Espagne: l’enthousiasme du 15-M est toujours vivant

Madrid: Sol à 20h.30

Par Jaime Pastor

Le samedi 15 octobre 2011, à Madrid, cinq cortèges sont partis à des heures différentes de la Plaza Castilla (nord), de Templo de Debod (ouest), de Leganés Central (sud), de Alto del Arenal (sud-est) et de Parque Paraiso et Parque Santa Maria (nord-est). Avant d’arriver sur la place de Cibeles, là où devaient confluer les cinq manifestations, les routes menant à la place Del Sol étaient engorgées par les gens. La manifestation a été massive, au-delà de très nombreuses prédictions. Elle était très animée et pacifique. Le nombre de pancartes était infini et elles reflétaient une créativité politique. Beaucoup de manifestants ne purent atteindre les lieux de regroupement tant la foule était importante. A l’instar d’autres manifestations, elle s’est terminée au son de la 9e Symphonie de Beethoven.

Il en alla de même à Barcelone où la «marée humaine» a été plus massive que lors de la manifestation du 19 juin 2011. Comme à Madrid, la composition sociale allait de jeunes étudiants à des travailleurs, à des enseignants ou des employés du secteur de la santé. A Grenade, ce sont entre 10’000 et 15’000 personnes qui ont manifesté le 15 octobre. En tête du défilé, la banderole proclamait: «Contre la dictature du capital. Pour un changement de système».

Des comptes rendus similaires seraient valables pour les très nombreuses villes qui ont, le 15 octobre, connu une nouvelle affirmation de la force du mouvement du 15 mai (15-M). Nous publions ci-dessous un article de Jaime Pastor qui, dans ses conclusions, éclaire les défis qui se profilent. (Rédaction)

*****

«Comme c’est incroyable et quel plaisir!» Voilà un des messages que j’ai reçus hier soir [15 octobre] après avoir vécu et partagé avec des centaines de milliers de personnes une journée inoubliable. «Unis pour un changement global», nous sommes descendus dans la rue [à Madrid… et dans beaucoup d’autres villes d’Espagne] pour crier bien fort que ces élites politiques et financières qui «ne nous représentent pas» sont en train de dépouiller les peuples au moyen du chantage de «la crise». Mais comme nous l’avons aussi crié: «Ce n’est pas la crise, c’est le système»… capitaliste.

A nouveau, l’énorme allégresse, l’imagination et la créativité extraordinaires qui se sont manifestées en ce 15 octobre 2011 – en quelque sorte l’enthousiasme collectif que nous avons partagé durant la journée d’hier – ont dépassé les prévisions les plus optimistes. Le mouvement apparu il y a cinq mois à peine [15 mai] a démontré non seulement qu’il est très vivant, mais qu’il acquiert aujourd’hui une dimension internationale.

Quelqu’un peut-il encore douter que ce mouvement est là pour durer et que son indignation collective face à tout type d’injustice est capable de réussir à diffuser dans de nouveaux secteurs sociaux non seulement dans l’Etat espagnol mais aussi sur la planète entière? Souvenons-nous, cependant, que le début de ce cycle rebelle a pris forme au cours des révoltes de Tunisie et d’Egypte, avec le symbole de la place Tahrir du Caire (même si elles ont eu leur précédent dans les manifestations de novembre 2010 dans les camps des Sahraouis). Ensuite ce fut le 15-M espagnol qui a fait irruption dans les pays du Nord avec une telle force qu’il a pu s’étendre comme une référence internationale en peu de mois, jusqu’à atteindre le cœur du géant impérialiste et financier. Comme l’ont si bien exprimé ces slogans qui affirmaient par exemple: «Notre Moubarak mondial, ce sont les banquiers de Wall Street».

