Etats-Unis. «Les élu·e·s démocrates qui s’opposent à la présence de Netanyahou visent le premier ministre plus que le système qu’il représente»

Manifestation dans la rotonde du Capitole des Etats-Unis, édifice qui abrite le Sénat, la Chambre des représentants et la Cour suprême.

Par Prem Thakker

Washington est en ébullition avec des témoignages d’élus fédéraux qui ont choisi de ne pas assister au discours du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu devant le Congrès mercredi 24 juillet. Des dizaines d’élus envisagent de ne pas assister à ce discours, qui intervient quelques jours seulement après que la Cour internationale de justice (CIJ) a jugé l’occupation israélienne de la Palestine illégale et constitutive d’un apartheid [voir l’article publié sur ce site le 20 juillet] et neuf mois après une agression brutale au cours de laquelle Israël a tué près de 40 000 Palestiniens dans la bande de Gaza.

Les élus qui n’assisteront pas au discours de Netanyahou appartiennent au spectre idéologique qui va de la vice-présidente Kamala Harris aux membres du Squad [les neuf membres de la dite gauche du Parti démocrate, parmi lesquels se détachent Alexandria Ocasio-Cortez, Ilhan Omar, Rashida Tlaib]. La plupart des membres de la Chambre des représentants et du Sénat qui ont déclaré qu’ils n’assisteraient pas au discours – y compris le sénateur Dick Durbin, démocrate de l’Illinois [président de la Commission judiciaire du Sénat – ont invoqué particulièrement Netanyahou lui-même, qualifié de criminel de guerre ou ayant violé le droit international, plutôt que sur les exactions systémiques de l’Etat israélien contre le peuple palestinien [1].

La représentante Rashida Tlaib, la seule Palestinienne au Congrès, a été la plus franche dans l’explication de sa protestation. «Netanyahou est un criminel de guerre qui commet un génocide contre le peuple palestinien», a déclaré Rashida Tlaib dans un communiqué publié mardi. «Il est tout à fait honteux que des dirigeants des deux partis l’aient invité à s’adresser au Congrès. Il devrait être arrêté et envoyé à la Cour pénale internationale.»

Certains, comme les élus Cori Bush, démocrate du Missouri, et Alexandria Ocasio-Cortez, démocrate de New York, ont fait écho à l’opposition franche de Rashida Tlaib. La députée Ilhan Omar, démocrate du Minnsota, a déclaré qu’elle n’assisterait pas au discours et qu’elle avait donné ses droits d’invitation au membre de la famille d’un otage israélien. Plusieurs membres éminents du Congrès, dont le député Jerry Nadler, démocrate pour Brooklyn, New York, organiseront des contre-programmes avec les familles des otages israéliens au moment du discours de Netanyahu. Même l’ancienne présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, a déclaré que le Premier ministre israélien n’aurait pas dû être invité à s’exprimer (PBS News, 23 juin 2024).

«Benyamin Netanyahou est le pire dirigeant de l’histoire juive depuis le roi maccabéen qui a invité les Romains à Jérusalem il y a plus de 2100 ans», a déclaré Jerry Nadler. «Le Premier ministre met en péril la sécurité d’Israël, la vie des otages, la stabilité de la région et les normes démocratiques israéliennes de longue date, simplement pour maintenir la stabilité de sa coalition d’extrême droite et l’absoudre de ses propres ennuis judiciaires.»

Alors que Jerry Nadler a insisté sur le fait que lui-même n’avait «pas renoncé au rêve d’un Israël qui puisse vivre en paix avec ses voisins, y compris avec les Palestiniens, par le biais d’une solution négociée à deux Etats», sa déclaration, ainsi que celles d’un grand nombre d’autres personnes, n’a pourtant fait aucune mention de la violence de l’Etat israélien contre les Palestiniens.

