Myanmar. L’ASEAN n’invitera pas la junte à son sommet du 26 au 28 octobre

Par Frontier Fridays

Cette semaine [du 14 au 21 octobre], l’ASEAN décidé d’exclure le commandant en chef de la junte, Min Aung Hlaing, de son sommet; le régime militaire a annoncé une libération massive de prisonniers apparemment en réponse à cette pression [mais des arrestations ont succédé de suite aux libérations], un porte-parole du parti pro-militaire Parti de l’union, de la solidarité et du développement (USDP) a appelé au dialogue; un responsable du département d’Etat américain s’est rendu en Asie pour aborder la crise du Myanmar. (Réd. Frontier Fridays)

L’ASEAN snobe Min Aung Hlaing

Le Brunei, qui se trouve actuellement à la présidence de l’ASEAN (Association des nations de l’Asie du Sud-Est), a publié une déclaration à l’issue d’une réunion d’urgence [virtuelle] des ministres des Affaires étrangères vendredi 15 octobre, annonçant que le commandant en chef Min Aung Hlaing ne serait pas invité au sommet de ce mois-ci [du 26 au 28 octobre], ce qui constitue la mesure la plus ferme prise par le bloc régional contre la junte militaire depuis le coup d’Etat [du 1er février 2021]. La déclaration indiquait clairement que le principal problème était le manque d’engagement de l’armée à «établir un dialogue constructif entre toutes les parties concernées», ce qui signifie le refus persistant de permettre à l’envoyé spécial de l’ASEAN, Erywan Yusof [vice-ministre des Affaires étrangères du Brunei] de rencontrer Aung San Suu Kyi et, peut-être dans une moindre mesure, le gouvernement d’unité nationale (NUG).

La ministre indonésienne des Affaires étrangères, Retno Marsudi, a tweeté que l’Indonésie propose d’exclure la junte des sommets «jusqu’à ce que le Myanmar rétablisse sa démocratie par un processus inclusif», ce qui n’arrivera probablement jamais sous Min Aung Hlaing. Elle va plus loin que l’ASEAN en liant l’exclusion de la junte au rétablissement de la démocratie, et pas seulement à une rencontre avec Aung San Suu Kyi. Et, étant donné que la Tatmadaw [Forces armée] n’a montré absolument aucune intention de rétablir la démocratie, elle demande essentiellement la suspension indéfinie de la junte des sommets de l’ASEAN.

Il ressort également clairement de la déclaration qu’il n’y a pas eu de consensus, ce qui est généralement requis pour que l’ASEAB agisse. En fin de compte, l’ASEAN a trouvé un moyen de contourner le consensus en invoquant une «demande concurrente» de représentation par le NUG. Elle a déclaré qu’en l’absence de consensus sur le gouvernement à inviter, aucun ne participerait au sommet. C’est le premier cas que nous connaissons où l’ASEAN a reconnu sur le papier la revendication du NUG d’être le représentant du Myanmar. Cette décision intervient également peu de temps après que la Malaisie a déclaré qu’elle envisagerait de coopérer avec le NUG sur une base bilatérale en raison de l’absence de progrès avec la junte

La déclaration se termine en disant que l’ASEAN permettra à la junte d’envoyer une personnalité «apolitique» pour représenter le Myanmar au sommet, ce qui semble indiquer qu’il s’agira d’un fonctionnaire de rang inférieur. Le porte-parole des militaires au pouvoir, le général de division Zaw Min Tun, a déclaré qu’ils enverraient quelqu’un du ministère des Affaires étrangères de la junte. Dans une déclaration, le ministère des Affaires étrangères s’est dit «extrêmement déçu et fortement opposé» à cette décision, tandis que Zaw Min Tun l’a imputée aux «interventions étrangères» des Etats-Unis et de l’Union européenne [1]. Le NUG, quant à lui, a déclaré «apprécier» cette «mesure positive et sans précédent», mais a également appelé l’ASEAN à ne pas inviter un membre de la junte en tant que représentant apolitique.

