Etat espagnol. Ouvrons Podemos: pour une candidature constituante

Pablo Iglesias, lors de l’assemblée constitutive de Podemos, dite de Vistalegre
Pablo Iglesias, lors de l’assemblée constitutive de Podemos, dite de Vistalegre

Par Abriendo Podemos

Le 24 mai 2015 des élections se sont déroulées dans toutes les municipalités et dans 13 des 17 communautés autonomes de l’Etat espagnol. A cette occasion, s’est produite une importante modification du paysage politique en vigueur depuis 2011. Certes, les résultats de Podemos, pour importants qu’ils soient (entre 7 et plus de 20% selon les Communautés), ne préfigurent pas «l’accès» au pouvoir gouvernemental à la suite des élections générales de novembre 2015. Cela, contrairement aux souhaits de certains dirigeants qui ont façonné Podemos comme une «machine de guerre électorale» au détriment d’une implantation et d’un travail sur la durée.

L’accession, le 13 juin dernier, aux municipalités de grandes villes, comme Madrid, Barcelone et Saragosse, de coalitions représentant des mouvements sociaux divers, dans lesquelles Podemos a souvent joué un rôle, indique le chemin à suivre pour un certain nombre de militant·e·s: la création de «candidatures d’unité populaire» unissant divers mouvements sociaux. L’entrée d’activistes dans les institutions politiques en fixant des objectifs d’urgence sociale (arrêt des expulsions de logement, fourniture de l’eau et de l’électricité aux ménages qui ne peuvent le payer, arrêt de l’externalisation et de la destruction de certains services municipaux ainsi que refus de négocier avec des banques jouant un rôle dans les expulsions de logement) est un pari.

Pour l’heure, les attaques et les coups bas des partis de droite, comme le Parti populaire et Ciudadanos, tout comme les louvoiements du PSOE (sans le soutien duquel, souvent, ces municipalités de gauche n’auraient pu s’établir) ainsi que les «avertissements» des institutions financières indiquent les difficultés auxquelles ces formations devront s’affronter. Elles ne pourront y échapper en faisant appel à la simple «raison» et à la «modération». Sans compter les nouvelles exigences du FMI qui réclament une hausse de la TVA et une nouvelle flexibilisation des conditions de licenciement dans l’Etat espagnol.

La reprise de mouvements sociaux, l’évolution de la situation grecque et européenne sont autant de facteurs qui auront une influence sur ces expériences. Elles méritent donc une attention qui doit se fonder, prioritairement, sur l’écoute des discussions qui se mènent au sein de ces «mouvements», ce qui n’implique pas une adhésion à une orientation spécifique. Raison pour laquelle nous traduisons ce texte, publié le 11 juin. (Rédaction A L’Encontre)

*****

Un virus hante toute la société. Contre lui se coalisent les groupes financiers et leurs prolongements médiatiques, les partis qui bénéficient d’un régime politique en décomposition et jusqu’à la gauche qui se résigne à un rôle inoffensif de Jiminy Cricket [l’insecte bonne conscience de Pinocchio dans le film éponyme de Walt Disney]. Ce virus politise ce qui auparavant était dépolitisé. Il introduit dans les débats et les prises de décision sur les affaires publiques ceux qui s’en sentaient exclus auparavant. Il s’agit du virus du changement et il prend de nombreuses formes. Pour le champ institutionnel, et concrètement pour le gouvernement de l’Etat, sa variante la plus puissante se nomme Podemos. Après avoir obtenu une présence institutionnelle significative lors des élections autonomes du 24 mai 2015 [1], Podemos a évolué au point de se consolider une position de parti politique important.

Une question reste, cependant, en suspens en vue des prochaines élections générales [qui devraient se tenir en novembre]: celle de savoir si Podemos aspire uniquement à se transformer en un parti supplémentaire, qui contribue à être un remède à un régime en crise, ou si la formation profitera de la possibilité historique qui se présente pour contribuer à une transformation démocratique réelle.

Abriendo Podemos entend miser sur la conservation active de l’outil Podemos dans un contexte nouveau: celui d’un parti qui est déjà constitué en tant que tel et la participation dans le cycle électoral agité de l’année 2015. Concrètement, à la suite des élections autonomes et municipales, Podemos n’est plus le seul instrument de changement, bien que pour les prochaines élections générales rien ne soit possible sans Podemos.

L’irruption d’importantes forces à l’échelle municipale dans les principales villes du pays fait que Podemos se trouve à l’intersection d’un grand nombre d’entre elles, mais sans qu’elle puisse s’attribuer l’exclusivité. Il y a là les exemples de Barcelona en Comú [dont la candidate, Ada Colau, avec 25,21% des voix, est maire de la ville depuis le 13 juin], Ahora Madrid [dont la candidate, Manuela Carmena, avec 31,85% des voix, est maire depuis la même date], Zaragoza en Común [dont le candidat Pedro Santisteve Roche, avec 24,57% des voix, est maire], la Marea Atlántica [dont le candidat, Xulio Ferreiro, est maire de La Corogne avec 30,89% des voix] ou Las Palmas de Gran Canaria Puede [dont la liste a obtenu 16,13% des voix]. Au sein de ces expériences, les processus de coopération et d’élargissement ont heureusement prédominé face aux tentations hégémoniques de parti.

