Etats-Unis. La question de l’expulsion des syndicats policiers de l’AFL-CIO

Par Candice Bernd

Le Comité exécutif du MLK Labour (Martin Luther King County Labor Council) fédère plus de 150 syndicats rassemblant 100’000 travailleurs dans la région de Seattle (Washington). Il a adopté, jeudi 4 juin, une résolution fixant un ultimatum à la Seattle Police Officers Guild (La guilde des fonctionnaires de police de Seattle): soit elle engage la lutte contre le racisme systémique de la police de Seattle, soit elle assume le risque d’une expulsion.

La Police Officers Guild représente les agents de police de Seattle. Elle négocie leurs contrats de travail. Elle fait partie du MLK labour depuis six ans.

La résolution souligne: «Contrairement à la déclaration [de la Guilde], les événements récents ne sont pas dus à quelques “malfaiteurs”». La résolution affirme clairement: «Nos policiers sont suréquipés d’armes mais dépourvus d’outils pour démanteler le racisme dans leurs propres rangs ou pour fournir les services dont notre communauté a besoin.»

La résolution exige, avant quinze jours, une rencontre entre les membres de la Guilde et le Comité exécutif, leur participation à un atelier de lutte contre le racisme institutionnel et les met en garde sur le fait que «leurs contrats ne leur permettent pas d’échapper à leur responsabilité légale». Le Comité exécutif donne jusqu’au 17 juin à la Guilde pour adopter ces mesures. Faute de quoi, il se prononcera sur l’opportunité d’exclure la Guilde.

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Le Comité exécutif a également présenté une liste de demandes à Jenny Durkan [démocrate, elle fut nommée par Barack Obama comme procureur du district ouest de Washington, avec un mandat allant de 2009-2014], maire de Seattle [depuis fin novembre 2018], qui concernent la lutte contre les violences commises par la police de Seattle. Il demande également au procureur de la ville, Pete Holmes, d’abandonner les accusations portées contre des personnes arrêtées lors des manifestations à Seattle et d’engager une série de réformes de la police, dans le but de prioriser «leur engagement à développer dans la ville des pratiques non répressives.»

«En tant que dirigeante noire dans le mouvement syndical et dans le domaine des soins de santé, je me suis battue pour appliquer une optique de justice raciale à tous les aspects du travail que je dirige», a déclaré Jane Hopkins, vice-présidente exécutive du Service Employees International Union (SEIU) Healthcare, 1199NW local. «Je ne peux pas me démener la tête haute contre cette maladie sans reconnaître la pandémie au sein de la pandémie: le racisme systémique. Nous devons faire le travail difficile mais nécessaire de faire appel à nos frères et sœurs pour faire respecter la loi.»

Le Comité exécutif avait auparavant exhorté les membres du conseil municipal de Seattle à ratifier un contrat controversé avec la Guilde, il y a deux ans, qui avait à la fois réduit mais aussi codifié certaines mesures de responsabilisation de la police, en disant que le contrat mettrait en place des «réformes historiques de la surveillance de la police» pour un département qui devait être mis «en conformité pleine et effective» avec une ordonnance fédérale.

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Toutefois, les animateurs des manifestations doutent que les services de police puissent être réformés ou «enjoints» à lutter efficacement par eux-mêmes contre le racisme systémique.

Par sa remise en question d’un syndicat de police, cette résolution est néanmoins l’une des plus énergiques de toutes celles qu’ont pu formuler des fédérations syndicales affiliées à l’AFL-CIO.

Elle est adoptée alors même que le président de l’AFL-CIO, Richard Trumka, vient de refuser d’expulser l’International Union of Police Associations – et d’autres syndicats d’organismes cgargés du maintien de l’ordre public – de l’AFL-CIO, la plus grande fédération syndicale des États-Unis.

Richard Trumka a déclaré à l’agence Bloomberg, vendredi 5 juin, qu’il ne couperait pas les liens avec les syndicats de police parce que «les policiers et tous ceux qui travaillent pour gagner leur vie ont le droit de négocier des conventions collectives» et que «la meilleure façon d’utiliser notre influence contre l’inconduite policière est de débattre avec nos adhérents policiers plutôt que de les isoler.»

Il a déclaré mercredi 3 juin aux dirigeants syndicaux et aux journalistes que «la réponse n’est pas d’exclure et de condamner» les syndicats de police, tout en implorant simultanément les responsables syndicaux à lutter contre le racisme.

Richard Trumka a félicité la Fédération syndicale du Minnesota pour avoir exclu Bob Kroll, le président ouvertement raciste de la Fédération des policiers de Minneapolis. Il a également déclaré que le mouvement syndical doit jouer un rôle central au sein du mouvement pour la justice raciale «parce que protester contre la brutalité raciale, qu’elle soit le fait d’un policier, d’un voisin ou d’un employeur, n’est pas seulement une bonne action. C’est un devoir».

