Par Mustapha Benfodil
Pour le deuxième vendredi ramadanesque consécutif, les Algériens sont sortis par milliers hier dans plusieurs villes du pays pour exprimer, une nouvelle fois, leur profond désir d’un changement de système et aussi pour dire leur solidarité avec les détenus du hirak.
A Alger-centre, les manifestations se sont ébranlées un peu plus tôt que d’habitude, vers 13h20, depuis la rue Victor Hugo dès la fin de la prière d’el djoumouâa, avant de déferler sur la rue Didouche Mourad pour ensuite battre le pavé en direction de la Grande Poste. Les conditions météo étaient idéales avec une superbe éclaircie après les averses qui se sont abattues sur la capitale la nuit précédente.
Le défilé, comme toujours, a frayé au milieu d’un dispositif policier imposant. D’ailleurs, plusieurs interpellations nous ont été signalées avant le début de la marche hebdomadaire.
Comme à l’accoutumée, le hirak algérois a vu ses trois «bras» converger vers la Grande Poste. Et c’est toujours la vague populaire de «Casbah-Bab El Oued» qui continue à drainer le plus de monde, faisant déferler une véritable marée humaine.
Les carrés de manifestants qui défilaient sur la rue Didouche Mourad ont entonné des chants où l’on pouvait entendre: «Tayia El Djazaïr, dawla madania, tahia El Djazaïr, machi askaria» (Vive l’Algérie, Etat civil, non militaire), «Dajzaïr horra dimocratia» (Algérie libre et démocratique), ou encore ce slogan scandé à volonté: «Chouiya be chouiya, endjibou el houriya we’endirou raïs andou echarîya» (Petit à petit, on arrachera la liberté, et on mettra un Président qui jouit de la légitimité).
Aux détenus d’opinion, les marcheurs adressaient ce serment: «Ya el mouâtaqaline, maranache habssine» (Détenus, on ne s’arrêtera pas). L’on s’écriait également en répétant: «Les généraux ya el khawana, atalgou ouledna issoumou maâna» (Généraux traîtres, laissez nos enfants jeûner avec nous).
Sur les pancartes hissées par les hirakistes, il y avait plusieurs messages au parfum de détermination. «Samidoune» (résistants) résume un marcheur. Un autre écrit: «Le hirak est notre force, la rue est notre terrain de lutte, la îssaba [la bande au pouvoir] est notre ennemi, le pacifisme est notre arme, et la libération de l’Algérie est notre objectif». Un troisième proclame: «Il n’y a ni séparatisme, ni terrorisme ni Rachad [mouvement islamiste]. Il y a un hirak populaire patriote pacifique pour libérer l’Algérie de la corruption et de la tyrannie.»
Dans la forêt de bannières flottant au vent, on pouvait noter surtout un grand nombre de messages de solidarité avec les prisonniers politiques. Un jeune manifestant parade avec un immense panneau avec ces mots: «La seule accusation pour laquelle ils sont en prison: constitution d’une faction d’hommes libres pour faire tomber un gang malfaisant et construire l’Algérie de nos preux martyrs.»
Un carré d’étudiants a pris le soin de concevoir des portraits à l’effigie de plusieurs parmi les 23 détenus qui observent une grève de la faim depuis maintenant 17 jours, et qui sont, pour nombre d’entre eux, dans un état critique. Chacune de ces affiches comportait la mention: «En grève de la faim depuis le 6 avril.» Une manifestante prévient à travers sa pancarte: «Vous voulez reproduire ce qui est arrivé à Kamel-Eddine Fekhar? Les prisonniers politiques sont en danger.» Une autre s’inquiète: «L’Algérie est une immense prison», griffonne-t-elle.
«Liberté de pensée, nous sommes tous Djabelkhir!»
Mohamed, 48 ans, commerçant de son état, est présent comme chaque vendredi avec une pancarte soigneusement préparée. Hier, il arborait une bannière bordée de poings menottés et ce message: «Libérez-les tous!» Au verso de sa bannière, un mot de solidarité avec notre confrère de Liberté Rabah Karèche en détention à Tamanrasset depuis lundi dernier. «I am in jail because I am a journalist» (Je suis en prison parce que je suis un journaliste), clame-t-il à travers sa bannière, avant d’ajouter: «Journalism is not a crime». Mohamed nous dira: «Il y a des gens qui sont en prison, et ça, c’est inacceptable. On est en train de régresser. On n’a pas l’impression que l’Algérie a évolué après le 22 février 2019, donc il faut dire stop à cette répression. Le peuple algérien ne le leur pardonnera pas. On leur demande de partir, et ils ne veulent pas dégager. Eh bien, ils subiront alors la foudre du peuple!»
Mohamed poursuit: «Quand on voit qu’il y a des jeunes injustement incarcérés, et qui sont en grève de la faim, c’est scandaleux.
Au final, rien n’a changé. Il faut rester debout. Il faut se mobiliser. Il faut que le peuple sorte et soutienne ce noyau dur du hirak». Et de marteler: «En fait, plus ils nous attaquent, plus ils nous confortent dans l’idée que nous avons raison. C’est la preuve que nous sommes sur le bon chemin.»
S’agissant des législatives, le manifestant chevronné fera remarquer : «Si les élections avaient réglé quelque chose, on ne serait pas dans la rue. On l’a bien vu avec les présidentielles. Elles n’ont rien réglé du tout. Tout ceci n’est qu’une mascarade. C’est du maquillage. Ils ne veulent pas répondre aux attentes du peuple, c’est clair.» Pour lui, ces revendications sont «une démocratie, un Etat de droit, une justice libre et une presse libre, une presse protégée, pouvant faire avancer les choses».
Un peu plus loin, un carré progressiste déploie une large banderole assortie de cette réflexion cinglante: «Plus de 44 articles dans la constitution consacrent et protègent les libertés. Même votre propre constitution, vous ne la respectez pas.» Une femme arbore cette sentence: «Changement radical du système. Ni militaire, ni théocratique, Algérie libre et démocratique». Sur d’autres pancartes du même carré, on pouvait lire: «Nous voulons une période de transition pour construire l’Algérie de demain, l’Algérie de la justice et des libertés», «Elections truquées: un milliard le siège au Parlement. Honte à vous!»; «20 Avril 1980 [mobilisation du Printemps berbère pour la reconnaissance de la langue amazig et de l’identité berbère], une conférence a été interdite et rien n’a changé depuis». Dans le lot, cette délicieuse formule brandie par un manifestant: «République algérienne, où est passée ‘démocratique et populaire’?»
On pouvait remarquer par ailleurs plusieurs messages de soutien à notre ami Saïd Djabelkhir [islamologue de renom condamné à 3 ans de prison le 22 avril 2021 pour «offense aux préceptes de l’islam»], condamné ce jeudi à 3 ans de prison. «Saïd Djabelkhir, laissez-le réfléchir», martelait un écriteau. Sur un autre, ces mots d’ordre: «Non à l’obscurantisme, non à la régression, non à l’inquisition. Liberté de conscience, de culte et d’expression».
A un moment, on pouvait entendre fuser ce slogan: «Houriate ettafkir, koullouna Djabelkhir !» (Liberté de pensée, nous sommes tous Djabelkhir). (Article publié sur le site El Watan, le 24 avril 2021)
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