Abriendo Podemos est créé contre personne et ne s’oppose à aucune position politique existante. Son objectif est de maintenir vivant au sein de Podemos son plus grand actif: les gens ordinaires qui font de la politique. Pour cela, nous lancerons des débats et prendrons des initiatives tout en participant avec énergie à celles qui sont en cours. Nous sommes conscients de ce que la force et la nouveauté de Podemos ont toujours résidé dans son ouverture vers l’extérieur et dans son pluralisme interne.

Ce que nous savons entre nous tous personne ne le sait et, en politique, personne n’est meilleur s’il se trouve isolé. Il importe, par conséquent, de recourir aux capacités et aux initiatives de toutes les personnes intéressées, d’une façon ou d’une autre, au projet.

En ce qui concerne la participation, les cercles [créés par Podemos] peuvent récupérer leur rôle d’espaces de débat et de prise de décisions politiques grâce à une participation directe qui contrastent avec d’autres types de communication moins interactifs et collectifs. Les cercles, cependant, ne sont pas tout: d’autres formes de participation bien plus amples doivent également se développer, telles que des assemblées populaires, des consultations impliquant la participation des gens [consultas presenciales], la communication sur les réseaux sociaux, etc. Podemos doit être présent à la télévision et sur les réseaux sociaux, mais aussi dans les rues, y compris celles de villages et de quartiers oubliés par le modèle politico-économique en vigueur.

Au sein d’un système politique où la représentation s’est transformée en tampon, en chantage ou en chèque en blanc, Podemos ne doit pas uniquement aspirer à représenter, mais doit canaliser des initiatives et des volontés. Podemos est une fenêtre ouverte, un pont, un bélier.

Abriendo Podemos cherche à entretenir l’ouverture de la méthode Podemos à l’ensemble de la société, mais il s’agit également d’une exigence que la politique soit à la hauteur de l’époque et des réalités sociales. Il est pour cela indispensable d’ouvrir le présent et l’avenir à l’activité productrice et à la créativité institutionnelle de toutes les personnes, en nous libérant de la crainte autour de cinq grands thèmes:

1° Les revenus (face à la crainte du chômage)

Dans une société qui ne crée déjà plus suffisamment d’emplois, les droits sociaux et de citoyenneté ne peuvent dépendre d’une fiche de paie. Il est urgent de penser à nouveau le travail, au-delà de l’emploi, lequel ne devrait pas se fonder sur notre crainte de la misère et des inégalités de genre. Nous avons besoin de revenus indépendants du travail qui garantissent le maintien de la vie des personnes dans des conditions dignes ainsi que la participation démocratique. Une Rente universelle de base et universelle serait un instrument utile en ce sens, tout comme les sont les services publics comme formes de salaire indirect. [Nous reviendrons sur cette proposition d’allocation universelle.]

2° La dette (face à la culpabilité induite par la mafia financière)

La question de la dette est également centrale et doit être abordée sur plusieurs niveaux, des personnes et des familles surendettées aux diverses administrations publiques. Un audit citoyen de la dette financière à tous les niveaux est indispensable dans le cadre d’une restructuration générale des diverses formes de dette. Se libérer de la dette illégitime est une question de dignité et permet de mettre un terme à la culpabilisation des travailleurs et des citoyens comme personnes endettées. Sans oublier que toute dette financière doit s’inscrire dans le cadre plus large de la dette écologique.

3° L’enfermement dans un Etat (face à une caste qui décide à l’échelle internationale)

Nous savons que ces politiques ne peuvent se développer en dehors du milieu européen auquel nous appartenons, comme partie d’un marché, mais aussi en tant que parties aux biens communs européens et aux institutions européennes communes. En Grèce, la vague de changement qui doit balayer l’austérité et la dettocratie en Europe s’est déjà levée. Il est indispensable de maintenir l’appui au nouveau gouvernement grec et aux autres mouvements de résistance sociale au Sud comme au Nord de l’Europe. La sécurité économique nécessaire ainsi que la viabilité du nouveau modèle social compatible avec la démocratie dont nous avons besoin seront conquises au-delà des frontières de chaque Etat. En outre, Podemos a éveillé des espérances dans d’autres pays où l’absence d’une force de rupture démocratique a facilité la montée des discours xénophobes et réactionnaires.

