Etat espagnol. L’agonie du gouvernement de coalition. Et maintenant quoi?

Par Jaime Pastor

L’échec de l’investiture de Pedro Sánchez à la présidence du gouvernement [jeudi 25 juillet], avec seulement 124 voix pour, 155 contre et 67 abstentions, signifie sans aucun doute la frustration des espoirs qui, bien que limités, avaient été suscités après le 28 avril [élections législatives, lors desquelles le PSOE avait obtenu 28,68% des suffrages et 123 sièges et Unidas Podemos 14,31% et 42 sièges]. Non seulement parmi les électeurs de gauche, mais aussi parmi la majorité de ceux qui ont voté pour les forces souverainistes périphériques.

En outre, actuellement, le sentiment de soulagement provoqué par ce résultat au sein des forces de la droite espagnole saute aux yeux, ne serait-ce qu’en lisant les premières des quotidiens; comme celle du monarchiste conservateur ABC du 26 juillet: «No se puede». Alors que d’autres médias ne cachent pas leur satisfaction de voir comment le dirigeant du PSOE a déjà exclu l’option d’un gouvernement de coalition avec Unidas Podemos et a montré sa volonté «d’explorer de nouvelles voies». Evidemment, avec cela, on ne peut qu’interpréter ce que Sánchez va chercher en priorité dans les deux prochains mois: reconstruire les relations avec un PP (Parti Populaire) apparemment «recentré», une fois qu’aura été prouvée l’inefficacité (jusqu’à maintenant) des pressions sur le leader de Cs (Ciudadanos). Un leader (Albert Rivera) pris dans sa campagne histrionique du «Non au Plan Sánchez et à son gang». Pourtant, il ne semble pas que Sanchez va jeter l’éponge dans ses efforts pour renverser la vapeur à moyen terme avec l’aide de son ami commun Macron et des sondages.

Au contraire, la direction de Unidas Podemos semble s’accrocher à la proposition du gouvernement de coalition – bien qu’elle soit engagée dans une impasse – se limitant à une liste de reproches au PSOE – en général justifiés – pour son comportement tout au long des négociations… portant sur les responsabilités ministérielles. Bien qu’il existe l’espérance qu’un débat interne sera ouvert avec l’IU (Izquierda Unida) et des forces convergentes qui aideraient à offrir une alternative capable d’arrêter la démoralisation de son électorat et la démobilisation de sa base militante de plus en plus réduite.

Un résultat différent était-il possible dans ce processus? Certainement. Si Sánchez avait finalement accepté l’offre de dernière minute faite par Pablo Iglesias depuis la tribune de l’Assemblée [renoncer au ministère du Travail], apparemment recommandée par Rodríguez Zapatero, accompagnée d’une réduction supplémentaire de ses exigences. Cependant, si cela s’était produit et si l’investiture avait eu lieu, le paysage qui se serait présenté à UP, à partir de cet hypothétique gouvernement de coalition, n’aurait pas été de bon augure.

Car ce que nous avons pu constater, ces derniers jours, tout au long des négociations menées contre la montre, sont les concessions déjà nombreuses que la délégation de l’UP avait faites: la loyauté par rapport à ce que le gouvernement pourrait dire sur la question catalane et le jugement de la Cour suprême contre le procés [contre 12 indépendantistes catalans]; la renonciation aux ministères d’Etat (c’est-à-dire à ce qui fait partie du noyau dur de la politique et qui inclut, comme nous l’avons vu, les Finances et la Transition écologique); l’acceptation du veto fait à Pablo Iglesias d’être membre du gouvernement… Il faudrait y ajouter son renoncement définitif, face au veto de la CEOE (Confederación Española de Organizaciones Empresariales) concernant sa présence dans des ministères comme celui du Travail, sans oublier les coupes budgétaires de 6000 à 8000 millions d’euros demandées par la Commission européenne. Au vu de toutes ces limitations systémiques explicites (je ne pense pas qu’il soit nécessaire de mentionner les restrictions implicites, liées au fait de «ne pas toucher» à la monarchie ou à ces égouts publics dont on a tellement appris avec Podemos et qui ne sont pas étrangers à la grande banque, comme nous l’avons vu avec dans le scandale BBVA-Banco Bilbao Vizcaya Argentaria), il aurait été difficile de penser qu’UP aurait pu développer des politiques de gauche depuis le gouvernement. Avec son silence, UP aurait dû se faire complice de politiques de droite sur le terrain économico-social et répressives par rapport à la Catalogne.

