Etat espagnol. Madrid, 4 mai: l’accord substantiel entre l’«ayusismo» et Vox

Par Javier Cordón

Ces jours-ci, il est courant d’entendre, de divers côtés, que l’on exige d’Isabel Díaz Ayuso [présidente PP de la Communauté de Madrid depuis août 2019] qu’elle s’engage à ne pas gouverner avec Vox et se prononce en faveur de «la constitution d’un cordon sanitaire» pour isoler Vox. Le Parti populaire (PP) de Madrid, quant à lui, fait savoir que, de toute façon, il ne prendra pas de tels engagements, entre autres parce que, comme ils l’expliquent, ils considèrent que Vox est un parti constitutionnel et même avec plus de légitimité démocratique que Podemos [dont le candidat aux élections est Pablo Iglesias qui a quitté sa fonction de vice-président du gouvernement de Pedro Sanchez] ou Más Madrid [formation créée en novembre 2018 par la maire de Madrid Manuela Carmena, parti actuellement animé par Iñigo Errejón, ancien dirigeant de Podemos] et encore moins nuisible que le PSOE.

C’est logique: l’ayusismo et Vox, au-delà de leur séparation organisationnelle actuelle, sont des affluents qui se jettent dans la même rivière. C’est ce que José Maria Aznar, avec une intention trompeuse, appelle «la refondation du centre droit espagnol». En réalité, il s’agit de l’unité de la droite autour d’un vieux projet, réactionnaire et néfaste, qui conduit à accroître les inégalités et l’exploitation du travail, à déclarer la guerre au féminisme, à imposer une morale réactionnaire et oppressive sur des questions telles que l’avortement ou l’euthanasie, et à restreindre les libertés.

Plusieurs circonstances nationales et internationales, ainsi qu’une politique consciente ont permis au plan d’Aznar et de la FAES [Fondation pour l’analyse et les études sociales, liée au courant d’Aznar] de progresser, comme le prouve le fait que la constitution d’un gouvernement PP-Vox dans cette Communauté est déjà admise comme normale parmi un important secteur des électeurs du PP (78%). Les élections dans la Communauté de Madrid, le 4 mai, sont un moment clé: elles peuvent signifier un grand coup de pouce à ce projet réactionnaire et la contamination du reste du PP par l’ayusismo, ou un frein aux conséquences importantes.

Aznar, mentor du populisme d’extrême droite

L’unité de la droite autour d’un projet populiste et extrémiste a été explicitement évoquée par Aznar et la FAES dans les premiers jours de décembre 2018, après la majorité électorale obtenue en Andalousie entre les trois variantes de la droite [PP, Vox, Ciudadanos-Cs]. Depuis ces jours-là, ce plan a fait des pas de géant. La première étape s’est concrétisée avec le soi-disant trifachito [pacte entre trois formations] andalou qui, comme on le sait, consistait en un gouvernement PP-Cs avec le soutien extérieur de Vox. À partir de là, tout s’est accéléré: après les élections régionales et municipales de mai 2019, des gouvernements similaires ont été formés dans les communautés de Madrid, Murcie et Castille-León et dans d’innombrables municipalités, dont la ville de Madrid. Récemment, un ancien membre de Vox et anti-vaccin covid a fait partie du gouvernement de Murcie, rien de moins que comme ministre de l’Education. Bien que certains manquent, il est aujourd’hui clair que la photo de Colón [photo réunissant les trois composantes de la droite dans une manifestation unitaire], datant de février 2019, n’était pas une anecdote et que l’image d’extrême droite qu’elle projetait n’était pas qu’une illusion d’optique.

La formation de ce que l’on appelait le trifachito andalou faisait face à une difficulté majeure et disposait d’un point d’appui solide. La difficulté était de rendre Vox présentable; le point d’appui, l’érosion du PSOE andalou après 36 ans de gouvernement ininterrompu et étant entaché d’importantes affaires de corruption (le scandale des ERE – corruption liée à la gestion du système de «régulation de l’emploi»). La FAES s’est exprimée en ces termes dans un communiqué: «Les élections de dimanche [2 décembre 2018] ont agi comme un plébiscite inattendu et silencieux en faveur de l’alternance et du changement; un changement qui sera à la fois de gouvernement et de régime… Le message véhiculé par les Andalous dans les urnes est le changement comme dénominateur commun suffisant pour un accord nécessaire entre les trois forces politiques contre “l’extrémisme de gauche”.»  [El Diario, 7.12.2018]

