordée dans ce match nul stratégique –, le scénario qui se profile est celui d’une prolongation de la crise et de la polarisation politique. Elle pourrait s’aggraver avec l’annonce d’une nouvelle récession internationale et d’une discipline préventive plus dure du Consensus de Bruxelles. Face au «continuisme» d’une réforme constitutionnelle négociée, l’alternative, cela va sans dire, est l’ouverture d’un processus constituant. Mais il faut savoir qu’il exigerait un changement d’ensemble des rapports de forces en direction de la gauche, tant dans le Royaume d’Espagne que dans l’ensemble de l’Union européenne. Et, ainsi, que l’espoir vienne s’ajouter à la rage! (Article écrit le 20 décembre et publié dans la revue Sin Permiso. Traduction A l’Encontre)
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[1] On appelle régénérationnisme le mouvement intellectuel bourgeois, modernisateur et éclairé qui, après la défaite de l’Espagne contre les Etats-Unis en 1898, dénonça le régime de la Restauration de 1875 et les archaïsmes corrompus du royaume. (Réd. A l’Encontre)
[2] La première Restauration des Bourbons fut celle de 1875 après la Première République espagnole de 1873-1874. (Réd. A l’Encontre)
[3] Le 23 décembre, lors de la rencontre entre Rajoy et Sanchez, ce dernier a refusé la proposition de former une coalition avec le PP et Ciudadanos. Rajoy espère publiquement que le PSOE changera sa position. Sanchez déclare qu’il cherchera à former un «gouvernement de changement». Quant à Ciudadanos, il propose un pacte entre le PP, le PSOE et Ciudadanos. On danse en rond et l’instabilité politico-institutionnelle reste à l’ordre du jour. Iglesias, dans une de ses formules qui sonnent creux, propose que le président soit un «indépendant de prestige», et prend ses distances avec le PSOE. (Réd. A l’Encontre)
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