La plateforme de vente en ligne Amazon réalise 70 % de son chiffre d’affaires pendant la période des fêtes de fin d’année, selon le syndicat allemand ver.di [voir ci-dessous l’article sur la grève en Allemagne chez Amazon]. Pour faire face à l’explosion de commandes passées en un clic à l’approche de Noël, la multinationale recrute des centaines d’intérimaires pour renforcer ses équipes.
L’année dernière, Jean-Baptiste Malet a fait partie des 1200 salariés embauchés pour travailler au sein de l’entrepôt de Montélimar en France. Ce journaliste révèle dans son livre, En Amazonie, infiltré dans le meilleur des mondes (Editions Fayard, mai 2013) les conditions de travail à la fois archaïques et ultramodernes en vigueur au sein des entrepôts d’Amazon, interdits d’accès aux journalistes.
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Pourquoi avoir choisi Noël pour votre infiltration dans un entrepôt d’Amazon?
Jean-Baptiste Malet : Tout simplement parce que j’avais de grandes chances d’être recruté. Amazon recourt massivement aux intérimaires pendant cette période, qui commence fin octobre et se termine fin décembre. A Montélimar, 1 200 intérimaires ont été recrutés pour Noël. Les travailleurs allemands [voir article ci-dessous] m’expliquaient cet été que certains entrepôts doublaient voire triplaient leurs effectifs [en fin d’année]. Je tiens à rappeler que je me suis infiltré parce que les employés ont refusé de me parler lorsque je les ai sollicités et qu’il est impossible de visiter les entrepôts en tant que journaliste.
A quel point la période de Noël est-elle importante pour Amazon?
Amazon réalise 70 % de son chiffre d’affaires à Noël. Début décembre débute ce que l’entreprise appelle la période de «rush». C’est assez impressionnant quand on se rend aux abords des entrepôts à ce moment-là, d’ailleurs. Des cars de travailleurs qui habitent à plusieurs dizaines de kilomètres sont spécialement affrétés, il y a un va-et-vient de camions poids lourds incessant.
Quel est l’objectif de votre livre?
Pour beaucoup, Amazon est quelque chose de très virtuel. Or, même avec l’économie numérique, le travail est toujours présent. Je voulais également montrer que les potentialités d’Internet ont bouleversé le monde du travail sur ce secteur. Amazon, c’est une révolution dans le monde industriel. Les entrepôts logistiques sont régis par une organisation du travail très précise qui n’est pas simplement celle du taylorisme ou du fordisme. Elle inclut toutes les potentialités d’Internet et fournit des outils de contrôle de productivité parfaitement inédits.
Les méthodes de travail que vous décrivez dans votre livre, très semblables à celles du travail à la chaîne dans les usines dites traditionnelles, sont-elles en contradiction avec l’image 2.0 d’Amazon?
Chacun à sa propre image d’Internet. Je ne veux pas tenir un discours moral, simplement rappeler des faits et décrire ce qui se passe dans une usine logistique. Les travailleurs chez Amazon, loin, très loin des progrès du XXIe siècle, ont des conditions de travail qui sont dignes du XIXe siècle. Que ce soit en ce qui concerne les conditions de travail des intérimaires, que ce soit dans les cadences qui sont imposées, dans les contrôles de productivité, dans les fouilles au corps qui sont réalisées chaque fois qu’un travailleur franchit les portiques. Les exemples foisonnent dans mon livre et tendent tous à montrer qu’Amazon, en ce qui concerne le respect des droits sociaux, est une entreprise qui n’est pas progressiste mais parfaitement réactionnaire.
Nous sommes loin du fameux slogan «Work hard, have fun, make history»…
Pour moi, ce n’est pas une contradiction. Car il faut garder en tête que Jeff Bezos (actuel PDG d’Amazon) est libertarien. J’étais d’ailleurs surpris de voir le nombre de portraits apologistes qu’on a pu faire de cet homme. Dans le slogan il y a «make history», mais il faut voir qui écrit l’histoire. On ne peut se contenter d’une apologie des puissants et des milliardaires sous prétexte qu’ils arrivent à rassembler des énergies. Il faut voir à quel coût et à quelle société ils nous préparent. Pour l’heure, Amazon, avant de représenter un progrès, c’est d’abord une formidable régression en ce qui concerne le devenir de notre humanité.
Comment Amazon gagne de l’argent?