Ce nouveau mouvement fait face à de nombreux défis, mais sa conversion en un acteur politique international laisse augurer un avenir où l’espoir a sa place. Il prend la relève d’un autre mouvement qui n’avait pas réussi à prendre vraiment – celui des manifestations à dimension internationale contre la guerre en Irak du 15 février 2003 – face à une crise qui aujourd’hui aussi est aussi d’ordre mondial et systémique. En effet, la sortie de cette crise socio-économique et politique ne se dessine même pas dans les vues de ceux qui en sont les responsables. Par contre, aujourd’hui, commence à émerger la possibilité qu’à partir de ce mouvement international puisse se construire un possible autre monde. C’est pourquoi le slogan «Du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest, la lutte continue, coûte que coûte» est peut-être un des plus emblématiques d’une mobilisation dont nous savons tous qu’elle sera dure et difficile face à l’autisme des élites. Mais la mobilisation ne va pas faiblir pour autant.

En ce sens, même certains grands médias ont remarqué le symbolisme des manifestations en des lieux aussi emblématiques que New York et Bruxelles. Cela devra être accentué encore prochainement. Parce que le «grand refus» qui se construit se heurte dans ces capitales du monde aux principaux ennemis auxquels nous devrons nous affronter, tout particulièrement nous les peuples de cet «Occident» aujourd’hui chaque fois plus «provincialisé» et en déclin. C’est pourquoi nous ne pouvons pas négliger la centralité de notre lutte contre cette «dettocratie» [allusion au pouvoir des créanciers et à leurs plans d’austérité] qu’on nous impose, à certains d’ores et déjà de forme drastique, comme en Grèce, au Portugal ou en Irlande, et à d’autres, comme à nous en Espagne, avec cette réforme fin août de l’article 135 de la Constitution, imposée à la manière d’un coup d’Etat [article portant sur l’équilibre budgétaire, issu d’un accord entre le PSOE et le PP].

Dans notre cas, en outre, les élections du 20 novembre 2011 nous obligent à prendre en compte que si le mouvement du 15-M jouit d’une légitimité sociale énorme parmi de larges secteurs de la population, la victoire du PP [Parti Populaire de Mariano Rajoy] qui est à craindre va nous rappeler que d’autres couches de la population misent, elles, sur une force politique ultra-néolibérale et conservatrice comme «alternative» face à un PSOE qu’elles considèrent coresponsable de la crise et des coupes sociales dont elles souffrent.

C’est pourquoi le mouvement devra s’efforcer d’élargir des alliances avec d’autres organisations sociales et citoyennes et d’être très actif durant la campagne électorale, comme il l’avait fait durant les journées qui avaient précédé les élections régionales du 22 mai [élections gagnées par le PP].

L’objectif durant cette campagne devrait être non seulement de dénoncer les fortes convergences entre les deux grands partis [PSOE et PP] dans leur fidèle obéissance à la «dictature des marchés», mais de proposer un programme politique alternatif qui permette de délégitimer les mesures que le nouveau gouvernement voudra prendre.

Nous entrerions ainsi dans une nouvelle étape marquée par une dynamique d’affrontement probable, à moyen terme, qui sera impulsée par le choc entre, d’un côté, la légitimité du mouvement du 15-M et de ses alliés et, de l’autre côté, une légalité électorale qui pourrait être rapidement érodée par la servilité envers «les marchés» du nouveau parti gouvernant [du PP].

Dans ce contexte, nous ne devrons pas oublier que l’ascension également probable de la nouvelle formation électorale basque Amaiur doit obliger, tôt ou tard, le mouvement à assumer la nécessité de reconnaître la réalité plurinationale et pluriculturelle de l’Etat espagnol et à revendiquer le respect du droit du peuple basque à décider de son futur. C’est là une revendication qui rendra sans doute encore plus nécessaire, face à un régime en crise, l’ouverture d’un nouveau processus constituant qui dépasse l’«Immaculée Transition», puisque la Constitution de 1978 n’a été remise en question, récemment, que pour y inscrire le néolibéralisme [entre autres l’article 135]. (Traduction A l’Encontre)

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*