A partir de ce moment, Cs et PP ont donné à Vox un certificat de bonne conduite, le transformant en un parti normal, malgré ses messages de haine. Avec cela, ils ont continué le processus de blanchiment qu’Aznar avait commencé des mois auparavant, en déclarant des choses telles que Santiago Abascal [chef de Vox] est «un garçon plein de qualités», ou en disant, en pleine campagne électorale andalouse, que «tous les votes» de cette formation (Vox) sont «de vieux votes» du PP et «ce n’est pas un parti qui défend la réforme de la Constitution».

La constitution de ces gouvernements de coalition (trio avec l’apparence d’un couple) a eu deux effets majeurs, surtout là où le PP gouvernait auparavant avec une majorité absolue. D’une part, elle a empêché la dislocation du bloc économique-politique-social sur lequel ce parti [PP] s’était appuyé pendant des années et qui s’était fissuré suite à la crise économique avec ses séquelles de chômage, de coupes budgétaires et d’austérité, ainsi que les innombrables cas de corruption et les grandes mobilisations qui se sont développées avec le 15M et les marées [mobilisations sociales dans la santé, dans l’éduction, etc.]. Ainsi, à la différence du Pays valencien, le PP est resté au pouvoir et, par ailleurs, les entreprises générées par les connexions politico-affairistes des années précédentes ont été sauvées.

D’autre part, ces gouvernements ont été dotés d’une orientation de plus en plus droitière, réactionnaire et autoritaire, aboutissant à la radicalisation de l’ensemble de l’électorat de ce bloc. Cette dérive se traduit par l’affaiblissement extrême qu’ont atteint les Ciudadanos. Ce parcours de radicalisation de la droite s’est appuyé sur un mécanisme politique, qui n’a pas cessé d’être appliqué, et sur l’exploitation d’une série de circonstances nationales et internationales.

Le mécanisme politique consistait en ce que par ces gouvernements tripartites et le conglomérat médiatique Vox était de plus en plus blanchi. Pire encore, ses discours de haine étaient repris. Vox a brisé le mur de la décence, tandis que Cs et, surtout, le PP, qui dépendait de leurs votes pour gouverner, et tous les médias qui leur sont liés, l’ont légitimé sous le prétexte de la liberté d’expression. Plus tard, ils ont eux-mêmes fini par reprendre ces discours de haine contre les immigrants, les femmes et les pauvres. Dans ces dérives, Isabel Díaz Ayuso a excellé avec les conseils non rémunérés de l’aznariste Miguel Ángel Rodríguez [ancien secrétaire d’Etat à la Communication de mai 1996 à juillet 1998 sous le gouvernement Aznar].

Sur le plan international, ils se sont appuyés sur le renforcement des courants d’extrême droite, exprimés dans les gouvernements de Trump, Bolsonaro, Salvini et Orban. Sur le plan national, ils ont utilisé la question de l’indépendance [de la Catalogne] et d’une supposée capitulation devant celle-ci de la part du gouvernement «socialo-communiste» qui, en plus de briser l’unité espagnole, allait ruiner l’Espagne avec des augmentations d’impôts. L’apparition de la pandémie leur a donné de nouvelles armes pour créer la confusion, profiter du malaise et des erreurs et incohérences du gouvernement central. L’absence pratique de mobilisations, quant à elle, a été le facteur fondamental pour faciliter le cours de la radicalisation droitière et réactionnaire de ce bloc.

Nationalisme madrilène et réductions d’impôts

La base fondamentale de ce processus de confluence est essentiellement constituée de trois aspects qui traduisent qu’il y a plus de facteurs qui les unissent que de choses qui les séparent, au-delà des différences de formes entre l’ayusismo et Vox.

En premier lieu, nous constatons l’existence d’un accord solide sur les politiques économiques au service des plus riches: réductions d’impôts pour les grandes entreprises, ceux qui gagnent le plus et ceux qui possèdent le plus; réductions des dépenses publiques; politiques de privatisation et de détérioration des services publics, ainsi que le maintien de la réforme du travail et de toutes les mesures qui facilitent l’exploitation du travail.