La dernière fois que Netanyahou s’est rendu au Congrès, en 2015, près de 60 démocrates ont boycotté son discours, considérant qu’il s’agissait d’une attaque contre les efforts déployés par le président Barack Obama pour finaliser les négociations relatives à l’accord sur le nucléaire iranien. Aujourd’hui, le premier ministre israélien fait face à un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale et dirige un gouvernement auquel la CIJ a ordonné, il y a plusieurs mois, de mettre fin à tout acte de génocide à Gaza.

A maintes reprises, des organismes reconnus, qu’il s’agisse de tribunaux internationaux, d’organisations de défense des droits de l’homme ou des Nations unies, ont constaté que le gouvernement israélien commettait des violations des droits de l’homme. Même l’administration Biden, tout en fournissant un appui financier et politique à la guerre d’Israël contre Gaza, a admis qu’Israël avait tué des civils et probablement violé le droit international avec des armes états-uniennes (voir The Intercept du 10 mai 2024). Comme l’a souligné Rashida Tlaib dans sa déclaration de mardi, «depuis 1948, les Etats-Unis ont fourni plus de 141 milliards de dollars d’armes au gouvernement israélien pour financer le nettoyage ethnique des Palestiniens, dont 17,9 milliards de dollars depuis octobre [2023]» (voir U.S. Foreign Aid to Israel. Congressional Research Service, 1er mars 2023).

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Si cette réalité n’est peut-être pas au premier plan pour d’autres membres du Congrès, des manifestants de tout le pays sont venus à Washington cette semaine pour faire connaître leur opposition. Dans des entretiens avec The Intercept, les militants ont décrit Netanyahou comme un «symptôme» de la politique israélienne, et non comme le problème lui-même.

Mardi, un groupe d’anciens combattants américains [Veterans for Peace, dont le logo du site est Common Dreams. To inform. To inspire. To ignite change for the common good] s’est joint aux anciens combattants israéliens de Breaking the Silence [ONG israélienne créée en 2004 par des soldats qui recueillent des témoignages sur les activités de l’armée en Cisjordanie, à Gaza et à Jérusalem-Est] pour exhorter les membres du Congrès à soutenir un cessez-le-feu et à conditionner toute aide militaire future à Israël au respect du droit international et des droits de l’homme des Palestiniens. Les groupes ont également demandé au Congrès de rétablir le financement états-unien à l’UNRWA, une agence des Nations unies qui aide les Palestiniens et qui a fait l’objet d’attaques de la part de responsables israéliens et états-uniens.

«Nous sommes les soldats qui étaient postés aux checkpoints, qui ont fait des descentes dans les maisons, qui ont arrêté des enfants, qui ont détruit des villages palestiniens et qui ont combattu à Gaza», a déclaré Nadav Weiman, le nouveau directeur exécutif de Breaking the Silence (BTS), dans un communiqué. «Nous savons mieux que quiconque pourquoi nous devons mettre fin à l’occupation israélienne pour le bien de la société israélienne et de la société palestinienne. Nous ne pouvons pas vraiment être une démocratie au Moyen-Orient si nous continuons à occuper militairement le peuple palestinien depuis 57 ans.»

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Les anciens soldats n’étaient pas seuls au Capitole. Des centaines de Juifs – dont plus de deux douzaines de rabbins et d’étudiants en rabbinat – venus de tout le pays ont envahi la rotonde pour exiger un cessez-le-feu et un embargo sur les armes à destination d’Israël.

Interrogé sur la manifestation, l’élu Mike Lawler, républicain de New York, a laissé entendre que les manifestants – qui brandissaient des pancartes et portaient des chemises portant des inscriptions telles que «Juifs pour le cessez-le-feu» ou «Pas en notre nom» – étaient «pro-Hamas».

The Intercept a fait remarquer que la foule comprenait des rabbins et a demandé à Mike Lawler s’il pensait qu’ils étaient également pro-Hamas. «Ceux qui viennent ici en permanence, comme ils le font depuis le 7 octobre, pour protester contre l’Etat d’Israël et soutenir continuellement la propagande du Hamas, oui, ils sont pro-Hamas», a répondu Lawler.

