Grèce-débat. Le cercle vicieux est refermé

Le nouveau ministre grec des Affaires étrangères, Nikos Dendias, va rencontrer Mike Pompeo: tout un programme…

Par Michael Roberts

La rédaction ne reprend pas l’exposé des résultats dans la mesure où nous l’avons déjà fait dans des articles précédents. Nous nous limitons ici à traduire l’analyse par Michael Roberts de la dynamique économique du capitalisme grec sous les gouvernements Tsipras et la situation présente lors de la mise en place du gouvernement de Kyriakos Mitsotakis. (Rédaction A l’Encontre)

*****

Les quatre dernières années du gouvernement Syriza ont été à la fois tumultueuses et tristes. Elu pour s’opposer aux politiques de la Troïka (la BCE, le FMI et l’UE) en imposant des mesures d’austérité vicieuses aux Grecs en échange du «sauvetage» de ses banques, des banques étrangères et de la dette publique, le gouvernement Syriza a d’abord résisté à la Troïka. Sous Tsipras et Varoufakis, il a cherché un accord avec les dirigeants de l’Euro qui n’imposeraient pas l’austérité. Lorsqu’un tel accord a été rejeté par la Troïka et les dirigeants de l’Euro, dirigés par l’Allemagne et les Pays-Bas, Tsipras a organisé un référendum sur le «mémorandum» de la Troïka: les Grecs devraient-ils accepter ou rejeter cette austérité? Malgré une campagne de propagande massive de la part des médias pro-entreprises en Grèce et à l’étranger et le manque de relief de la campagne de Syriza, les Grecs ont voté à plus de 60% pour rejeter le programme de la Troïka. Un peu plus d’une journée plus tard, le gouvernement a ignoré le vote et a capitulé.

Au cours des quatre années suivantes, le gouvernement de Syriza a dûment tenté de mettre en œuvre toutes les demandes de la Troïka. Les retraites ont été réduites, les employé·e·s du secteur public ont été licenciés et des gels des salaires ont été imposés, les actifs de l’Etat ont été vendus et les impôts ont été fortement augmentés. Varoufakis a démissionné après la capitulation de juillet 2015 et a fait le tour de l’Europe, et la fraction de gauche de Syriza s’est séparée pour diriger ses propres partis électoraux, en vain. Le gouvernement de Syriza a travaillé dans l’attente et l’espoir que s’il respectait les mesures d’austérité imposées par la Troïka, il serait finalement en mesure de relancer la croissance économique, de gagner une certaine «marge budgétaire» et de «retourner sur le marché» pour lancer des emprunts obligataires.

Les premiers prêts que le gouvernement avait obtenus de la Troïka ont servi à rembourser des banques françaises et allemandes qui détenaient des milliards sur la dette publique grecque qui n’était pas pratiquement sans valeur. Après ce sauvetage du secteur privé, les prêts suivants ont été utilisés pour faire face aux remboursements au FMI, à la BCE et à d’autres gouvernements dès les premiers sauvetages. Dans ce cercle sans fin, plus de dettes ont été contractées pour rembourser les dettes antérieures! Aucune partie de cet argent n’a servi à soulager la dépression dont souffrent les Grecs et à améliorer leur niveau de vie. L’économie grecque s’est effondrée de 30%, les pensions et les salaires ont chuté de 40%, des milliers de jeunes ont émigré pour chercher du travail et les services publics et les emplois ont été décimés. Dans le secteur privé sont touchés les emplois du secteur privé comme la construction, l’industrie, l’artisanat, le commerce, etc.

Ces sacrifices ont-ils permis de restaurer le capitalisme grec et d’inverser le déclin catastrophique de la production, de l’emploi et des revenus? En bref, la réponse est non. Le taux de chômage en Grèce reste très élevé, en particulier chez les jeunes, comme l’indique le graphique 1 ci-dessous.

 

Graphique 1. Taux de chômage par les Grecs de moins de 25 ans

 

Les investissements en capitaux durant la crise de la dette se sont effondrés. Ils n’ont pas retrouvé une dynamique.

 

Graphique 2. Formation brute de capital

 

Les dépenses gouvernementales ont été réduites sous l’effet des mesures d’austérité

 

Graphique 3. Dépenses gouvernementales par rapport au PIB

 

 

Mais cela n’a pas réduit la dette publique par rapport au PIB, qui reste à un niveau stupéfiant de 180% du PIB et le restera dans un avenir prévisible. Toutes les mesures d’austérité n’ont pas entamé la dette publique accumulée pour renflouer les banques étrangères, les banques grecques et les autres détenteurs de la dette publique grecque. L’échec du secteur privé, des entreprises grecques et du capitalisme mondial a été reporté dans les livres du gouvernement et de son peuple pour les générations à venir.