Deuxièmement, il y a la confluence croissante dans l’affrontement avec le féminisme, dans le contrôle religieux de l’éducation et dans la réduction des droits des LGTBI ou des droits sociaux tels que le droit à l’avortement et l’euthanasie.

Enfin, existe l’accord, au-delà de certaines divergences, sur la promotion de ces questions qui peuvent diviser la classe ouvrière et les secteurs populaires, comme le nationalisme et la xénophobie, ainsi que les prétendues guerres culturelles et l’augmentation des mesures répressives pour éviter la confluence d’une résistance unie et massive à leurs politiques.

Dans la campagne de Madrid pour les élections du mardi 4 mai, ce programme, logiquement, n’est pas exposé: une partie est déformée et une autre est cachée. De nos jours, où l’on nous dit que la lutte pour défendre la liberté (qui existe déjà à Madrid) contre le social-communisme (implanté dans le reste de l’Espagne et avec l’intention de l’importer à Madrid) se concentre sur le fait de pouvoir s’asseoir en terrasse (la liberté de consommer est associée à la libre entreprise, qui même en pleine pandémie n’est pas touchée) et de payer moins d’impôts. Parler des décès qui auraient pu être évités avec un système de santé publique sans restrictions budgétaires et un réseau de résidences publiques médicalisées; parler des douloureuses inégalités sociales qui continuent à se creuser, de la pauvreté qui augmente, parler des restrictions au droit à l’avortement ou à l’euthanasie, sont des sujets de mauvais goût et qui menacent la liberté!

La présidente Isabel Díaz Ayuso, alors que des milliers de Madrilènes étaient en train de mourir, s’est consacrée à faciliter les affaires aux entreprises privées de santé et autres, au lieu de renforcer la santé publique ou de mettre fin à la précarité de l’emploi, ou de donner de l’aide à ceux qui en avaient besoin. La preuve en est l’utilisation qu’elle a faite des 3346 millions d’euros que lui a donnés le gouvernement central: aucune amélioration structurelle de la santé publique et moins de soins primaires et du gaspillage en faveur du groupe pharmaceutique Zendal. Cette présidente, qui n’a pas non plus apporté de solution lors des chutes de neige de février 2021, ne sera pas celle qui nous aidera à sortir de la grave crise sociale qui avance; ni seule ni, encore moins, avec Vox. Les faits ne donnent aucune crédibilité à ses promesses.

Aujourd’hui, nous savons qu’une victoire du PP et de Vox à Madrid signifierait plus d’inégalités, plus de précarité, de moins bons services publics, plus de machisme, plus de corrida, plus de corruption, le renforcement du fondamentalisme catholique [article d’El Pais du 29.4.2021] et une détérioration des libertés démocratiques. Mais nous pouvons encore l’empêcher.

Javier Cordón, membre du syndicat Mats (secteur de la santé)

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Madrid: le 4 mai, il faut voter contre la droite

Par Daniel Raventos, Gustavo Buster et Carlos Girbau

«L’injustice est humaine, mais plus humaine est la lutte contre l’injustice» (Bertolt Brecht)

Il y a des élections qui prennent une grande importance. Le 4 mai est l’une d’entre elles. Il existe de puissantes raisons d’empêcher l’extrême droite et la droite extrême néolibérale de gouverner à Madrid. Si autre chose que cette pourriture gouvernait, cela rendrait possible un gouvernement dans la Communauté de Madrid qui, en dehors des nombreux autres défauts politiques qu’il peut sûrement avoir, pour la première fois en 26 ans ne fait pas du dogme néolibéral son catéchisme.

Nous avons l’occasion de mettre en place un gouvernement qui n’utilise pas l’administration publique comme un simple bureau de sous-traitance pour les grandes entreprises; qui ne considère pas le budget public, de près de 30 milliards d’euros, comme un butin à répartir entre les 5% de super riches. Il est possible qu’il y ait un gouvernement qui parie sur le secteur public comme moteur et colonne vertébrale d’une reprise économique, sociale et écologique, qui s’engage dans la santé publique et l’éducation.

Espérons que ce sera un gouvernement qui donnera aux soins primaires la place centrale qu’ils méritent dans le système de santé publique, qui embauchera des professionnels, qui abaissera le nombre d’élèves par classe dans les écoles publiques, qui protégera le droit au logement et empêchera les expulsions, qui élargira la protection sociale pour lutter contre l’appauvrissement endémique. Il existe même la possibilité d’un gouvernement qui considère que la démocratie est garantie et construite en pariant sur l’existence matérielle de toute la population et la liberté. Certes, il s’agit d’une simple possibilité.

