«Tony Blair est devenu un visiteur régulier du bureau de Netanyahou pendant la guerre de Gaza»

Ils se serrent la main.

Par Jonathan Lis, Liza Rozovsky et Avi Scharf

L’ancien Premier ministre britannique Tony Blair [Premier ministre de mai 1997 à juin 2007, envoyé spécial du Quartet pour le Moyen-Orient – Etats-Unis, UE, Russie, ONU – de juin 2007 à mai 2015] est devenu une figure familière dans les couloirs du pouvoir israélien au cours des deux dernières années. Tony Blair, figure clé dans l’élaboration des propositions internationales pour «l’après-guerre» à Gaza [voir à ce sujet l’article d’Anne Irfan publié sur ce site le 9 décembre] et architecte d’un plan d’administration internationale de la bande de Gaza, a rencontré fréquemment le Premier ministre Benyamin Netanyahou lors de ses visites en Israël tout au long de la guerre.

La dernière rencontre entre les deux hommes, révélée par Haaretz (21 novembre 2025), a eu lieu il y a environ deux semaines. Un examen du calendrier des réunions de Netanyahou pour 2024 montre que cela était loin d’être inhabituel: sept réunions entre eux ont été enregistrées au cours de l’année, ainsi que deux appels téléphoniques.

Le calendrier de Netanyahou pour 2025 n’a pas encore été divulgué, mais les registres des réunions de l’ancien ministre des Affaires stratégiques Ron Dermer [de 2022 à 2025, citoyenneté états-unienne et israélienne, Likoud], publiés à la demande de l’organisation à but non lucratif Hatzlacha, font état de trois réunions avec Blair au cours de l’année écoulée, chacune ayant eu lieu peu avant des réunions convoquées par le Premier ministre Netanyahou.

Ron Dermer s’est entretenu avec Tony Blair le 23 janvier, vingt minutes avant une réunion convoquée par le Premier ministre. Une semaine plus tard, le ministre Dermer a rencontré Blair peu avant une autre réunion avec Netanyahou, et le 20 mars, les deux hommes se sont entretenus environ une heure avant une autre réunion entre Dermer et Netanyahou.

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Les informations obtenues par Haaretz indiquent qu’au cours des derniers mois, Blair s’est également rendu à plusieurs reprises dans des pays de la région, ainsi qu’en Israël, et a visité des zones sous contrôle de l’Autorité palestinienne. Malgré cela, l’ancien dirigeant britannique a délibérément choisi de ne pas médiatiser ses activités.

En septembre dernier, avant l’annonce du plan de Donald Trump pour Gaza, une source politique israélienne a déclaré à Haaretz que les responsables américains envisageaient de confier à Blair la direction d’une administration temporaire dans la bande de Gaza, ajoutant qu’Israël «n’excluait pas une force internationale avec Blair».

Trump lui-même a mentionné le nom de Blair comme l’une des personnes susceptibles de participer au Comité de la paix qu’il prévoit de présider lors de la conférence de presse à la Maison Blanche, où il a présenté son plan en 20 points aux côtés de Netanyahou [le 29 septembre 2025]. Cependant, plusieurs sources ont ensuite affirmé que Blair avait été «écarté» en raison de l’opposition de l’Égypte à sa candidature.

Selon des sources qui se sont entretenues avec Haaretz ces derniers jours, Blair pourrait finalement être nommé à un poste de niveau intermédiaire au sein du Comité de la paix, qui comprendrait des personnalités du monde des affaires et des hauts responsables de plusieurs pays, aux côtés des conseillers de Trump, Steve Witkoff et Jared Kushner. Le Financial Times [8 décembre, «Tony Blair out of running for Gaza «board of peace»] a rapporté des informations similaires, ajoutant que la nomination de Blair à un poste de haut niveau avait été suspendue en raison de l’opposition de plusieurs pays musulmans.

Le milliardaire égyptien Naguib Sawiris [a fait ses études à l’EPFZ, citoyenneté égyptienne et du paradis fiscal de Grenade, propriétaire entre autres d’Orascom Telecom avec un réseau international], dont le nom figurait dans la proposition de Blair comme membre potentiel du conseil international chargé de superviser Gaza, était également en visite en Israël cette semaine. Le cabinet du Premier ministre israélien n’a pas répondu à la question de savoir si Naguib Sawiris avait rencontré Netanyahou pendant son séjour.

En octobre dernier, l’homme d’affaires a été cité dans les médias arabes, notamment Al-Masry Al-Youm, affirmant qu’il n’avait reçu aucune offre officielle et qu’il avait appris sa candidature potentielle par la presse. Il n’a toutefois pas exclu de rejoindre le Comité de la paix, précisant que la condition pour accepter un tel rôle serait une décision claire d’établir un État palestinien [ce que Netanyahou et son gouvernement rejettent].

