Allemagne. «Ouverte de tous les côtés», la candidature des Verts

Par Stephan Hebel

Claus Kleber a posé une bonne question. Annalena Baerbock, candidate des Verts à la Chancellerie depuis quelques heures, était sur heute-journal de la chaîne ZDF. «C’est vous et non Monsieur Habeck» [Robert Habeck, coprésident avec Annalena Baerbock de l’Alliance 90-Les Verts], a fait remarquer le modérateur, puis il a voulu savoir: «Cela fait-il une différence dans l’affaire?»

Annalena Baerbock n’avait pas répondu à cette question, même à la fin de l’entretien de cinq minutes, bien que Claus Kleber ait courageusement insisté, après quelques platitudes émises par la candidate («une politique pour l’ensemble de la société»): «La question était: y a-t-il une différence en la matière?» Cela n’a pas aidé. Une fois de plus a suivi un hymne à l’harmonie interne au parti. Hymne au cours duquel est tombé toutes les 15 secondes le mot «ensemble». La candidate n’a donné qu’une seule indication valable: «la question de l’émancipation» [féminine] avait également joué un rôle dans la décision. En fait, il ne faut pas sous-estimer le message qui se dégage de la cérémonie bien orchestrée du couronnement d’Annalena Baerbock: là, au plus haut niveau politique, un homme a littéralement fait un pas en arrière pour laisser la place à une femme. Pour éviter aussi l’embarras d’avoir trois partis avec trois hommes en compétition pour la Chancellerie en 2021.

Mais autrement, la «K-Frage» [soit la désignation du candidat à la Chancellerie] des Verts a été une bataille entre égaux. On ne voit pas que la concurrence pour les postes de premier plan aurait été associée à des contenus, des accents ou des souhaits de coalition différents. Ce qui a été salué dans presque tous les médias comme «l’unité» des Verts peut aussi être décrit différemment: l’époque est révolue où les questions personnelles controversées étaient également liées à une lutte ayant trait au contenu politique du parti.

Il s’agissait exclusivement de personnes. Et cela vaut tout autant pour la CDU et la CSU, d’ailleurs. Bien sûr, l’enchaînement peu recommandable de ruses, de menaces et de chantage que Armin Laschet et Markus Söder ont offert jusqu’à la nomination du leader de la CDU est à des années-lumière de la tranquille prise de décision des Verts en termes d’embarras et d’immobilisme [voir à ce propos l’article publié sur ce site en date du 21 avril 2021 http://alencontre.org/europe/allemagne/allemagne-les-calculs-de-la-cdu-pour-garder-la-chancellerie.html]. Mais là aussi, on n’a pas entendu parler d’accents différents sur le fond. Dans le cas de la CDU/CSU, l’abandon presque total des thèmes et des thèses s’explique facilement. D’abord assurer le rôle de leader [et la mainmise sur la Chancellerie], c’est la devise de la CDU et de la CSU depuis des décennies. Il est donc logique qu’ils choisissent leur candidat avant que le travail sur le programme électoral n’ait réellement commencé.

Pour les Verts, en revanche, les décisions relatives au personnel étaient presque toujours liées à la lutte pour la domination de certaines positions de fond. Mais c’est terminé. Ils ont depuis longtemps présenté leur programme électoral, et les quelques conflits qui y étaient associés ont été résolus dans des formules de compromis faisant plus ou moins sens.

Pour les Verts de 2021, deux vertus comptent avant tout: «l’unité», autrefois considérée comme une valeur en soi uniquement chez les conservateurs, et la mise en écho avec «l’ensemble de la société». Le parti veut marquer des points dans la campagne électorale en présentant une offre unifiée en soi mais ouverte de tous côtés.

Le problème: «Si vous êtes ouvert de tous les côtés, vous ne pouvez pas être complètement étanche.» Contrairement à une idée répandue, cette phrase n’est pas de Kurt Tucholsky [1890-1935], comme le soulignent les connaisseurs intimes du grand satiriste, mais elle est d’une pertinence intemporelle.

Cela ne signifie pas nécessairement que le parti vert allemand souffre d’une psyché collectivement perturbée. Sa stratégie consistant à être tout aussi capable de rejoindre et de former des coalitions à droite qu’à gauche semble tout à fait rationnelle lorsqu’elle est mesurée à l’aune des résultats des sondages. Le remède à la peur allemande de la réforme, qui consiste à envelopper un programme modérément de gauche dans le coton d’un habitus inspirant la confiance, a manifestement un effet.

Ainsi, quiconque ne comprend rien d’autre par la sagesse politique que la capacité à fournir la «performance» la plus populaire ne peut que louer et exalter ce parti vert. Et après la décision en faveur d’Annalena Baerbock comme candidate à la Chancellerie, c’est précisément ce qui s’est passé jusque dans le secteur conservateur du paysage médiatique. Alors pourquoi «pas sous tous les aspects»?

Surtout parce que cette stratégie risque de mener tout droit à la coalition qui correspond le moins au programme des Verts: Noir-Vert [CDU/CSU-Verts]. Il se pourrait bien que l’on puisse obtenir davantage pour le climat et l’environnement qu’avec l’actuelle coalition rouge et noire [CDU-SPD]. Mais le nouveau parti populaire vert pourrait clairement atteindre les objectifs les plus proches des siens propres avec le SPD et la gauche.

Or actuellement, les sondages ne sont pas en faveur d’une coalition vert-rose-rouge. Mais cela ne pourrait-il pas avoir un rapport avec la stratégie que les Verts veulent maintenant utiliser dans la campagne électorale? Cette stratégie repose sur le fait que la lutte pour des majorités sociales puis politiques en faveur d’un tournant écologico-social n’est pas menée de manière offensive – dans l’espoir d’obtenir le soutien du mystérieux «centre».

Le prix à payer pour ne pas avoir poursuivi de manière cohérente l’objectif d’une alliance plus à gauche pendant des années pourrait donc être le partenariat junior «sans alternative» des Verts sous un chancelier Armin Laschet. La «grande majorité de la société» pourrait même aimer ça, vu l’humeur. Mais le revirement éco-social serait une fois de plus repoussé. (Article publié sur le site de l’hebdomadaire Der Freitag, avril 2021; traduction rédaction A l’Encontre)

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