 

Graphique 4. Dette publique en% du PIB

 

Les énormes prêts que le gouvernement grec doit aux diverses instances de l’UE (le FMI et la BCE ont été remboursés) n’ont pas à être remboursés avant une décennie ou plus et le coût des intérêts sur ces prêts est faible. Mais la dette n’a pas été annulée; elle doit être remboursée à terme et le gouvernement grec doit gérer un énorme excédent budgétaire [considéré comme irréaliste par des économistes fort orthodoxes] afin de couvrir les paiements futurs, les intérêts sur la dette et d’obtenir de nouveaux prêts sur le marché mondial.

Toute la stratégie du gouvernement de Syriza reposait sur l’hypothèse que lorsque la croissance économique reviendrait dans la zone euro, elle soulèverait le bateau grec avec d’autres bateaux européens dans le cours de la marée montante de la reprise économique. Un «espace budgétaire» serait créé et les services publics et les pensions pourraient alors être améliorés tout en respectant le calendrier de remboursement des créanciers.

Mais ça n’a pas marché comme cela. La croissance économique de la zone euro depuis la crise de la dette a été pathétique, ne dépassant guère 2% par an et ralentissant à nouveau rapidement. Pendant la crise de la dette et la capitulation du gouvernement Syriza, j’ai estimé que la croissance économique grecque devrait être d’au moins 3% par an en moyenne pour mettre fin à l’austérité si le gouvernement poursuivait ses engagements envers la Troïka. Au lieu de cela, le taux de croissance grec a été en moyenne d’un peu plus de 1% par an sous les gouvernements Tsipras. Il ralentit actuellement, passant d’une courte hausse de plus de 2% à seulement 1,3%.

 

Graphique 5. Croissance annuelle du PIB (en %)

 

Le nouveau gouvernement conservateur de Mitsotakis prend le pouvoir au moment même où les économies de la zone euro et une grande partie du reste du monde font face à un ralentissement de l’investissement, du commerce et de la croissance au mieux – et à une récession pure et simple au pire.

La stratégie économique des dirigeants de Syriza consistant à accepter le programme de la Troïka, à honorer le fardeau de la dette et à rester dans l’UE a échoué. Il en a résulté une désillusion totale à l’égard de la Syriza, en particulier chez les jeunes. Beaucoup sont partis chercher du travail ceux qui ne l’ont pas fait n’ont pas voté aux élections ou ont voté pour un changement de gouvernement en votant pour la Nouvelle Démocratie. Des anecdotes de ces attitudes ont été exprimées dans les médias.

Comme beaucoup de jeunes Grecs, Tasos Stavridis a l’intention de quitter le pays une fois son diplôme en sciences politiques obtenu. «Notre crise financière a duré beaucoup plus longtemps que prévu et nous sommes tellement épuisés», déclare le jeune homme de 22 ans. «La plupart de mes amis prévoient de partir aussi. En Grèce, les salaires sont si bas et la situation économique est si mauvaise.» Et la Nouvelle Démocratie? «La vérité, c’est que je les blâme [pour la crise] aussi», admet Stavridis. «Mais je crois que Mitsotakis a fait beaucoup de changements. Je suis d’accord avec le plan économique de ce parti et je crois qu’il nous aidera à sortir de cette situation. Nous devons nous concentrer sur le secteur privé afin d’améliorer notre situation économique», croit-il. «Notre secteur public est inefficace et paresseux.» Puis, «la dernière fois que ma famille a soutenu la gauche, la situation s’est avérée bien pire», dit Zoé Babaolou, une jeune fille de 19 ans originaire de Théssalonique qui a voté pour la Nouvelle démocratie lors des élections européennes. «Il vaut mieux retourner à quelque chose de plus sûr», ajoute Babaolou: «Nous avons voté pour l’idéologie en 2015 et nous n’avons vu aucun changement. Je m’intéresse donc plus aux mesures économiques.»

Aurait-il pu y avoir une alternative à la stratégie de Tsipras et des dirigeants de Syriza en juillet 2015 lorsque le référendum d’opposition à l’austérité de la Troïka a été soutenu par la majorité du peuple grec? Je crois que oui. L’une des options fortement encouragées par la fraction de gauche des députés de Syriza était de rompre avec l’UE et l’euro: revenir à la drachme grecque, dévaluer la monnaie, imposer un contrôle sur capitaux pour empêcher les fuites, nier la dette et revenir aux programmes de dépenses gouvernementales.

