
Par le correspondant de MEE au Caire
L’Égypte a déployé des forces supplémentaires le long de la frontière avec Gaza, alors que les craintes grandissent que l’occupation prévue de la bande de Gaza par Israël ne pousse les Palestiniens vers le nord du Sinaï, a déclaré une source militaire haut placée à Middle East Eye.
Il a indiqué qu’environ 40 000 soldats sont désormais déployés dans le nord du Sinaï, soit près du double du nombre autorisé par le traité de paix égypto-israélien de 1979.
«L’armée égyptienne est dans l’état d’alerte le plus élevé que nous ayons vu depuis des années», a déclaré la source.
Cette décision fait suite à «des ordres directs du président Abdel Fattah al-Sissi en sa qualité de commandant en chef, après une réunion avec le Conseil suprême des forces armées et le Conseil national de sécurité», a-t-il ajouté.
Il a déclaré qu’Israël veut démanteler le Hamas à Gaza et forcer un grand nombre de Palestiniens à partir, une position que l’Égypte rejette.
Les forces égyptiennes sont désormais stationnées dans différentes parties du nord du Sinaï, y compris dans la «zone C», la zone adjacente à la bande de Gaza, a-t-il ajouté.
L’Égypte a informé Israël de ces renforts, qui ont suscité des plaintes concernant l’importance des effectifs et leur présence dans des zones réglementées.
«L’Égypte insiste sur le caractère défensif de cette mobilisation, mais a clairement indiqué que toute attaque sur son territoire serait suivie d’une réponse ferme», a déclaré la source.
Des véhicules blindés, des systèmes de défense aérienne, des forces spéciales et des chars de combat M60 ont été déployés dans les villes voisines de Rafah [1] et Sheikh Zuweid [deux villes frontalières avec la bande de Gaza et Israël], ainsi qu’autour du village d’al-Joura, près de la frontière avec Gaza.
«Les officiers de liaison égyptiens ont informé leurs homologues israéliens que les mesures récentes étaient purement défensives et visaient à sécuriser la frontière dans un contexte de tensions croissantes», a ajouté la source.
Une ligne rouge
Au début du mois, le gouverneur du Sinaï-Nord, Khaled Megawer, a lancé un avertissement ferme contre toute attaque israélienne potentielle contre l’Égypte.
S’adressant aux médias depuis le poste-frontière de Rafah, en réponse à des questions sur la possibilité d’un affrontement avec Israël, Khaled Megawer a déclaré: «Quiconque songera à s’approcher de notre frontière s’exposera à une réponse inattendue et brutale.»
Khaled Megawer, ancien général de l’armée et chef des services de renseignement militaire, a fait ces déclarations alors que les craintes grandissent que l’occupation prévue de Gaza par Israël n’entraîne une crise de déplacement massif de populations.
Depuis le début du génocide perpétré par Israël à Gaza, des tentatives visant à déplacer de force des centaines de milliers de Palestiniens de la bande de Gaza ont été signalées.
Le nord du Sinaï est depuis longtemps envisagé comme une destination possible pour les Palestiniens déplacés, une idée qui a refait surface à plusieurs reprises au cours des dernières décennies. Le Caire continue toutefois de considérer un tel scénario comme une ligne rouge.
Au début de l’année, les spéculations ont repris lorsque le président américain Donald Trump a suggéré que l’Égypte et la Jordanie devraient accepter les Palestiniens fuyant la guerre.
La réponse de l’Égypte a été sans équivoque.
«Le transfert des Palestiniens ne peut en aucun cas être toléré ou autorisé», a déclaré à l’époque le président Abdel Fattah al-Sissi. «La solution n’est pas de chasser le peuple palestinien de son territoire.»
Ce sentiment est fortement partagé dans le nord du Sinaï, où les communautés vivent sur les mêmes terres depuis des générations et considèrent le déplacement forcé des Palestiniens comme injuste et déstabilisateur.
«Notre terre abrite les tombes de nos ancêtres, et nous ne pouvons en aucun cas la partager avec qui que ce soit», a déclaré à MEE un membre d’une tribu [bédouine] de Sheikh Zuweid, âgé de 78 ans, qui a souhaité rester anonyme.
En avril, des députés et des chefs tribaux se sont réunis dans la ville d’El-Arish, capitale du nord du Sinaï, pour officialiser leur position selon laquelle le Sinaï ne doit jamais devenir une patrie alternative pour les Palestiniens fuyant Gaza.
Cheikh Salama al-Ahmar, de la tribu al-Tarabin, a déclaré: «Nous sommes solidaires de Gaza, mais pas au détriment de la terre du Sinaï ou de la souveraineté de l’Égypte.»
L’escalade imminente d’Israël à Gaza soulève des questions sur la manière dont l’Égypte réagirait à des tentatives de déplacement à grande échelle ou à une intensification des activités militaires près du poste-frontière de Rafah, seul point de passage de Gaza vers le monde extérieur en dehors d’Israël.
