Selon le premier passage en revue mondial des meilleures études pertinentes, les insectes du monde sont en train de dégringoler vers l’extinction, menaçant d’un «effondrement catastrophique les écosystèmes de la nature» [1]. Ce bilan a montré que plus de 40% des espèces d’insectes sont en déclin et un tiers est menacé. Le taux d’extinction est huit fois plus rapide que celui des mammifères, des oiseaux et des reptiles. Selon les meilleures données disponibles, la biomasse totale des insectes chute abruptement de 2,5% par année, ce qui suggère qu’ils pourraient disparaître dans cent ans.
La planète se trouve au début d’une sixième extinction massive d’êtres vivants de son histoire, avec des pertes énormes déjà constatées chez les grands animaux qui sont, eux, plus faciles à étudier [2]. Mais les insectes sont de loin les animaux les plus divers et abondants, leurs populations étant 17 fois plus abondantes que les humains. Les insectes sont «essentiels» pour le bon fonctionnement de tous les écosystèmes, les chercheurs insistent là-dessus, comme nourriture pour d’autres espèces, comme pollinisateurs et recycleurs de nutriments.
Des effondrements de populations d’insectes ont récemment été signalés en Allemagne et à Porto Rico, mais le bilan publié souligne fortement que la crise est mondiale. Pour un article scientifique soumis à l’habituel examen préliminaire par des pairs, les chercheurs formulent leurs conclusions dans des termes inhabituellement énergiques: «Les tendances confirment que le sixième événement d’extinction massive a un impact profond sur les formes de vie de notre planète.»
Si nous ne changeons pas nos manières de produire la nourriture, les insectes vont dégringoler vers l’extinction en quelques décennies seulement», écrivent-ils. «Les répercussions que cela aura pour les écosystèmes de notre planète sont catastrophiques pour ne pas dire plus.»
L’analyse, publiée dans le journal Biological Conservation, affirme que l’agriculture est le principal moteur de ces déclins, et particulièrement l’usage massif des pesticides. L’urbanisation et le changement climatique sont aussi des facteurs significatifs.
Francisco Sánchez-Bayo, de l’Université de Sydney, en Australie, qui a rédigé l’étude avec Kris Wyckhuys de l’Académie des sciences agricoles à Beijing, affirme: «Si la perte des espèces d’insectes ne peut pas être arrêtée, cela aura des conséquences catastrophiques pour les écosystèmes et pour la survie de l’humanité.»
Un taux de perte annuel de 2,5% sur les derniers 25-30 ans est «choquant», déclare Sánchez-Bayo au Guardian: «C’est très rapide. En dix ans, vous avez un quart en moins, en 50 ans il ne reste que la moitié et dans cent ans plus rien du tout.»
Un des plus grands impacts de la perte d’insectes frappe les nombreux oiseaux, reptiles, amphibiens et poissons qui mangent des insectes. «Si cette ressource de nourriture disparaît, tous ces animaux meurent de faim.» De tels effets en cascade ont déjà été observés à Porto Rico où une étude récente a révélé une chute de 98% des insectes du sol sur 35 ans.
L’analyse a sélectionné les 73 meilleures études qui évaluent le déclin des insectes. Les papillons et les papillons de nuit sont parmi les plus frappés. Par exemple, le nombre d’espèces de papillons largement répandues est tombé de 58% sur les terres cultivées en Angleterre entre 2000 et 2009. Le Royaume-Uni a souffert la plus forte disparition d’insectes jamais observée, mais c’est probablement parce que c’est un endroit plus intensément étudié que d’autres.
Les abeilles ont également été sérieusement touchées. Seulement la moitié des espèces de bourdons recensées dans l’Oklahoma aux Etats-Unis en 1949 sont encore présentes en 2013. Le nombre de colonies d’abeilles à miel aux Etats-Unis était de 6 millions en 1947, mais 3,5 millions ont été perdues depuis.
Il y a plus de 350’000 espèces de coléoptères et on pense que beaucoup d’entre elles ont décliné, particulièrement les scarabées bousiers. Mais il y a aussi de grandes lacunes dans nos connaissances. Nous savons très peu à propos de nombreuses mouches, fourmis, pucerons, punaises et grillons. Les experts affirment qu’il n’y a pas de raisons de penser qu’ils s’en sortent mieux que les espèces étudiées.
Un petit nombre d’espèces adaptables augmentent en effectifs mais pas assez pour compenser les pertes. «Il y a toujours quelques espèces qui prennent avantage du vide laissé par l’extinction d’autres espèces», affirme Sánchez-Bayo. Aux Etats-Unis, le bourdon commun oriental est en augmentation du fait de sa tolérance aux pesticides.
La plupart des études analysées ont été réalisées en Europe occidentale et aux Etats-Unis, plus quelques-unes qui vont de l’Australie à la Chine et du Brésil à l’Afrique du Sud, mais il y en a très peu ailleurs.
Pour Sánchez-Bayo, «la principale cause du déclin, c’est l’intensification de l’agriculture. Cela signifie l’élimination de tous les arbres et buissons qui normalement entourent les champs afin de constituer des champs nus et ouverts qui sont traités avec des engrais synthétiques et des pesticides chimiques.» Selon lui, le déclin des insectes semble avoir commencé à l’aube du XXe siècle, s’est accéléré durant les années 1950 et 1960 pour atteindre des «proportions alarmantes» ces deux dernières décennies.