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Dimanche dernier, des manifestants ont mis le feu au siège de l’AFL-CIO à Washington, D.C., ils ont brisé ses fenêtres et écrit «Black Lives Matter», sur sa belle entrée de la 16e rue. Bien que les motivations de l’incendie restent floues, cette action a permis d’examiner de plus près le partenariat et l’affiliation des organisations de la police avec la confédération.

La résolution de l’Union syndicale MLK Labour exprime une des ruptures les plus importantes avec la direction de l’AFL-CIO en demandant à un syndicat de police affilié à la confédération syndicale «qu’il reconnaisse que le racisme est un problème structurel dans notre société comme dans le maintien de l’ordre public» et que ce syndicat porte activement préjudice aux communautés noires. The Seattle Police Officers Guild n’a pas répondu à la demande de commentaires que lui a adressée Truthout.

Faye Guenther, présidente de l’United Food and Commercial Workers Local 21 (UFCW 21), a déclaré: «Les travailleurs ne seront pas en mesure de comprendre comment s’organiser efficacement si nous ne sommes pas en mesure de comprendre comment éliminer le racisme au sein de notre mouvement, comment évoluer vers une position antiraciste et comment nous lier aux communautés dans lesquelles vivent nos collègues». Sa structure a soutenu la résolution du MLK Labour aux côtés du Service Employees International Union (SEIU) Healthcare 1199NW et d’autres syndicats.

Faye Guenther affirme que l’UFCW 21 a travaillé dans le cadre d’un processus de «vérité et de réconciliation» nécessaire en raison de la longue histoire de racisme des syndicats. L’UFCW 21 s’efforce de faire adopter un certain nombre de résolutions au sein du Conseil syndical de l’État de Washington, la branche de Washington de l’AFL-CIO, appelant à des actions qui la feront évoluer en tant qu’organisation antiraciste.

La section locale (l’UFCW 21) a également adopté une résolution lors de la convention de 2018 de sa structure internationale (Etats-Unis et Canada) s’engageant: à dresser un inventaire complet de ses propres inégalités structurelles concernant les questions de race; à créer un forum de discussion sur les questions raciales; et à offrir une série de formations contre les préjugés raciaux et dans le domaine de la justice.

Faye Guenther a cité, comme exemple des actions dont le mouvement syndical a besoin actuellement, les chauffeurs de bus affiliés à la section locale 100 du Transport Workers Union et à l’Amalgamated Transit Union à New York et à Minneapolis qui ont refusé de transporter la police et des manifestants arrêtés. «Voilà les actes de solidarité que les travailleurs doivent entreprendre pour regagner la confiance de nos communautés», a-t-elle déclaré.

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Les services de police américains restent l’un des secteurs les plus syndiqués du pays. Ils réunissent des centaines de milliers de policiers au plan national, des Etats et local. Le plus grand syndicat de police du pays, le Fraternal Order of Police, compte plus de 340 000 membres. Derek Chauvin, l’ex-fonctionnaire du département de police de Minneapolis qui a tué George Floyd le mois dernier, était membre de ce syndicat.

En continuant d’affilier des syndicats de police, Richard Trumka et d’autres dirigeants syndicaux trahissent les attentes des manifestants et de certains des adhérents de la confédération, notamment la section locale 2865 de l’United Auto Workers qui souhaitent que l’organisation prenne position et se sépare des centaines de milliers de policiers syndiqués.

La réticence de Trumka survient alors que la décision de la Cour suprême 2018 Janus vs. AFSCME [1] contribue à l’érosion syndicale dans le secteur public.

Pourtant, les militant·e·s pour la justice raciale soutiennent que le moment est venu de «les exclure» et qu’il est déjà arrivé à l’AFL-CIO de procéder à une telle mesure, comme ce fut le cas avec les Teamsters [syndicat des camionneurs gangréné par des pratiques mafieuses] et d’autres syndicats.

Faye Guenther affirme qu’au lieu de compter sur les policiers pour gonfler les adhésions, le mouvement syndical doit devenir antiraciste, s’impliquer dans les communautés et les mouvements de justice sociale pour assurer son avenir et sa croissance.

«Les travailleurs doivent nettoyer leur propre maison», a-t-elle déclaré. «Nous avons besoin de personnes de bon cœur et de bonne volonté, et de personnes qui croient en l’équité raciale, l’équité entre les sexes, l’équité LGBT et l’équité trans pour rejoindre notre mouvement et nous aider à reconstruire notre capacité de lutte contre la cupidité des entreprises, pour réaffirmer notre pouvoir, pour disposer d’un atout antiraciste, pro-démocratie et être l’âme humaniste du mouvement ouvrier.»

