Etats-Unis. Les banques présentes dans les magasins Walmart accumulent les bénéfices grâce aux frais de découvert des consommateurs «à faibles revenus»

Par Sam Knight

Trois banques nationales associées à Walmart sont entièrement dépendantes des frais de découvert (de leur compte bancaire) extorqués aux acheteurs à faible revenu.

First Convenience Bank, Academy Bank et Woodforest National Bank ont toutes trois réalisé plus de 100% de leurs bénéfices en 2020 et 2019 grâce aux frais de découvert, selon une étude publiée plus tôt cette année par la Brookings Institution. Comme le souligne le rapport, ces banques «avaient des revenus liés aux frais de découvert encaissés supérieurs au revenu net total (ce qui signifie qu’elles ont perdu de l’argent sur toutes les autres facettes de leur activité)».

La recherche a été citée par le sénateur Chris Van Hollen (démocrate du Maryland) lors d’une audience de surveillance du 3 août 2021 devant la commission bancaire du Sénat, audience à laquelle ont participé les principaux régulateurs financiers. Le directeur par intérim de l’Office of the Comptroller of the Currency (OCC- placé sous la tutelle du département du Trésor), Michael Hsu, a critiqué les «frais excessifs sur les découverts bancaires» et a déclaré au sénateur Chris Van Hollen que son agence «examine de très près» la question.

«Ces institutions particulières ont été identifiées, ainsi que d’autres pratiques. Nous allons utiliser toute la gamme de nos outils, notre boîte à outils de supervision, pour y remédier», a déclaré Michael Hsu. «Certaines de ces pratiques ont été identifiées depuis un certain temps et nous y travaillons», a-t-il ajouté.

Chris Van Hollen a posé une question sur la sécurité et la solidité des banques dont la rentabilité dépend de certaines sources de revenus. Michael Hsu a répondu qu’il s’agissait d’une préoccupation légitime, mais il a fait remarquer qu’il ne pouvait pas commenter des cas spécifiques ou des «informations confidentielles sur la supervision».

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On sait depuis longtemps que les banques liées aux magasins de Walmart sont généralement les plus grandes collectrices de frais de découvert du pays. Mais ce nouvel examen minutieux intervient alors que Walmart tente d’étendre sa portée dans le secteur des services financiers. Au début de cette année, la firme a annoncé qu’elle lançait une nouvelle branche «fintech» (technologie financière) visant à offrir à ses clients des «solutions financières abordables». Truthout a demandé à Walmart de commenter les remarques de Michael Hsu. Cette histoire sera mise à jour si un représentant de l’entreprise répond.

L’étude de la Brookings ne s’est pas concentrée seulement sur Walmart, qui reste la plus grande entreprise au monde en termes de revenus et de personnes employées, malgré l’expansion rapide d’Amazon au cours des deux dernières décennies. L’étude a cherché à savoir quelles entreprises tirent la majeure partie de leurs bénéfices des frais de découvert. Elle a constaté que les trois premières sont toutes des partenaires de Walmart. First Convenience, Academy et Woodforest sont également les seules banques aux Etats-Unis dont les revenus issus des frais de découvert dépassent 100% des bénéfices totaux, les pénalités (pour frais de découvert) prélevées par les deux premières dépassant 200% des bénéfices de chaque entreprise. Tant Woodforest que First Convenience commercialisent sur leurs sites Internet les services qu’elles proposent aux caisses de Walmart.

L’auteur de l’étude, Aaron Klein, chercheur principal à la Brookings, a déclaré que les banques qui tirent l’essentiel de leurs revenus des frais de découvert ressemblent davantage aux «prêteurs sur salaire» [prêt à court terme d’un montant relativement peu élevé accordé à un taux d’intérêt très élevé] qu’aux banques traditionnelles. Les prêts sont généralement le service financier le plus lucratif offert par les banques.

«Elles sont une combinaison de prêteurs sur salaire et d’encaisseurs de chèques, dont le modèle économique repose sur un seul produit assorti d’un taux d’intérêt annuel très élevé, payé uniquement par les personnes à court d’argent», a déclaré Aaron Klein à propos de ces banques. Il a donné un exemple: des frais de découvert de 35 dollars pour faciliter un achat de 25 dollars, ce qui équivaut à un taux d’intérêt annuel (TAEG) de 25 000%. En comparaison, les coopératives de crédit proposent des prêts à court terme de faible montant dont le taux d’intérêt annuel est plafonné à 28%.

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Aaron Klein a fait remarquer que des recherches antérieures ont montré que 9% des personnes sont responsables de 80% de tous les frais de découvert, ce qui montre comment les frais de découvert conduisent à un cycle d’endettement similaire à celui qui piège les emprunteurs de prêts sur salaire. Une autre étude récente du Financial Health Network a montré que 43% des ménages à faibles revenus ont déclaré avoir eu des découverts au cours de l’année écoulée, avec 9,6 découverts en moyenne.

Le Consumer Financial Protection Bureau a également publié en avril 2021 une étude montrant que de nombreuses personnes à faible revenu évitent d’ouvrir un compte bancaire par crainte d’encourir des frais de découvert, ce qui les amène à payer pour des «services que les ménages bancarisés reçoivent couramment sans frais», tels que l’encaissement de chèques, les transferts d’argent et les cartes de débit prépayées pour effectuer des achats en ligne.