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Blair dirige actuellement le Tony Blair Institute for Global Change (TBI), une organisation à but non lucratif [!] qui fournit des conseils stratégiques en matière de politique et de technologie dans plus de 45 pays. «Sans processus politique, la prochaine escalade entre Gaza et Israël n’est qu’une question de temps», écrivait l’institut dans un rapport publié en juin 2023, quatre mois avant le massacre perpétré par le Hamas le 7 octobre et la guerre qui s’en est suivie à Gaza.

L’un des principaux bailleurs de fonds du TBI est l’homme d’affaires Larry Ellison, fondateur du géant technologique Oracle [fortune estimée par le Financial Times à 393 milliards de dollars; transhumaniste, il est associé à Sam Altman d’OpenAI avec le projet de créer un géant de l’IA, Stargate Project]. Selon une enquête du consortium journalistique international Lighthouse Reports publiée en septembre, Ellison a versé 130 millions de dollars à l’institut de Blair entre 2021 et 2023 et s’est engagé à verser 218 millions de dollars supplémentaires dans les années à venir.

Blair lui-même ne perçoit pas de salaire de l’organisation, mais l’enquête a révélé qu’après les dons d’Ellison le personnel de l’institut est passé de 200 à environ 1000 personnes. Ellison, l’une des 10 personnes les plus riches du monde, figure comme témoin numéro 312 sur la liste des témoins à interroger dans le procès pénal de Netanyahou et est considéré comme proche du Premier ministre.

Comme l’a révélé Haaretz, Ellison aurait persuadé le milliardaire américain Arnon Milchan [1] de renoncer aux services de l’avocat chevronné Boaz Ben Zur afin qu’il puisse représenter Netanyahou dans ses affaires. [Ce dernier est devenu l’avocat de Netanyahou, comme le rapporte Le Monde du 6 avril 2021.]

À un moment donné, Netanyahou aurait tenté de convaincre Larry Ellison d’acheter le quotidien israélien Yedioth Ahronoth à l’éditeur Arnon Mozes, d’acquérir un site d’information israélien ou de créer une chaîne de télévision, mais ces projets ne se sont jamais concrétisés.

Leurs liens personnels se seraient poursuivis même après le début du procès: en août 2021, Yedioth Ahronoth a rapporté que Netanyahou, alors chef de l’opposition, avait passé environ deux semaines de vacances sur une île hawaïenne [Lana’i] appartenant presque entièrement à Ellison [il possède 98% de cette île depuis 2012], qui était déjà cité comme témoin à son procès. Netanyahou n’a pas démenti cette information.

Ellison est également connu pour être proche de Trump, qui devrait jouer un rôle clé dans l’administration de Gaza. En février 2020, Bloomberg a rapporté que des centaines d’employés d’Oracle avaient organisé une manifestation après avoir appris qu’Ellison avait organisé chez lui une collecte de fonds pour la campagne de Trump [voir aussi CNBC, 18 février 2020]

Sa proximité avec le président a également été évidente pendant le mandat actuel de Trump: en janvier, Ellison figurait parmi les chefs d’entreprise qui ont accompagné Trump lorsqu’il a annoncé une nouvelle initiative visant à investir dans des projets d’intelligence artificielle basés aux États-Unis. Oracle était également l’une des entreprises en lice pour racheter les activités américaines de TikTok lorsque Trump a cherché à contraindre la plateforme chinoise à vendre ses activités américaines à une entreprise locale [2]. (Article publié par Haaretz le 9 décembre 2025; traduction rédaction A l’Encontre)

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[1] Le Monde du 27 juin 2023 écrit: «Durant des années, jusqu’en 2016, Arnon Milchan [producteur de cinéma israélien] a offert à un rythme régulier au premier ministre et à son épouse, Sarah, du champagne rosé, des cigares et, à l’occasion, des bijoux, pour une valeur totale de plus de 180 000 euros, selon l’accusation. En échange, M. Nétanyahou est soupçonné d’avoir intercédé pour faire renouveler le visa américain de M. Milchan et d’avoir demandé la prolongation d’une loi d’exemption fiscale qui aurait bénéficié à l’homme d’affaires.» (Réd.)

[2] Le quotidien Ouest-France, le 22 septembre 2025, écrivait: «Washington a confirmé ce lundi 22 septembre que la filiale américaine de TikTok utiliserait bientôt une copie de l’algorithme que l’application chinoise utilise actuellement pour recommander des contenus à ses utilisateurs. Mais cette copie serait gérée par Oracle [firme de Larry Ellison], une entreprise américaine spécialisée dans le traitement des grandes bases de données et dans le cloud. Cette copie ne pourrait en plus pas être modifiée par Bytedance, la maison mère chinoise de TikTok. Les données des utilisateurs américains continueraient également à être stockées aux États-Unis, sur les infrastructures d’Oracle. Comme le note l’Agence France-Presse (AFP), cette formule permet de satisfaire le Congrès américain qui, en 2024, craignait de voir les autorités chinoises accéder aux données des utilisateurs américains ou modifier l’algorithme de l’application pour les influencer.» (Réd.)

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