Etat espagnol: spéculer sur le logement et mettre des milliers de familles à la rue devrait être illégal

20121227_5026211wEntretien avec Esther Vivas sur la désobéissance civile, conduit par Mariló Hidalgo

D’abord, ce sont les places, puis les logements vides, les banques et même les supermarchés qui ont été occupés de façon massive. «La désobéissance civile est en train de devenir une pratique de plus en plus commune et elle commence à se réapproprier l’espace public», affirme Esther Vivas, militante et spécialiste des mouvements sociaux.

«Plus de pauvreté, plus de chômage, plus de faim, plus de tailles, plus d’expulsions, plus d’indignation, plus de mal-être et… plus de désobéissance comme réponse dans la rue. Face à ces lois et pratiques injustes, l’unique option qu’il reste est de désobéir». C’est avec ce ton tranchant que s’exprime Esther Vivas, une militante socialement très engagée, licenciée en journalisme et en sociologie, et auteure de différents livres sur les mouvements sociaux et l’agro-écologie.

Précise et incisive, elle reconnaît que pour changer les choses il faut de la patience: «Les temps ne sont pas toujours les mêmes, ils s’accélèrent ou se compriment et on ne sait pas quelle sera la goutte qui fera déborder le vase».

Croyez-vous qu’il y ait suffisamment d’éléments permettant l’émergence d’un véritable mouvement de désobéissance civile en Espagne?

Les pratiques de désobéissance civile se sont installées dans notre vie quotidienne. L’occupation de places par le Mouvement du 15 mai [15 M] était un acte de désobéissance civile massif, et, à partir de là, nous avons assisté à une série d’actions désobéissant aux lois et aux pratiques injustes. Exemples: la Plateforme des Personnes affectées par les Hypothèques (PAH) qui occupent des logements, des mouvements en relation avec les escroqueries les dirigeants à la tête les banques, le Syndicat Andalou des Travailleurs (SAT) qui pénètre dans un supermarché afin de prendre sans les payer des aliments de première nécessité qu’il distribue ensuite à des gens dans le besoin, etc. Ce qui est le plus important par rapport aux années précédentes, c’est que ces actes de désobéissance civile ont mis en contact de vastes secteurs de la société qui ne se mobilisent pas, mais qui se sentent représentés par ces actions et les soutiennent.

Vous dites qu’il s’agit de quelque chose de plus en plus quotidien, en revanche, l’on a à travers les médias la sensation qu’il s’agit de faits isolés.

La réalité est très différente. A tout ce que je viens de vous dire, nous pouvons ajouter ce qui se passe en Catalogne où certains grillent les péages de l’autoroute, refusent de payer l’augmentation des tarifs dans les transports publics et le paiement d’un euro pour chaque prescription médicale… Surgissent ainsi face à des politiques et lois injustes des actions comme celles-ci, qui sont certes illégales mais légitimes. En Espagne, où l’on expulse chaque jour 532 personnes alors qu’au même moment il y a entre trois et six millions d’appartements vides, occuper un logement et lui donner un usage social est considéré comme légitime par de larges secteurs de la société, même si l’acte en lui-même est illégal. On pourrait dire la même chose des actions du SAT qui ont eu lieu l’été passé dans les supermarchés. Ce qui devrait être illégal, c’est le fait que les supermarchés jettent chaque jour des tonnes de nourriture alors qu’un million de gens dans ce pays ont faim. Illégaux devrait également être l’escroquerie des dirigeants, la spéculation sur les logements et le fait de laisser des milliers de familles dans la rue. Donner de la nourriture à ceux qui en ont besoin ou exiger la justice par rapport aux pratiques des banques est tout à fait légitime, bien que cela implique parfois des actions illégales.

Esther Vivas
Esther Vivas

Quelle influence le mouvement du 15 mai a-t-il eu sur ce type de réponses citoyennes?

Il a été déterminant. Il a marqué un point d’inflexion. Il a permis de maintenir la confiance dans le «nous», dans le «si nous le voulons nous le pouvons» et a démasqué l’escroquerie que constitue la crise. Quand le mouvement a commencé à occuper des places, on disait: «Ce n’est pas une crise, c’est une escroquerie», ou: «Ce n’est pas une crise, c’est le capitalisme», ou encore: «Nous ne sommes pas des marchandises aux mains des politiciens et des banquiers». Ces slogans, qui ont mis en lumière les causes profondes et structurelles de la crise, sont maintenant repris par de larges secteurs de la société. Le discours du Mouvement du 15 mai et les pratiques de celui-ci ont mis en question les «vérités absolues» que le système défend en nous répétant: «Vous avez vécu au-dessus de vos moyens». Le système nous dit que nous sommes coupables et complices de cette crise, que nous devons donc en accepter les conséquences, mais tout cela est un mensonge. Le Mouvement du 15 mai a retourné ce discours en affirmant que c’était l’élite politique et économique de ce pays qui avait vécu et vivait encore au-dessus de ses moyens, et des slogans comme «Cela n’est pas une crise, c’est une escroquerie» sont aujourd’hui partagés par beaucoup de gens. Le vrai visage du système est apparu et on le voit maintenant tel qu’il est en réalité: usurier, avare, corrompu et escroc.