En 2014, les frais de découvert des banques présentes dans les magasins Walmart ont fait l’actualité nationale lorsqu’une analyse publiée par le Wall Street Journal (11 mai 2014) a montré comment ces sociétés avaient des revenus de pénalités de découvert disproportionnés, et comment elles étaient effectivement utilisées par les clients de Walmart comme alternatives aux prêteurs sur salaire. L’article indiquait que la grande majorité des succursales de First Convenience, Academy et Woodforest étaient situées à l’intérieur de magasins Walmart.

En 2010, la plus grande et la plus dépendante de Walmart des trois, Woodforest, a payé 33 millions de dollars pour régler les dénonciations de l’OCC concernant des pratiques trompeuses et des frais de découvert excessifs. La société a modifié ses pratiques, mais l’OCC a réglé l’affaire sans que la banque ait à admettre ou à nier les accusations portées contre elle. Robert Marling, alors PDG de Woodforest, a déclaré au Wall Street Journal en 2014 qu’il était conscient que des personnes utilisaient sa banque comme substitut à un prêteur sur salaire. Woodforest permet aux gens d’être à découvert jusqu’à 500 dollars moyennant des frais de pénalité.

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Walmart est devenue la plus grande entreprise du monde en 2002, au plus fort de la poussée de déréglementation de l’ère néolibérale, après qu’une série d’accords de libre-échange a conduit à la délocalisation de la production opérée aux Etats-Unis et à la croissance de l’économie de services du pays.

L’entreprise s’est également hissée au sommet de la liste Fortune 500 grâce à une stratégie agressive de réduction des coûts, en pressurant les fournisseurs et en menant d’impitoyables campagnes de démantèlement syndical. Walmart a fermé des magasins et des divisions entières plutôt que de négocier avec les travailleurs et travailleuses qui votent pour obtenir le droit de se syndiquer. Aucun·e du 1,5 million des salarié·e·s de la firme aux Etats-Unis n’appartient à un syndicat. Les nouveaux employés ont également été contraints de regarder une vidéo de formation dénigrant la négociation collective. Le résultat a été le maintien de salaires de misère pour les employé·e·s de Walmart. Selon une étude publiée en novembre 2020 par le Government Accountability Office, aucune autre entreprise ne compte autant d’employés bénéficiant de programmes d’aide sociale sous condition de ressources, tels que Medicaid et les coupons alimentaires. Depuis 2017, Walmart offre à ses employé·e·s une alternative aux frais de découvert et aux prêts sur salaire sous la forme d’avances sur salaire dont le taux d’intérêt varie entre 6 et 36%. Environ 27% des effectifs de l’entreprise, soit 380 000 employés, ont utilisé ce service en 2019.

Après avoir conquis la plus grande part du marché de la vente au détail, Walmart a cherché à créer sa propre banque en demandant une charte bancaire fédérale en octobre 2005. L’entreprise a retiré sa demande en mars 2007 après avoir subi des pressions de la part des législateurs et des régulateurs. Mais avec le développement des entreprises fintech, Walmart n’a pas besoin de demander une charte bancaire pour étendre la gamme de services financiers qu’il propose. Les entreprises fintech peuvent être réglementées en tant que fournisseurs des banques. L’une de ces entreprises, Chime, a récemment fait l’objet d’un examen minutieux de la part de ProPublica [site spécialisé en journalisme d’enquête d’intérêt public] après avoir reçu un grand nombre de plaintes pour avoir restreint l’accès de ses clients à leur argent.

Walmart a déclaré, en février 2021, qu’il n’avait pas l’intention de demander une charte pour devenir une société de prêt industriel [ILC- institution financière qui prête de l’argent et peut appartenir à des institutions non financières] après avoir renforcé son équipe fintech en embauchant deux banquiers expérimentés de Goldman Sachs. (En décembre 2020, la Federal Deposit Insurance Corporation a facilité l’accès des entreprises non financières aux ILC, qui peuvent agir comme des banques sans être surveillées par la Réserve fédérale). Les observateurs du secteur ont également déclaré que Walmart ne semble pas intéressé par la création de sa propre banque, mais plutôt par le renforcement des services qu’il propose par le biais d’une application pour smartphone. Cela pourrait donner à l’entreprise et à ses partenaires des occasions supplémentaires de soutirer des frais bancaires très élevés aux clients, sans être soumis à la surveillance qui s’exerce sur les banques normales.

Mais il n’est pas clair comment le paysage réglementaire se présentera pour l’entreprise fintech de la société si les fonctionnaires répriment les pénalités élevées des banques partenaires dont les modèles d’affaires ressemblent à ceux des prêteurs sur salaire. «Les frais excessifs sur les découverts, les prêts prédateurs, les pièges à dettes à coût élevé: toutes ces choses devraient être interdites», a déclaré Michael Hsu à l’élu du Maryland Van Hollen. «Elles n’ont pas leur place dans le système bancaire fédéral.» (Article publié sur le site Truthout, le 5 août 2021; traduction rédaction A l’Encontre)

Sam Knight est journaliste, rédacteur et cofondateur de The District Sentinel, une coopérative d’information sur la vie politique à Washington et la politique fédérale.

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