«Les prochains jours mettront probablement à l’épreuve les préparatifs sécuritaires de l’Égypte et sa capacité diplomatique à aider à gérer la crise à Gaza sans compromettre ses propres intérêts stratégiques», a déclaré à MEE un analyste politique sous couvert d’anonymat.
«Une offensive israélienne de cette ampleur pourrait déclencher une catastrophe humanitaire, forçant les Palestiniens à fuir Gaza en masse, un scénario sur lequel Israël pourrait compter pour dépeupler Gaza et affaiblir définitivement le Hamas», a ajouté l’analyste.
Des liens économiques malgré les tensions
Malgré la sympathie généralisée de l’opinion publique pour la cause palestinienne, l’Égypte et Israël ont maintenu des liens étroits depuis la signature de leur traité de paix négocié par les États-Unis en 1979. L’Égypte a été le premier pays arabe à normaliser ses relations avec Israël.
En vertu de ce traité, la péninsule du Sinaï a été divisée en zones soumises à des restrictions strictes en matière de déploiement de troupes et d’armes lourdes.
Au fil des ans, des exceptions ont été négociées, en particulier après la révolution égyptienne de 2011, lorsque l’armée a renforcé sa présence pour lutter contre les insurgés dans le Sinaï.
Si le discours politique entre Israël et l’Égypte est souvent resté prudent, la coopération en matière de sécurité et d’économie n’a cessé de s’approfondir [2].
Un récent accord à grande échelle sur l’importation de gaz avec Israël a suscité la controverse en Égypte, car il a été signé alors qu’Israël poursuivait son offensive sur Gaza, qui a fait plus de 62 000 morts parmi les Palestiniens.
«Le Caire adopte une ligne dure contre Israël sur Gaza et la question palestinienne, tout en maintenant des relations économiques pragmatiques», a déclaré à MEE un ancien officier des services de renseignement et expert en sécurité nationale, sous couvert d’anonymat.
Ces relations comprennent l’importation de gaz israélien pour répondre à la demande intérieure et la réexportation des excédents vers l’Europe, ainsi que la coopération dans le cadre de l’accord sur les zones industrielles qualifiées (QIZ).
«L’Égypte continue également de bénéficier de l’aide militaire américaine au titre du traité de paix, tout en jouant un rôle de médiation clé à Gaza, une position qui renforce la place du Caire sur la scène régionale et internationale», a-t-il ajouté.
Cependant, le génocide a poussé les relations bilatérales à l’un de leurs points les plus bas depuis des décennies.
Le Caire voit la campagne israélienne comme une menace pour la stabilité de ses frontières, un coup porté à ses efforts de médiation et un risque potentiel pour la pérennité du traité de paix.
Un point de discorde majeur est le contrôle par Israël du corridor de Philadelphie, une étroite bande le long de la frontière entre l’Égypte et Gaza, saisie en mai 2024.
L’Égypte estime que cette mesure viole le traité de paix, tandis qu’Israël affirme qu’il s’agit d’une zone tampon nécessaire pour empêcher la contrebande d’armes. (Article publié dans Middle East Eye le 19 août 2025; traduction rédaction A l’Encontre)
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[1] «Au poste-frontière de Rafah, à l’entrée du côté égyptien de la bande de Gaza, des centaines de camions humanitaires attendent depuis des jours l’autorisation d’Israël pour livrer des vivres dans le territoire palestinien affamé. Mais seuls quelques-uns franchissent chaque jour la frontière, au gré des décisions israéliennes, selon des chauffeurs et humanitaires. «Tout dépend de leur bon vouloir», affirme Mahmoud El-Sheikh, un camionneur égyptien bloqué depuis 13 jours avec une cargaison de farine.
«Hier, 300 camions ont été renvoyés. Seuls 35 ont pu passer», détaille-t-il. Chaque nuit, jusqu’à 150 camions s’alignent côté égyptien. Au matin, «les Israéliens inspectent ceux qu’ils veulent et renvoient les autres», explique Hussein Gomaa, un collègue.
En général, expliquent les chauffeurs, les poids lourds sont dirigés, une fois franchi le poste, vers le passage israélien Kerem Shalom, à quelques kilomètres. Là, les conducteurs doivent descendre de leur véhicule le temps de l’inspection avant de connaître le sort de leur cargaison.» – AFP, 19 août 2025 (Réd.)
[2] Diverses études indiquent que l’Egypte a systématiquement refusé le statut de réfugié aux quelque 100’000 Palestiniens entrés dans le pays. Et ce après qu’ils ont payé une somme astronomique de 5000 dollars à la société Hala, sans mentionner les «commissions» versées à la frontières pour entrer en Egypte. Le refus de ce statut ne leur permet pas de travailler, du moins légalement, d’avoir accès à une éducation, y compris aux réseaux de santé, etc. Pour l’essentiel, leur résidence en Egypte est marquée par la grande précarité. (Réd.)

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