Allemagne. «Le plus grand débrayage depuis des décennies»

Par Arnold Schölzel

Un certain sentiment renvoyant à l’ampleur des vagues de grèves en France ou en Grande-Bretagne s’est affirmé lundi 27 mars en République fédérale. Les bus et les trains sont restés en grande partie dans les dépôts pendant 24 heures, et les avions au sol [voir sur cette journée de grève les deux articles publiés sur ce site le 27 mars]. Environ 335 000 salarié·e·s ont répondu à l’appel commun du syndicat des services Ver.di et du syndicat des chemins de fer et des transports (EVG-Eisenbahn- und Verkehrsgewerkschaft) pour une grève d’avertissement (Warnstreik) nationale. Celle-ci a touché les transports publics locaux de proximité (ÖPNV-Öffentlicher Personennahverkehr) dans sept Länder, les aéroports, les zones de service de l’Autobahn GmbH, une partie des ports dépendant d’une commune, l’administration des eaux et de la navigation, ainsi que la Deutsche Bahn avec ses sociétés de bus et diverses autres entreprises ferroviaires. Le trafic ferroviaire à longue distance a été totalement paralysé. Le débrayage n’a toutefois pas entraîné de chaos dans les villes et sur les autoroutes – beaucoup s’y étaient apparemment préparés. Selon un sondage, 55% de la population soutient le mouvement social.

Le même jour a débuté à Potsdam le troisième cycle de négociations avec Ver.di, prévu jusqu’à mercredi 29 mars, pour les quelque 2,5 millions de membres de la fonction publique fédérale et communale. L’EVG, qui a mobilisé lundi environ 31 000 collègues (membres) sur 800 sites, négocie cette semaine pour la deuxième fois avec 50 sociétés de chemins de fer et de transport, et avec la Deutsche Bahn (DB) les 24 et 25 avril. Toutefois, l’EVG ne veut pas faire grève à Pâques. Ver.di demande des augmentations de salaire de 10,5%, mais au moins 500 euros de plus sur une durée de douze mois. Les employeurs ont proposé dernièrement une augmentation de salaire de 5% en deux étapes pour une durée de 27 mois, ainsi que deux versements de 1500 puis 1000 euros. Mais ils refusent de fixer un montant minimum. L’EVG exige 650 euros pour tous les échelons salariaux parmi les quelque 230 000 employés des chemins de fer et des bus, ou bien 12% d’augmentation de salaire. Le dirigeant de l’EVG, Martin Burkert [membre du SPD], a déclaré à l’agence dpa qu’il s’agissait «maintenant de faire en sorte que ce secteur ne soit pas laissé à l’écart de l’évolution générale des salaires». Selon les données de Ver.di, il manque 20% de personnel dans le transport aérien par rapport à 2019; dans les transports publics, 20% du total des emplois ont été supprimés dans la folie des coupes budgétaires.

Le chef de Ver.di, Frank Werneke [membre du SPD], a déclaré: «Tous, absolument tous les membres que nous avons mobilisés aujourd’hui participent à cette grève.» [Pour rappel, avant de déclencher une journée de grève, une consultation doit être engagée dans le syndicat, obtenir l’assentiment de quelque 75% des membres, ce qui assure la participation large des membres.] Il s’agit, dit-il, tout simplement d’«élever la pression de la marmite, car les salarié·e·s en ont assez de se faire servir chaque jour des paroles réconfortantes, alors que les conditions de travail se dégradent et que de nombreux postes restent vacants.» Ces derniers jours, Ver.di avait déjà enregistré la plus grande participation depuis des décennies avec 400 000 participants à des grèves d’avertissement. Selon Frank Werneke, la plus grande grève en République fédérale depuis 1992 a eu lieu lundi 27 mars. A l’époque, le syndicat ÖTV (Gewerkschaft Öffentliche Dienste, Transport und Verkehr) avait paralysé le service public pendant onze jours [1].

Lors d’un rassemblement à Potsdam, Martin Burkert a demandé à ceux qui critiquent la grève «s’il est encore justifié que les conseils d’administration gagnent 40, 50 fois ou, avec des bonus, 80, 100 fois plus que ce qui est gagné par les salarié·e·». Selon Martin Burkert, les patrons «aiment bien s’en sortir en invoquant la prétendue “spirale prix-salaires”. La «spirale des salaires et des primes» ne leur dit apparemment rien. Et pourtant, les gens s’enfuient en masse!» [le processus de «démission» de certains emplois touche aussi l’Allemagne]. L’association allemande des villes et des communes avait déjà condamné l’action du lundi 27 mars et avait déjà mis en garde le samedi dans le Rheinische Post: la grève d’avertissement est «assez proche d’une grève générale». Mais les syndicalistes se sont clairement mobilisés. (Article publié sur le site du quotidien jungeWelt, le 28 mars 2023; traduction rédaction A l’Encontre)

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[1] Der Spiegel du 7 août 2007 rappelait: «Nous sommes le 27 avril 1992 et le premier conflit social généralisé depuis 18 ans commence en République fédérale. Personne ne sait combien de temps – les positions des employés et des employeurs sont en effet à des kilomètres les unes des autres: l’ÖTV, le syndicat des employés (DAG), le syndicat des cheminots (GdED) et le syndicat des conducteurs de train (GdL) demandent 9,5% d’augmentation de salaire, les employeurs proposent 4,8%. Il s’agit de 20 à 30 marks de plus par mois en moyenne pour chaque employé·e. Le GdL et le GdED se battent également pour l’harmonisation des conditions tarifaires entre les employés de la Deutsche Reichsbahn de l’ex-RDA et ceux de la Deutsche Bundesbahn… [la réunification allemande fut effective le 3 octobre 1990].  Après 11 jours de grève, les travailleurs des chemins de fer obtiennent 5,4% d’augmentation et un allongement des congés payés.» (Réd. A l’Encontre)

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