Nous connaissons l’alternative, elle est pratiquée depuis plus de deux décennies à Madrid: un gouvernement de corruption «attrape-tout », un gouvernement espagnol ultramontain néolibéral et grand-nationaliste du PP dirigé par Isabel Díaz Ayuso main dans la main avec l’ultra-droite franquiste de Vox et le soutien de Ciudadanos déjà en déroute.

Le PP a convoqué les élections avec un plan: conditionner, en cette «année du vaccin», la sortie de la crise sanitaire, sociale, économique et écologique que nous vivons en approfondissant son modèle néolibéral, ségrégationniste, xénophobe et ennemi des pauvres. Soutenus par le pouvoir médiatique et économique, Díaz Ayuso et son parti n’ont pas hésité à parier sur l’abstention de la majorité populaire et ouvrière, à spéculer sur l’épuisement pandémique, à fuir tout débat qui mettrait le gouvernement de coalition du PP et de Ciudadanos et de leurs amis de Vox face à la réalité. C’est-à-dire face à cette réalité qui est telle que Madrid est la Communauté autonome avec plus de morts par habitant par Covid-19 du royaume, la région qui permet à plus de 2000 personnes de continuer à vivre sans électricité dans le bidonville de Cañada Real, qui détient les pires chiffres de l’inégalité, des files d’attente de la faim et des expulsions, des unités de soins intensifs saturées et les centres de santé en berne.

C’est Anatole France qui, à la fin du XIXe siècle, disait que «la loi, dans sa magnifique équanimité, interdit aux riches comme aux pauvres de dormir sous les ponts, de mendier dans les rues et de voler du pain». Le gouvernement de droite de Madrid a montré que la loi est faite pour ça. C’est la Communauté qui garantit par la loi à la majorité la «liberté» de vivre dans une situation précaire et avec des conditions d’existence matérielle de plus en plus attaquées, qui permet aux mille millionnaires de ne pas payer d’impôts. La loi qui ne donne même pas d’aide directe aux indépendants et aux hôteliers, alors qu’elle distribue 4,5 millions pour subventionner la torture animale des corridas ou les marchés publics sans concurrence à la famille d’Ayuso pour des sommes importantes. C’est la loi de la «magnifique équanimité» du droit. Et elle l’applique sans fissures.

Avec cet article, nous voulons apporter notre petite contribution à l’appel à remplir les urnes avec des bulletins de vote qui peuvent empêcher un gouvernement du PP, de Vox et de Ciudadanos. Un gouvernement qu’ils souhaitent maintenir après 26 ans de maltraitance sociale croissante. Il ne s’agit pas tant de ce qui peut arriver que du fait qu’un gouvernement comme l’actuel ne peut pas et doit pas être répété. Tout sera mieux que le PP, Vox et Ciudadanos.

Le vote du 4 mai est une bonne occasion de répondre aux lettres de menaces des ultras et à leurs balles – de Cetme, le fusil d’assaut officiel de l’armée espagnole – contre certains représentants politiques, dont un candidat de gauche à ces élections. La recomposition du tissu social de Madrid par le biais du travail partagé dans les rues et les entreprises par les collectifs de travailleurs, les syndicats, les organisations de quartier et d’entraide, les femmes et les écologistes, est la meilleure garantie pour faire face à ces menaces habituelles de l’extrême droite, mais le 4 mai, le vote peut y contribuer.

Tout le monde est conscient que le résultat des élections de Madrid aura un effet sur la politique de tout le royaume. C’est une raison de plus pour considérer qu’aucun vote ne doit aller à la droite ou à l’extrême droite du PP, de Vox et de Ciudadanos. Il ne s’agit pas d’offrir un soutien inconditionnel à qui que ce soit, mais d’arrêter une droite particulièrement malfaisante. Le 4 mai est l’occasion d’essayer de le faire.

Daniel Raventós et Gustavo Buster sont rédacteurs du site Sin Permiso

Carlos Girbau, collaborateur de Sin Permiso, est conseiller municipal à Ciempozuelos, commune de la Communauté autonome de Madrid

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