Libération massive de prisonniers

Après avoir essuyé un camouflet gênant de la part de ses amis de l’ASEAN, il s’agit maintenant de savoir si la junte acceptera de faire quelques concessions superficielles ou si elle se braquera encore davantage. Min Aung Hlaing a déclaré dans un discours que l’ASEAN avait formulé des exigences «non négociables», ce qui, nous le supposons, fait référence aux demandes de rencontre avec Aung San Suu Kyi. Toutefois, la junte a annoncé une libération massive de prisonniers, apparemment en réponse à cette pression externe. Le fait que la junte ait également l’intention d’envoyer un représentant au sommet, dans une position inférieure et quelque peu embarrassante, montre qu’elle semble ébranlée par la désapprobation et espère poursuivre la réconciliation.

Des milliers de prisonniers auraient été libérés ou les poursuites à leur égard auraient été abandonnées, y compris des célébrités, des journalistes, des politiciens, des manifestants, des étudiants activistes et plus encore. Le porte-parole de la Ligue nationale pour la démocratie (NLD-LND) et membre du comité exécutif central du parti, Monywa Aung Shin, qui avait été arrêté le jour du coup d’Etat, est le personnage politique le plus important à avoir été libéré. Il a déclaré sur la DVB [Democratic Voice of Burma, ONG animée par des réfugiés birmans qui émet depuis la Norvège] qu’il était détenu – sans avoir été inculpé depuis huit mois – au sein d’un centre d’interrogatoire militaire dans le district de Mingaladon, à Yangon. Un député de la NLD de la région de Magway et un autre de l’Etat de Shan auraient également été libérés.

Un certain nombre de journalistes ont été libérés: notamment Thin Thin Aung, cofondateur de Mizzima Myanmar News; l’ancien rédacteur en chef du Thanlyin Post Journal Tu Tu Tha; et le reporter de DVB Aung Kyaw, qui a notoirement diffusé en direct sa propre arrestation dans la région de Tanintharyi. Malheureusement, Danny Fenster, directeur de la rédaction de Frontier, et Sithu Aung Myint, collaborateur régulier, sont toujours emprisonnés. L’avocat Thet Naung, qui représente certains des prisonniers politiques, a déclaré à Myanmar Now que les personnes libérées étaient «exclusivement» accusées en vertu de la section 505 du code pénal [elle concerne la diffusion de dites fausses informations ayant trait à la junte], tandis que Danny et Sithu Aung Myint doivent répondre d’autres chefs d’accusation.

Mais dans de nombreux cas, même les libérations étaient trop belles pour être vraies. Dans son dernier revirement sadique, la junte a immédiatement réarrêté certains des prisonniers libérés. L’Association d’assistance aux prisonniers politiques a déclaré qu’au moins 110 prisonniers politiques ont été réarrêtés, décrivant cela comme une forme de «torture» pour les détenus et leurs familles. Selon une récente déclaration: «certains ont même été libérés puis cyniquement réarrêtés dès qu’ils sont arrivés chez eux. D’autres ont appris qu’ils figuraient sur la liste des libérés, puis ils ont été conduits à la porte de la prison, pour être ensuite ramenés en prison en raison d’accusations supplémentaires».

Le porte-parole de l’USDP s’exprime

Signe que la junte pourrait perdre le soutien de son parti mandataire, un porte-parole du parti pro-militaire du Parti de l’union, de la solidarité et du développement [USDP-parti nationaliste conservateur créé en juin 2010, il a des liens étrois avec l’armée et les militaires forment le gros de ses membres] a donné un entretien assez explosif à la BBC birmane, dans lequel il a reconnu que le pays est en désarroi et il a appelé à un dialogue.

Il a déclaré: «Notre pays n’est pas stable. Comme nous le savons tous, il y a une forte pression de la part de la communauté internationale. Comment pouvons-nous faire de bonnes affaires dans un pays sans paix ni stabilité? Comment notre économie pourrait-elle bien se porter bien sous les effets de cette pression internationale?». Flirtant avec une critique de la junte, il a déclaré qu’il était «important pour le gouvernement de connaître la cause profonde des problèmes» et d’utiliser une «aiguille» quand il le faut et une «hache» quand il le faut. Cela reste vague, mais il semblait suggérer que certaines des approches musclées de l’armée ont été contre-productives. «La manière dont l’économie sera relancée dépendra largement de la politique économique du régime. Nous devrons observer comment le régime va relancer l’économie. Avec la crise actuelle, il serait très difficile d’obtenir la paix, la stabilité et la reprise économique dans un court laps de temps», a poursuivi Nandar Hla Myint.