La force d’Amazon, vis-à-vis du commerce de proximité, c’est d’avoir des coûts de stockage et de distribution beaucoup plus faibles. Un entrepôt logistique en zone périurbaine, c’est un loyer qui est beaucoup plus faible que celui d’un commerce de proximité. Après, il est incontestable que ce qui fait l’efficacité d’Amazon, c’est son infrastructure informatique, qui permet l’expédition de colis au plus vite une fois la commande passée car tout est fluidifié par le réseau. Cette infrastructure permet un contrôle total de tout ce qui se passe dans les entrepôts, y compris au niveau des travailleurs. Par ailleurs Amazon n’a pas besoin de machines complexes comme l’automobile : en réalité, Amazon ce sont de grands entrepôts avec des étagères métalliques, quelques ordinateurs et des bornes Wi-Fi. La machine la plus complexe étant l’être humain qui, grâce au levier informatique, peut générer des richesses incroyables. La multinationale réalise également des économies sur les pointeuses, placées non pas à l’entrée de l’entrepôt mais à trois minutes de marche, sur le recours outrancier à l’intérim et sur son évasion fiscale. Il faut savoir qu’Amazon doit 198 millions au fisc français.
Vous ne vous attendiez pas à tout ce que vous avez découvert?
Je m’attendais à un travail pénible, à la culture à l’américaine, mais pas à devoir subir des discours moralistes. Chaque jour on vous demande d’être meilleur que la veille. Il y a un aspect très idéologique au travail et on va applaudir ce qu’on appelle le « top performer », la résurgence de l’ouvrier Stakhanov en URSS, qui va au-delà de ce qu’on lui a demandé de faire. Les contre-pouvoirs sont complètement muselés. La plupart des syndicalistes ont la vie dure [la CGT a déposé plainte car ils étaient fouillés arbitrairement]. Et c’est assez surprenant de voir qu’une multinationale, dans le cadre de son travail, une fois qu’elle a nié tous les droits les plus élémentaires contenus dans le code du travail, ensuite s’ingénie à reproduire une forme de collectivisme. Je pense que cela est dû au fait qu’Amazon est un univers qui est coupé du monde.
Comment voyez-vous ces conditions de travail évoluer?
Je pense qu’il y a un véritable espoir en Allemagne où les syndicalistes ont réussi avec beaucoup d’intelligence à réinventer les outils du syndicalisme avec le simple argument du droit. Cela pourrait être un exemple pour d’autres entreprises en Europe. Je pense aussi qu’il y a une réponse politique à apporter, notamment au sujet de l’évasion fiscale. En dernier échelon, et ce n’est pas quelque chose de dérisoire, le consommateur lui-même peut se poser la question de savoir ce qu’il gagne en consommant sur Amazon et ce qu’il y perd. Je ne suis pas convaincu que la plupart des Français souhaitent voir le politique distribuer des subventions publiques pour l’implantation de tels entrepôts, d’autant qu’Amazon n’a pas besoin d’argent public aujourd’hui. D’ailleurs, lors de l’implantation du quatrième entrepôt dans le Nord-Pas-de-Calais, la région n’a pas donné d’aide publique.
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Amazon.de touché par la grève
Plusieurs centaines de salariés allemands du site de commerce en ligne Amazon étaient en grève lundi 16 décembre 2013, un mouvement devant être relayée par une manifestation devant le siège du groupe, à Seattle (Etats-Unis) le même jour.
Les sites de Bad Hersfeld et Leipsig, déjà touché par des grèves ponctuelles au printemps 2013, ont été rejoints pour la première fois par celui de Graben, en Bavière. Sur les 000 employés d’Amazon en Allemagne, environ 1 450 avaient cessé le travail sur ces trois lieux, «plusieurs centaines » d’autres devant rejoindre le mouvement dans la journée, a déclaré Thomas Gürlebeck, du syndicat des services ver.di, à l’initiative de la mobilisation.
Le syndicat réclame depuis plusieurs mois un alignement de la rémunération des salariés des centres logistiques sur les salaires en vigueur dans le secteur de la distribution, plus élevés. Les primes exceptionnelles de 400 à 600 euros accordées par Amazon pour le moment sont jugées insuffisantes par le syndicat.
Les grèves interviennent une semaine avant Noël, alors que la livraison des paquets bat son plein. «La météo nous inquiète plus [que les grèves]», a commenté à l’antenne d’une radio régionale Armin Cossmann, responsable du site de Leipzig. «La grande majorité de nos salariés en Allemagne n’ont pas participé à ces grèves», a insisté la porte-parole, selon laquelle «Amazon n’a pas vu d’impact sur ses expéditions aux clients».
Soutien syndical à Seattle
Lundi matin, les organisations syndicales américaines ont prévu une manifestation de solidarité devant le siège d’Amazon, à Seattle à 10 heures, heure locale (19 heures à Paris) «pour signifier à la société que ce combat ne fait que commencer», selon le syndicat WSLC (Washington State Labor Council – AFL-CIO)
L’Allemagne est le plus gros marché d’Amazon hors Etats-Unis. Mais un reportage télévisé en début d’année sur les conditions de travail dans les centres logistiques et le conflit salarial en cours y ont écorné l’image du groupe. (Publiés dans Le Monde, 17.12.2013)
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