Ce résultat final était-il prévisible? Tout indique que c’était le cas. Le dirigeant du PSOE s’est comporté comme il l’a fait (retardant le début des négociations et réduisant de plus en plus les attentes du dirigeant de l’UP), non par hasard ou par simple méfiance personnelle. En réalité, il savait bien que l’intégration de ce parti au gouvernement ne pouvait se faire qu’en concrétisant sa position subalterne, ce qui lui permettrait de surmonter les réticences des grandes puissances économiques et de l’UE, sans parler du régime lui-même, de plus en plus préoccupé par le scénario d’incertitude économique aggravé par le Brexit et la crise politique liée aux impacts du jugement, probablement sévère, contre le procés, jugement annoncé pour cet automne. Dans ce scénario, le rôle joué dans ces démarches par les dirigeants des CC OO (Commissions ouvrières) et de l’UGT (Unión General de Trabajadores) qui n’ont pas mis au centre le débat programmatique sur les politiques anti-austérité, n’a rien fait pour contrer ces pressions venues d’en haut.

C’est pourquoi Pedro Sánchez, dans son intervention initiale et dans ses réponses tout au long des négociations, a consacré plus de temps à faire appel au sens de l’Etat du PP et de Cs, afin qu’ils s’abstiennent lors de l’investiture. Il a ainsi montré son adaptation au cadre discursif de la tripartite de droite (PP, Cs et Vox), vaincue le 28 avril dernier (défense d’une démocratie militante qui cherche à exclure les populistes et les indépendantistes au nom de la défense commune de l’unité de l’Espagne), disqualifiant UP et se limitant à accepter le «bon ton» de ERC (Gauche républicaine de Catalogne) – «sans contrepartie», comme il n’a cessé de le rappeler – et du PNV (Parti nationaliste basque) pour sa volonté de ne pas bloquer l’investiture.

Dans son discours d’investiture le dirigeant du PSOE a d’ailleurs proclamé sa volonté de mettre en œuvre ni plus ni moins «la deuxième grande transformation du pays», rappelant les objectifs et les mesures déjà contenus, pour la plupart, dans le programme électoral, accompagnés de quelques perles (comme la référence qu’«en 1975 nous sommes sortis de la dictature», légitimant plus explicitement si possible le discours [22 novembre 1975] du «moteur du changement» de Juan Carlos I, qui prenait le relais du Franco). Sans mentionner les contradictions (justifier, par exemple, le fétichisme de la croissance économique tout en aspirant à répondre à l’urgence climatique) et des généralités telles que la volonté de réaliser un «projet de régénération nationale» (après ne pas avoir mentionné la Catalogne une seule fois), ou sa volonté de contribuer à la construction d’une Europe «capable de concurrencer les autres puissances mondiales» tout en promettant de renforcer encore les relations avec le régime marocain dans sa «nécropolitique» migratoire.

La seule nouveauté a été sa proposition d’entreprendre une réforme de l’article 99 de la Constitution – celui qui réglemente les procédures d’investiture – afin de garantir que ce qui s’est passé en 2016 et qui s’est produit à nouveau maintenant ne se reproduira pas: permettre à la liste la plus votée de former un gouvernement afin d’éviter le blocage parlementaire. Une démonstration claire de sa nostalgie pour les décennies de «tourisme bipartisan» [alternance PSOE/PP] qui, malgré la crise du Cs et de l’UP, ne reviendra guère, tandis que la représentation de la réalité plurinationale de l’Etat au parlement lui-même grandit.

Regarder au-delà de la conjoncture

Par conséquent, de l’expérience de ces jours, nous devrions conclure que la voie choisie par la direction de l’UP pour répondre à l’aspiration exprimée le 28 avril – qu’un gouvernement alternatif à celui de la tripartite réactionnaire soit formé – ne pouvait conduire qu’à l’échec étant donné la nature partisane du régime qui caractérise le PSOE et étant donné les rapports de force qui séparent les deux formations politiques. L’option portugaise, en revanche, est et continue d’être la plus cohérente de notre point de vue – comme semble le proposer maintenant IU: elle permet de contraindre la direction du PSOE d’accepter un engagement public sur des points d’accord minimum qui permettraient de voter pour l’investiture de Pedro Sánchez, tout en garantissant l’indépendance politique pour développer une opposition ferme depuis le parlement et par une mobilisation populaire afin de pouvoir se désengager, déborder et/ou affronter ce parti, le régime et l’austéritaire UE, quand il le faudra.

Nous avons encore le temps d’essayer cette voie et de le faire avec les organisations les plus représentatives des mouvements sociaux, ainsi que de participer activement à la préparation de nouvelles mobilisations, parmi lesquelles la grève mondiale pour le climat du 27 septembre prochain se distingue sans conteste.

De cette manière, il est nécessaire de regarder au-delà de la situation actuelle face à une crise de régime qui n’est pas encore terminée et face à laquelle nous devons nous efforcer de proposer un nouvel horizon de rupture dans «une nouvelle combinaison de radicalisme et de pensée stratégique» comme le propose Stathis Kouvelakis à partir de l’expérience des gilets jaunes. (Article publié sur le site de Viento Sur en date du 27 juillet 2019; traduction rédaction A l’Encontre)

Jaime Pastor est politologue et éditeur responsable de Viento Sur.

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