Par exemple, c’était l’option présentée par l’économiste socialiste et député Costas Lapavitsas, à l’époque. Lapavitsas a pris une position de principe contre la capitulation et a rompu avec Syriza. Mais il a fait valoir que: «la solution évidente pour la Grèce à l’heure actuelle, quand je la considère comme un économiste politique, la solution optimale, serait une sortie négociée. Pas nécessairement une sortie contestée, mais une sortie négociée.» Cela impliquerait une annulation de 50% de la dette due à l’UE et la protection de la nouvelle monnaie grecque (dévaluée de seulement 20%) avec la liquidité de la BCE.

Je pensais alors que même si la Troïka acceptait une telle «sortie négociée», ce qui était un point discutable, et même si la nouvelle drachme grecque ne se dépréciait que de 20% (ce qui était très peu probable), l’économie grecque serait toujours à genoux, incapable de rétablir le niveau de vie pour la majorité. La dévaluation et la hausse des prix rongeraient tous les gains réalisés grâce à des exportations moins chères. Lapavitsas semblait le reconnaître lorsqu’il disait à l’époque: «Les salaires doivent augmenter, mais même s’ils augmentent, vous n’allez pas retourner où vous étiez. Ce n’est tout simplement pas faisable pour le moment. Nous avons besoin d’une stratégie de croissance pour cela.»

Mais Lapavitsas s’opposait à une stratégie de croissance basée sur une planification socialiste. «Je ne pense pas que Syriza devrait sortir un programme de nationalisation d’ampleur pour l’instant. Ce qu’il faut, c’est nationaliser les banques, bien sûr. Pour faire en sorte que cessent les privatisations du secteur énergétique, en particulier l’électricité. Que cela s’arrête. Et que la privatisation d’autres secteurs clés s’arrête. Nous devons mettre en place une stratégie de croissance et de relance immédiatement en dehors de l’euro, et ensuite avoir un plan de développement à moyen terme.» Pour moi, la stratégie selon laquelle la Grèce quitterait l’euro et mettrait d’abord en œuvre un vaste programme de dépenses keynésien, laissant toute mesure socialiste à plus tard ne pourrait pas fonctionner parce que les forces du capital aux niveaux international et national ne seraient pas touchées.

Selon moi, il y avait une autre option: un vaste et ample programme pour remplacer le capitalisme. Pour moi, le capitalisme grec devait être remplacé, à l’intérieur ou à l’extérieur de l’euro. Cela signifierait la propriété publique de toutes les grandes entreprises et des capitaux étrangers en Grèce; une mobilisation démocratique des travailleurs pour contrôler leurs lieux de travail et l’économie avec un plan d’investissement et de production. Un gouvernement d’un «Syriza socialiste» pourrait alors lancer un appel au soutien du mouvement syndical européen pour forcer ses gouvernements à abandonner l’austérité, à annuler la dette et à lancer un programme d’investissement à l’échelle européenne pour inclure la Grèce.

Une telle stratégie bénéficierait d’un plus grand soutien de la part des autres travailleurs européens et de leur propre pays qu’une stratégie qui se concentrerait sur la condamnation de l’euro en tant que problème. Après tout, il y a toujours eu une majorité de Grecs en faveur du maintien de l’euro et de rester dans l’UE. La Grèce est une petite économie capitaliste faible; elle ne peut réussir sans un succès qui se développe dans le reste de l’Europe, et cela vaut également pour une Grèce socialiste. Mais au moins, le peuple grec aurait le contrôle de ses propres capitaux et de la répartition de la main-d’œuvre.

Mais quels que soient les mérites d’une option keynésienne ou marxiste en 2015, nous avons maintenant le retour du gouvernement de la Nouvelle Démocratie pro-entreprises, corrompu et dynastique qui a présidé à l’origine au krach financier et à la récession en 2010. Le programme du gouvernement Mitsotakis est de privatiser, de réduire les impôts pour les riches et d’encourager l’investissement étranger, tout en maintenant les salaires et les pensions au plus bas et les services publics au minimum – le néolibéralisme si vous voulez l’appeler ainsi.

 

Graphique 6. Rendement net du capital: indice 100 en 2010

 

L’objectif réel est d’augmenter la rentabilité du capital grec comme solution économique et d’espérer que les capitalistes investissent ensuite en Grèce. Selon la base de données AMECO de l’UE, la rentabilité nette des capitaux propres de la Grèce a chuté de 35% entre 2007 et 2012. Sous le gouvernement de Syriza, la rentabilité s’est redressée de 20%, mais elle est encore inférieure d’environ 15% au sommet de 2007. L’objectif du nouveau gouvernement sera de poursuivre le travail de Syriza pour sauver le capitalisme, mais avec plus d’énergie et de vengeance. Entre-temps, une nouvelle récession mondiale se profile à l’horizon. (Article publié sur Blog de Michael Robert, The Next Recession, en date du 11 juillet 2019; traduction A l’Encontre)

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*