4° Les libertés et la démocratie (face au gouvernement de l’oligarchie)

Le gouvernement de la caste est le propre d’un régime oligarchique corrompu, qui se constitue actuellement sur de multiples niveaux, du local aux institutions européennes en passant par les gouvernements des Etats. La rupture avec ce régime implique un processus de type constituant qui demandera du temps. Nous pouvons bâtir une démocratie, cela implique de reconnaître et de rendre effectif le droit de quiconque à participer librement et également, sans crainte, aux affaires publiques qui concernent toutes et tous. La démocratie est, en ce sens, un projet éthique de vie en commun qui n’est pas acquis mais qui exige de la pédagogie et un apprentissage collectif. Elle implique des changements profonds qui permettent de garantir les droits humains de toutes et tous, y compris des femmes et des personnes LGBT. Podemos comme parti et comme futur gouvernement doit avoir un rôle clé dans ce processus, bien qu’il ne soit pas exclusif, car il y a de multiples autres expressions sociales de prise en main et de coopération qu’il faudra favoriser. Mais, pour cela, son fonctionnement devra éviter la reproduction de pratiques des partis du mal gouvernement, fondé sur les excuses de l’urgence, de l’exception et d’une supposée méritocratie.

5° Notre milieu naturel (face à la destruction ou à la dégradation des écosystèmes)

Le modèle social et productif que nous promouvons devrait assurer la préservation des conditions qui favorisent la vie sur Terre, y compris celle de notre propre espèce. La dimension écologique ne peut se limiter à être une question accessoire, subordonnée aux priorités de type marchand.

Abriendo Podemos se configure par conséquent comme espace de débat politique et de dynamisation interne et externe de Podemos. Il s’agit également d’un milieu permanent de propositions dont l’interlocuteur est constitué de l’ensemble de l’organisation et de son écosystème, des adhérent·e·s aux cercles, en passant par ses organes de direction et le milieu social dans lequel évolue Podemos. Nous savons que l’ouverture de Podemos ne peut se faire depuis l’intérieur de l’organisation et qu’elle doit consister en un échange permanent de celui-ci avec les différents médias sociaux qui soutiennent le projet et sur lesquels celui-ci, à son tour, s’appuie.

L’objectif ne peut être autre que constituant, un horizon que nous avons esquissé ici autour de ces cinq grands axes. L’ouverture que nous exigeons aujourd’hui, dans la perspective des prochaines élections générales, doit avoir des conséquences dans la manière par laquelle Podemos se présentera à celles-ci. La réaffirmation de termes tels que ceux de confluence, unité, etc. ne donne qu’un aspect partiel de ce qui est en jeu et renvoie à des logiques partidocratiques. Mais, depuis le 15M [mai 2011], la logique qui doit prévaloir est celle de la démocratie. Il s’agit de convoquer les citoyens, et c’est à eux que nous devons répondre. Abriendo, Podemos. (Traduction A l’Encontre)

_____

[1] Le 24 mai 2015 toutes les municipalités de l’Etat espagnol ont été renouvelées, tout comme les législatifs de 13 des 17 communautés autonomes que compte l’Etat espagnol. Les résultats de Podemos ont été les suivants:

Estrémadure, 7,99% (3e force derrière le PSOE à 41,4% et le PP à 37,02%;

Castille La Manche, 9,73% (3e force derrière le PP à 37,51% et le PSOE à 36,11%);

Communauté autonome de Madrid, 18,59% (3e force derrière le PP à 33,1% et le PSOE à 25,44%);

Murcie, 13,15% (3e force derrière le PP à 37,39% et le PSOE à 23,96%);

Communauté valencienne, 11,23% (5e force derrière le PP à 26,25%, le PSOE à 20,3%, Compromís [coalition réunissant des écologistes et des nationalistes valenciens]; Ciudadanos à 12,31%);

Aragon, 20,51% (3e force derrière le PP à 27,5% et le PSOE à 21,41%);

Castille et Léon, 12,1% (3e force derrière le PP à 37,77% et le PSOE à 25,95%);

Navarre, 13,71% (4e force derrière UPN – parti conservateur, régionaliste – à 27,3%, Geroa Bai – coalition qui intègre le Parti nationaliste basque de Navarre – à 15,86%, EH Bildu – coalition de gauche nationaliste basque – 14,3%);

La Rioja, 11,22% (3e force derrière le PP à 38,49% et le PSOE à 26,7%);

Cantabrique, 8,83% (4e force derrière le PP à 32,61%, PRC – parti régionaliste de Cantabrique – à 30% et le PSOE à 14,01%);

Asturies, 19,02% (3e force derrière le PSOE à 26,45% et le PP à 21,58%);

Iles Canaries, 14,53% (4e force après le Parti nationaliste des Iles Canaries à 18,1%, le PSOE à 19,86% et le PP à 18,59%);

Iles Baléares, 14,69% (3e force derrière le PP à 28,5% et le PSOE à 18,9%). Source: El País. (Rédaction A l’Encontre)

_____

La liste des personnes soutenant ce texte peut être consultée sur le site: http://abriendopodemos.org/

 

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*