Par Katharina Körting
Plus on parle de la guerre contre l’Ukraine, plus on entend des mots comme «guerre nucléaire», «bombe atomique», «armes nucléaires», «troisième guerre mondiale» [1]. L’«utilisation d’armes nucléaires» – c’est déjà un euphémisme – conquiert insidieusement l’apparence de la normalité. Et presque tout le monde y participe. C’est ainsi que se développe peu à peu l’impression qu’une guerre nucléaire est «gérable». Des politiques poussent ainsi la Troisième Guerre mondiale dans les esprits – et la préparent comme une option acceptable.
Par exemple, l’homme du FDP [Parti libéral au gouvernement], Michael Theurer [vice-président du groupe parlementaire du FDP au Bundestag], interrogé sur les critiques adressées au chancelier Olaf Scholz en matière d’armes lourdes [2], a reconnu le 23 avril à la radio Deutschlandfunk que «le risque d’une escalade nucléaire» existait également. Une «escalade»? Cela sonne encore plus joli qu’«opération spéciale». Comme s’il s’agissait d’une explication entre colocataires à propos de la cuisine non nettoyée. Ou alors le FDP voulait-il faire référence à la formule «oser plus de progrès» [slogan de la coalition gouvernementale lors de son installation] par cette banalisation progressive qui se prétend claire? [L’auteure renvoie à l’analogie entre les termes escalade et progrès.] Alors qu’elle se donne l’apparence d’être raisonnable, une telle dialectique de la clarification entraîne la raison dans l’abîme: en avant toujours, en arrière jamais!
L’argumentation d’Anton Hofreiter [coprésident de la fraction d’Alliance 90/Les Verts au Bundestag] est, elle de même, passionnante. Avec un égocentrisme typiquement allemand, le Vert Olive s’exclame: si l’Allemagne ne livre pas immédiatement des armes lourdes, elle risque une «troisième guerre mondiale de facto». Remarque: il y a des guerres mondiales qui sont tout simplement des guerres mondiales; et il y a le renforcement de la politique de guerre réelle d’Anton Hofreiter, la «de facto troisième guerre mondiale», qui ne pourrait pas être évitée par un examen prudent et une retenue dans les livraisons d’armes lourdes, mais uniquement par toujours plus d’armes. Avec ses déclarations belliqueuses, ce de facto expert militaire augmente ses chances d’obtenir un poste de commissaire européen.
L’envie d’escalade grimpe
La prise de position publique [voir son entretien dans Der Tagesspiegel du 22 avril] de Marie-Agnes Strack-Zimmermann [présidente de la Commission de la Défense au Bundestag, membre du FPD] pour les livraisons d’armes semble tout aussi marquée par une névrose de positionnement: «Nous ne devons pas nous laisser influencer en permanence par des scénarios militaires», exige pour sa part, en toute sérénité, le faucon du FDP, après avoir peint sur le mur le scénario d’horreur militaire d’une Russie victorieuse. Traduction: «Vous, les mauviettes, devez enfin cesser de penser au risque d’une guerre nucléaire»! Face à une telle insouciance, blindée par la plus grande certitude possible, ce n’est qu’une question de temps avant que la Commission de la Défense ne se transforme en commission de la guerre, de facto.
Sur Internet aussi, la volonté d’escalade s’intensifie. On y met allègrement le feu aux formules. Le commandant en chef russe fera de toute façon exploser «une bombe atomique tactique», affirme l’un d’eux, «comme démonstration de force», quoi qu’il arrive auparavant. C’est écrit là, sur un fond de couleur – comme démonstration de force – en caractères gras. Et cela se répand comme ces mâles qui, dans le métro, écartent tous les plus réservés. Hé oui, «bombe atomique tactique», ça fait du bruit! Il faut être dur en ces temps de changement, il faut maîtriser les termes! Si tu veux avoir ton mot à dire, tu dois parler de guerre! Celui qui hésite ou s’inquiète est un ami de Poutine! La peur n’est qu’un sentiment.
C’est ainsi que des lampions nucléaires tactiques atomisent le discours et ridiculisent la réflexion sur la politique de sécurité, même dans le langage. Un embargo sur les armes est plus difficile à imposer dans les têtes que la livraison d’«armes lourdes», mais celui qui ne pense plus qu’en termes militaires, dans lesquels le «matériel humain» prolifère stratégiquement, se comporte en réalité de manière grossièrement irresponsable. Celui qui se délecte de bombes tactiques et diffame toute idée de compromis, de négociation et de dialogue, met le feu à la bombe atomique plus efficacement que l’autocrate le plus dérangé. (Article publié par l’hebdomadaire Der Freitag, le 24 avril 2022; traduction rédaction A l’Encontre)
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[1] L’auteure met l’accent sur un processus politico-discursif qu’elle qualifie ainsi: «Comment les armes nucléaires linguistiques ravagent le débat et préparent la guerre mondiale».
[2] Selon Der Tagesspiegel du 21 avril: «Le gouvernement allemand exclut actuellement toute livraison directe d’armes lourdes à l’Ukraine. Cela devrait fonctionner via la Slovénie, partenaire de l’OTAN. Le gouvernement allemand prépare un échange combiné pour la livraison d’armes lourdes à l’Ukraine. Selon des informations publiées jeudi 21 avril par l’agence de presse allemande (dpa), la Slovénie, partenaire oriental de l’OTAN, devrait céder à l’Ukraine un grand nombre de ses chars de combat T-72 et recevoir en échange de l’Allemagne le véhicule blindé de combat d’infanterie Marder et le char de combat à roues Fuchs. Le système d’armes T-72, qui date encore de l’époque soviétique, est déjà utilisé par l’armée ukrainienne et ne nécessite pas de formation supplémentaire importante. Selon des informations de l’agence dpa, émanant de cercles gouvernementaux, la Slovénie a également demandé en compensation du matériel plus moderne à l’Allemagne, dont le char de combat allemand Leopard 2, le char à roues Boxer ainsi que le véhicule blindé de combat d’infanterie Puma, qui sera introduit dans l’armée allemande pour remplacer le Marder, utilisé depuis 50 ans.» (Réd.) Voir à ce propos l’article publié sur ce site le 22 avril 2022.
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