Que pensez-vous du projet de réforme du Code pénal visant à considérer comme un délit le fait d’appeler à des manifestations non autorisées à travers l’internet?

L’autre visage de la politique des ciseaux est la politique répressive et la criminalisation. Ainsi, lorsqu’ils ne parviennent plus à appliquer aussi facilement leurs mesures d’ajustement et que des mouvements sociaux surgissent dans la rue, alors ils imposent ces mesures par la force. On essaie d’abord par cette stratégie de stigmatiser le mouvement en le qualifiant d’antisystème ou de «musiciens ambulants», et quand on n’y parvient pas, alors on le criminalise. Dans ce sens, la Catalogue est le précurseur, lorsque, par exemple, le Ministre de l’intérieur Felip Puig a ouvert une page Web pour dénoncer des manifestants et qu’on a arrêté – ou qu’on leur a infligé des amendes exorbitantes – plus de cent personnes lors de la grève générale du 29 mars. L’on assiste en effet à une forte escalade de la répression.

Beaucoup de ceux qui manifestent dans la rue sont des personnes âgées. Ce mouvement affecte-t-il tout le monde?

La crise et les politiques d’ajustement touchent de manière dramatique la jeunesse. Le taux de chômage affecte en ce moment 50% des jeunes mais, à l’autre bout, il y a aussi d’autres personnes qui sont fortement frappées par la crise, à savoir les personnes âgées qui souffrent dans leur chair des coupes dans la santé et de la part à assumer dans les dépenses médicales. La crise est si profonde qu’elle frappe des secteurs sociaux toujours plus nombreux et, face à cela, les gens n’ont pas d’autre choix que de se mobiliser et de lutter pour leurs droits. Pour cela, malgré le fait que l’on ait essayé de stigmatiser le mouvement en le taxant par exemple de «perroflauta» [formule dénigrante renvoyant au terme de musiscien ambulant], l’opinion publique voit à la télévision le nombre et la diversité des gens qui protestent et elle ne croit plus aux mensonges avancés par le système.

Et que se passe-t-il avec cette «majorité silencieuse» dont parlait le président Mariano Rajoy?

Après que Mariano Rajoy a remercié cette «majorité silencieuse» restant à la maison et ne manifestant pas lors des actions du 25 septembre (25 S lorsque le Congrès a été encerclé, le quotidien El País a publié le résultat d’une enquête montrant que 70% de l’opinion publique était d’accord avec ladite protestation. C’est-à-dire que cette majorité silencieuse était davantage d’accord avec ceux qui protestaient et qui désobéissaient qu’avec ceux qui procédaient aux coupes.

La corruption est le quatrième problème qui préoccupe le plus les Espagnols, selon le dernier baromètre du Centre de recherches sociologiques [CIS]. Aux différentes manifestations qu’il y a dans la rue s’ajoutent maintenant celles des citoyens devant les sièges du PP [Parti Populaire]. Y a-t-il un renforcement du mouvement citoyen?

Il faut voir la réponse de la rue face à la corruption à court et à moyen terme. Aujourd’hui, la corruption n’est pas interprétée et perçue de la même manière qu’hier. La profondeur de la crise fait que la corruption est une goutte de plus qui s’ajoute à un vase déjà prêt à déborder. Quand les gens n’arrivent pas à finir le mois, qu’ils ne peuvent plus payer leur hypothèque, que l’on chasse de leur logement de plus en plus de familles… et que, d’un autre côté, il y en a qui s’enrichissent sur le dos de la majorité, alors cela génère beaucoup d’indignation. Parce qu’en plus, ce sont les mêmes qui ont donné des leçons d’austérité qui ont vécu et vivent encore dans l’opulence et le gaspillage. Face à cela, il y a une réponse sociale dans la rue, devant les sièges du Parti Populaire. Il faudra voir comment la situation évolue. Quand le Mouvement du 15 mai a émergé, il ne s’attendait pas à ce que les choses se passent comme cela. Les mouvements sont cycliques et celui-ci auquel nous assistons suppose le commencement d’une nouvelle période de mobilisation dans un contexte de crise profonde. Mais la réponse sociale indignée reste quelque chose d’imprévisible. Quand les ingrédients adéquats sont là, alors elle éclate.

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Publié dans la Revista Fusión (traduction A l’Encontre)

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