Il pense que les nouvelles classes d’insecticides introduites durant les 20 dernières années, comprenant les néonicotinoïdes et le Fipronil, ont été particulièrement nocives car elles sont utilisées communément et persistent dans l’environnement: «Ils stérilisent le sol, tuant toutes les larves.» Cela a des effets même sur les réserves naturelles voisines ; 75% des pertes d’insectes enregistrées en Allemagne l’ont été dans des aires protégées.
Le monde doit changer sa manière de produire la nourriture, déclare Sánchez-Bayo en remarquant que les fermes organiques ont plus d’insectes et que l’usage occasionnel de pesticides par le passé n’a pas provoqué l’ampleur du déclin constaté dans les dernières décennies. Selon lui, c’est «l’agriculture intensive à échelle industrielle qui tue les écosystèmes».
Dans les tropiques, là où l’agriculture industrielle n’est souvent pas encore présente, on pense que c’est la hausse des températures due au changement climatique qui est un facteur significatif du déclin. Les espèces s’y étaient adaptées à des conditions très stables et ont peu de capacités de changement, ce qui a été constaté à Porto Rico.
Sánchez-Bayo a déclaré que le langage inhabituellement véhément employé dans l’étude n’est pas alarmiste. «Nous avons voulu vraiment réveiller les gens» et les auteurs et l’éditeur étaient en accord là-dessus. «Si vous considérez que 80% de la biomasse des insectes a disparu en 25-30 ans, c’est une grande préoccupation.»
D’autres scientifiques sont d’accord qu’il devient de plus en plus clair que les pertes d’insectes sont devenues un sérieux problème mondial. «Toutes les données pointent dans la même direction», déclare le professeur Dave Goulson de l’Université du Sussex en Grande-Bretagne. «Cela devrait être une immense préoccupation pour nous tous, car les insectes sont au cœur de tous les réseaux alimentaires, ils pollinisent la grande majorité des espèces de plantes, préservent la santé des sols, recyclent les nutriments, contrôlent les nuisibles et bien d’autres choses encore. Aimez-les ou détestez-les, mais nous humains ne pouvons pas survivre sans insectes.»
Pour Matt Shardlow, de Buglife, l’organisation britannique de protection des invertébrés (The Invertebrate Conservation Trust): «Cela fait réfléchir de voir cette recompilation de données qui démontre l’état pitoyable des populations d’insectes du monde. C’est de plus en plus évident que l’écologie de la planète est en train de subir une rupture et qu’il faut un effort intense et mondial pour arrêter et renverser ces effrayantes tendances.» A son avis, l’étude exagère légèrement le rôle des pesticides et sous-estime le réchauffement climatique, bien que d’autres facteurs qui ne sont pas étudiés, comme la pollution lumineuse, puissent se révéler significatifs aussi.
Le professeur Paul Ehrlich, de l’Université de Stanford en Californie, a vu de près les insectes disparaître, au travers de son travail sur les papillons damiers de la baie (checkerspot butterfly, Euphydryas editha bayensis) de la Réserve de Jasper Ridge à Stanford. Il avait commencé à les étudier en 1960 mais ils avaient disparu en 2000, surtout à cause du changement climatique.
Ehrlich a loué le bilan publié: «C’est extraordinaire d’avoir rassemblé toutes ces études et de les avoir analysées aussi bien qu’ils l’ont fait.» Il fait remarquer que les déclins particulièrement importants chez les insectes aquatiques sont frappants. «Mais ils ne mentionnent pas que c’est la surpopulation et la surconsommation humaines qui provoquent tout cela, et y compris le changement climatique», fait-il remarquer.
Sánchez-Bayo raconte qu’il a récemment été témoin lui-même d’un effondrement de populations d’insectes. Il a emmené sa famille en vacances dans un voyage de 700 km en automobile à travers l’Australie rurale. Il a été frappé par le fait qu’il n’a pas dû nettoyer le pare-brise une seule fois. «Il y a des années, il fallait le faire constamment.» (Article publié dans The Guardian, en date du 10 février 2019; traduction A l’Encontre)
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[1] Francisco Sánchez-Bayo, Kris Wyckhuys, «Worldwide decline of the entomofauna: A review of its drivers» («Déclin mondial de l’entomofaune: une revue de ses causes»), Biological Conservation, janvier 2019.
[2] La cinquième extinction massive fut celle il y a 75 millions d’années qui vit disparaître les dinosaures, les ammonites, et beaucoup d’autres espèces. La sixième est liée à l’impact des activités humaines. (NdT)
41% des espèces d’insectes ont décliné depuis dix ans…
en danger, > 50% de pertes, menacés, > 30% de pertes, en déclin, < 30% de pertes
Tous les insectes 41%
Trichoptères 68%
Papillons 53%
Coléoptères 53%
Abeilles 46%
Ephémères 37%
Libellules 37%
Plécoptères 35%
Mouches 25%
….comparés avec 22% des espèces de vertébrés
Tous les vertébrés 22%
Oiseaux 26%
Batraciens 23%
Mammifères terrestres 15,4%
Reptiles 19%
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