Mike Lawler, qui est catholique, s’est demandé si les manifestants étaient même juifs, et a semblé suggérer que croire les manifestants qui se sont identifiés comme juifs revenait à faire confiance au nombre de morts annoncés par le ministère de la Santé de Gaza. (L’autorité sanitaire de Gaza fait depuis longtemps l’objet d’attaques de mauvaise foi de la part d’acteurs qui soulignent qu’il s’agit d’un organe du gouvernement du Hamas. Mike Lawler a également affirmé à tort que les Nations unies avaient réduit de 50% le nombre de morts enregistré par le ministère de la Santé; lorsque The Intercept lui a fait remarquer que ce n’était pas vrai, il s’est contenté de répondre «OK».)

Plusieurs manifestants ont déclaré à The Intercept que leur origine juive était précisément la raison pour laquelle ils protestaient.

Tal Frieden, dont les grands-parents étaient des survivants de l’Holocauste qui ont enduré les camps de travail nazis, a déclaré qu’ils étaient présents à la manifestation en raison des horreurs commises à Gaza et de ce dont on les avait alertés pendant leur enfance. Pendant toute mon enfance, on m’a dit que «plus jamais ça» signifiait «plus jamais pour personne».

Jay Saper, dont des membres de la famille ont été tués à Auschwitz, a déclaré qu’ils honoraient la mémoire de leurs ancêtres en faisant pression sur le Congrès et le président pour «arrêter d’armer Israël pendant qu’il mène un génocide contre les Palestiniens à Gaza. J’aime ma tradition juive parce qu’elle m’inspire. Elle me permet d’agir pour la justice.» (Article publié par The Intercept le 23 juillet 2024; traduction rédaction A l’Encontre)

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[1] Noa Landau dans un article de Haaretz du 25 juillet traduit avec justesse le contenu du discours de Netanyahou devant le Congrès des Etats-Unis: «Dans son discours, Netanyahou a d’abord cherché à dépeindre la guerre en termes universels, sans tenir compte des spécificités du conflit, une guerre entre les fils de la lumière et les fils des ténèbres, à la manière d’Hollywood, avec des motifs bibliques destinés à ravir les républicains chrétiens [voir à propos du puissant courant sioniste évangéliste aux Etats-Unis l’ouvrage de Jean-Pierre Filiu Comment la Palestine fut perdue. Et pourquoi Israël n’a pas gagné. Histoire d’un conflit (XIX-XXIe siècle), Le Seuil, février 2024].

»Netanyahou a ensuite délivré ce message, à savoir qu’il s’agit d’une guerre par procuration de l’Iran contre les Etats-Unis. Israël mène la guerre de l’Amérique, Israël défend l’Amérique, notre guerre est leur guerre, notre victoire sera leur victoire. Par conséquent, nos armes sont vos armes. Livrez-les dès que possible.

»Dans ce cadre de la guerre de Gaza, Netanyahou a poussé à l’extrême le rôle d’Israël en tant que protectorat pro-américain qui vise à servir les intérêts régionaux de son maître et qui a pourtant été abandonné sans assistance militaire adéquate.

»Outre l’appel aux armes sur la colline du Capitole, Netanyahou a cherché dans son discours à rallier le soutien des Américains contre les procédures engagées devant les deux tribunaux internationaux de La Haye. Ces procédures menacent Israël, mais aussi le premier ministre personnellement en raison de la possibilité que la Cour pénale internationale émette un mandat d’arrêt qui l’empêcherait de voyager librement dans le monde.

»En outre, Netanyahou a cherché à justifier le maintien du contrôle israélien sur la bande de Gaza pour une durée indéterminée. Contrairement à ses dénégations vigoureuses selon lesquelles Israël n’a pas l’intention d’y rétablir des colonies, ce que Netanyahou appelle la démilitarisation et le contrôle de la sécurité par Israël peuvent très rapidement ouvrir la voie à de véritables implantations. Tout comme l’annexion de facto de la Cisjordanie, la colonisation de facto commence toujours sous le couvert de la sécurité…» (Réd.)

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