En outre, a-t-elle déclaré: «Il existe un lien direct entre [les lois] du droi autravail [le Right-to-work] et la dégradation des conditions des travailleuses et des travailleurs de couleur». Elle relève qu’à l’origine de ces lois, qui sapent la force des syndicats, on trouve le l’entrepreuneur et lobbyiste républicain Vance Muse [2], qui recourait à des arguments ségrégationnistes contre la syndicalisation pour faire passer la première loi sur le droit au travail au Texas. «Le droit au travail est totalement ancré dans la suprématie blanche et le racisme» souigne Faye Guenther.

De surcroît, des militant·e·s ont souligné qu’en général les syndicats de policiers ne se retrouvent pas aux côtés du mouvement syndical au sens large. Au contraire, ils répriment activement les travailleurs et travailleuses, les battent, et les assassinent dans la rue. Les policiers ont longtemps été utilisés pour briser les grèves, pour tuer des grévistes, comme ils l’ont fait à l’occasion de soulèvements historiques, tels que le massacre de Lattimer en 1897, la bataille de Blair Mountain en 1921 et la grève de l’acier à Chicago en 1937.

Dans une large mesure, les syndicats de police travaillent à la seule protection des leurs. Les contrats collectifs qu’ils négocient protègent des fonctionnaires racistes qui, bien qu’ayant tué, ont été absous de toute responsabilité. Ils contribuent au caractère structurel de la suprématie blanche au sein des services de police tout en militant pour leur assurer des salaires et des avantages sociaux qui souvent excèdent ceux d’autres fonctionnaires, comme les employé·e·s des services médicaux d’urgence, ou les éducateurs et éducatrices.

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Certes, Richard Trumka a dénoncé la violence perpétrée par la police dans le passé. Après le soulèvement de Ferguson en 2014, Trumka a noté que Darren Wilson [abattu le 9 août 2014 par six coups de feu tirés par Darren Wilson, policier à Ferguson, Missouri] et la mère de Michael Brown étaient tous deux membres du syndicat, disant: «Notre frère a tué le fils de notre sœur», en septembre dernier. «Nous n’avons pas à attendre le jugement des procureurs ou des tribunaux pour nous dire à quel point c’est terrible.» Au cours de son mandat de président des United Mineworkers of America, il a critiqué la brutalité policière contre un mineur en grève lors de la grève du charbon de Pittston en 1989.

Pourtant, au coeur des soulèvements historiques de ces deux dernières semaines, ces banales critiques et des affirmations d’antiracisme dépourvues d’actions audacieuses ne sont qu’un écho des paroles creuses de l’homme de la rue.

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Si le Comité exécutif de la MLK vote le 17 juin pour exclure la Seattle Police Officers Guild, ce sera une première chargée d’une formidable signification: ce serait la première fois dans ce pays qu’un syndicat de police serait exclu d’une union syndicale. (Article publié sur le site de Truthout, le 6 juin 2020; traduction rédaction A l’Encontre)

Cadice Bernd est rédactrice en cheffe et reporter à Truthout. Ses articles sont également publiés dans plusieurs autres publications, parmi lesquels The Nation, In These Times, le Texas Observer, Salon, Rewire. News, Sludge, YES! Magazine et Earth Island Journal.

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[1] Janus v. American Federation of State, County, and Municipal Employees, Council 31 est une jurisprudence du droit du travail concernant le droit des syndicats de percevoir des cotisations auprès de non-membres afin de conduire des négociations collectives. La décision implique un recul important des ressources des syndicats pour leurs campagnes de mobilisations et d’adhésions. (Réd. A l’Encontre)

[2] Vance Muse (1890-1950) était un homme d’affaires américain et un lobbyiste conservateur qui a inventé le mouvement de droite (Right-to-work) contre la syndicalisation des travailleurs américains et a contribué à l’adoption des premières lois antisyndicales au Texas. Muse a été rédacteur en chef de The Christian American. Il a travaillé pour le Southern Committee to Uphold the Constitution (SCUC), qui a utilisé une rhétorique à la fois antisémite et anti-noir dans son travail de lobbying contre la réélection de Franklin D. Roosevelt. Il a utilisé des points de vue ségrégationnistes dans sa campagne anti-syndicale déclarant que: «Désormais, les femmes et les hommes blancs seront contraints de travailler dans des organisations avec des singes noirs africains qu’ils devront appeler “frères” ou perdre leur emploi.» (Réd. A l’Encontre)

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