Il a également appelé au «dialogue» afin d’«instaurer la confiance» entre les parties au conflit actuel «dans l’intérêt de l’avenir du Myanmar». Il n’a pas nommé explicitement le Gouvernement d’unité nationale, mais il semblait y faire référence. Si la junte a refusé de négocier avec le NUG, elle a opéé des cessez-le-feu temporaires et fait des concessions à certains groupes de résistance. Bien qu’il ne fasse pas exactement allusion au Mouvement de désobéissance civile, l’entretien reflète à la fois la peur croissante des associés de l’armée – qui sont de plus en plus souvent désignés pour être assassinés – et la reconnaissance du fait que la Tatmadaw a du mal à sortir de l’impasse actuelle de la crise. Près de neuf mois se sont écoulés depuis le coup d’Etat et l’armée n’a pas réussi à consolider son contrôle total ni à ramener un sentiment de normalité dans le pays. Si même les plus ardents défenseurs de l’armée commencent à perdre patience et foi, la pression interne pour que l’armée fasse des concessions pourrait augmenter.

[Toutefois, selon Adam Simpson, de l’University of South Australia, sur le site The Strategist de l’Australian Strategic Policy Institute (ASPI), en date du 22 octobre, l’accent est différent sur l’attitude présente de l’armée. Il écrit: «Avec la fin imminente de la mousson et le début de la saison sèche, l’armée du Myanmar se prépare à une offensive majeure contre les Forces de défense populaires et les diverses milices ethniques dans le nord-ouest du pays.» – Réd. A l’Encontre]

Tournée du Département d’Etat en Asie

Alors que la junte doit faire face à des pressions plus proches de chez elle, elle continue également à être harcelée par l’Occident. Le conseiller du département d’Etat américain, Derek Chollet, a visité l’Asie du Sud-Est; des réunions se sont tenues à Singapour, en Thaïlande, en Indonésie et au Japon pour discuter de la crise du Myanmar.

A Singapour, Derek Chollet a exhorté le gouvernement à utiliser le levier financier contre la junte, ce qu’il a semblé réticent à faire jusqu’à présent. Derek Chollet a indiqué dans un tweet qu’il avait rencontré le directeur général adjoint de l’Autorité monétaire de Singapour et «discuté des moyens de limiter l’accès du régime militaire birman aux actifs financiers étrangers».

Les défenseurs des droits de l’homme reprochent depuis longtemps à Singapour, premier investisseur étranger au Myanmar, de ne pas prendre de mesures, alors même que des responsables et des entreprises militaires profiteraient de son système bancaire. Avec la Thaïlande, Derek Chollett a discuté de la fourniture d’une aide humanitaire au Myanmar via la frontière, ce qui permettrait probablement de contourner les institutions de la junte. Les Etats-Unis ont pris soin de ne pas allouer de fonds d’aide qui pourraient se retrouver entre les mains de l’armée, de sorte que le véritable objectif de cet échange était probablement de s’assurer qu’ils peuvent continuer à travailler directement avec les groupes armés ethniques et le Gouvernement d’unité nationale (NUG) le long de la frontière thaïlandaise. Chollet a également rencontré le ministre indonésien des Affaires étrangères, Retno Marsudi, mais on ne sait pas encore de quoi ils ont discuté.

Dans ce qui pourrait être une autre mauvaise nouvelle pour la quête de légitimité de la junte, la ministre d’Etat britannique pour l’Asie a confirmé que le régime n’a pas été invité à une réunion entre l’ASEAN et le G7 à Liverpool en décembre. «Le Royaume-Uni a été clair sur le fait que le régime militaire du Myanmar n’est pas invité à participer en personne», a déclaré Amanda Milling. Mais le «en personne» risque de faire du chemin. Si la junte était autorisée à participer par vidéoconférence, il ne s’agirait pas pour elle d’un revers majeur, étant donné que la diplomatie est souvent virtuelle dans le monde du Covid-19. (Lettre d’information de Frontier publiée le 22 octobre 2021; traduction rédaction A l’Encontre)

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[1] Dans un communiqué, le ministère des Affaires étrangères de la junte birmane a déclaré: «La Birmanie est extrêmement déçue et s’oppose fermement aux conclusions de la réunion des ministres des Affaires étrangères (de l’ASEAN)», en estimant que «les discussions et la décision sur la question de la représentation de la Birmanie ont eu lieu sans consensus, et sont contraires aux objectifs de l’ASEAN». (Réd. A l’Encontre)

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