Deux mois après que les magasiniers d’Amazon à travers le monde ont déclenché une grève d’une journée, le grand «perturbateur» fait face à une autre perturbation sur son lieu de travail, cette fois-ci par des techniciens à son siège de Seattle.
Le groupe Amazon Employees for Climate Justice a annoncé cette semaine qu’il se joindrait à la Grève mondiale pour le climat du 20 septembre, menée par Greta Thunberg, une militante de 16 ans. Les employés demandent à Amazon de s’engager à ne plus émettre d’émissions d’ici à 2030, d’annuler les contrats douaniers de l’entreprise qui accélèrent l’extraction du gaz et du pétrole, et de cesser de financer les lobbyistes et les politiciens qui nient la crise climatique.
L’année dernière, des techniciennes et techniciens de base de Google se sont mis en grève pour dénoncer le harcèlement sexuel et les ventes aux centres de détention de migrant·e·s par le détaillant en ligne Wayfair. Les travailleurs de la technologie ont également organisé un mouvement plus large appelé #TechWontBuildIt pour s’opposer aux contrats avec l’Immigration and Customs Enforcement et la Customs and Border Protection des Etats-Unis.
Mais selon le collectif Amazon Employees for Climate Justice, la grève de la semaine prochaine sera la première de la part des salarié·e·s des bureaux de l’entreprise, ainsi que la première grève dans l’industrie des technologies ayant trait à la crise climatique. Plus de 1000 employé·e·s se sont actuellement engagés à participer via un formulaire en ligne.
L’action est née d’une initiative prise par les employé·e·s d’Amazon plus tôt cette année pour faire adopter une résolution d’actionnaires demandant à Jeff Bezos (le patron d’Amazon) de créer un plan complet concernant les changements climatiques. Après qu’un groupe de salarié·e·s a annoncé son intention d’introduire cette résolution, Amazon a réagi en annonçant un programme «Shipment Zero» visant à rendre 50% de ses livraisons neutres en carbone d’ici à 2030. En avril, plus de 8000 employé·e·s d’Amazon ont signé une lettre ouverte dans laquelle ils se moquaient de l’insuffisance de ce plan et demandaient à l’entreprise de faire davantage.
En mai, les actionnaires ont voté contre la résolution sur le climat, mais le groupe a continué à s’organiser en tant qu’Amazon Employees for Climate Justice (AECJ).
Dans la publication In These Times, Catherine Han, développeuse de logiciels chez Amazon, a parlé de la grève historique et de ce qu’implique l’organisation des salarié·e·s de la branche technologique
Rebecca Burns: Avez-vous déjà participé à des activités d’organisation ou à des actions en milieu de travail?
Catherine Han: Non, c’est la première fois que je participe à quelque chose de la sorte.
Comment vous êtes-vous impliquée dans Amazon Employees for Climate Justice?
La gestion de l’environnement a toujours été quelque chose qui m’a passionnée. Mais j’avais surtout fait du bénévolat – avec différents groupes de conservation, d’entretien de sentiers, des choses comme ça. Rien de super formel.
Au travail, beaucoup de mes collègues sont très soucieux de l’environnement. Nous avions beaucoup de conversations sur les changements climatiques et ce que nous pourrions faire, mais c’était toujours d’un point de vue personnel. Rejoindre un collectif sur le lieu de travail ne m’était pas vraiment venu à l’esprit.
J’ai entendu parler de ce groupe après l’annonce de la lettre aux actionnaires l’an dernier. M’impliquer a été une expérience vraiment révélatrice pour moi. Nous apportons une voix à cet énorme problème qui, jusqu’à présent, ressemblait à un grand nombre de préoccupations individuelles.
Pourquoi le groupe a-t-il décidé de faire la grève?
L’appel à l’action ayant trait à la grève pour le climat est vraiment venu des jeunes qui l’organisaient. Ils ont lancé un appel à l’action en faveur d’un mouvement mondial, et nous voulions faire preuve de solidarité et répondre à cet appel. Et nous voulons aussi pousser Amazon à faire preuve de leadership en matière de climat.
A-t-il été difficile d’organiser des collègues de travail?
Il y a eu beaucoup de réponses très positives et beaucoup de discussions faciles.
Je pense que certaines des réactions les plus négatives ou les plus hésitantes viennent souvent de personnes qui n’ont aucune expérience de l’action organisée. Donc c’est juste de l’inconfort face à l’inconnu.
Je pense qu’il y a un large consensus sur le fait qu’être un·e salarié·e du secteur technologique dans l’une des entreprises technologiques parmi les plus puissantes au monde offre une occasion d’accroître la visibilité de la crise climatique et de montrer ce que nous attendons de notre leadership.
Si nous pouvons nous unir et prendre un engagement à l’échelle de l’entreprise pour atteindre l’objectif de zéro émission d’ici à 2030, cela permettra aux salarié·e·s de trouver les mesures précises dont nous avons besoin pour y parvenir.
Que pensez-vous de la réponse d’Amazon à la crise climatique? Votre groupe a souligné certains des problèmes concernant le plan «Shipment Zero» annoncé par Amazon plus tôt cette année. L’entreprise s’est engagée à rendre la moitié de ses expéditions neutres en carbone d’ici à 2030, par exemple, mais cela pourrait encore signifier une augmentation nette des émissions si les expéditions continuent à augmenter.
Pour nous, étant donné les données scientifiques et le temps qu’il nous reste pour avoir un impact substantiel sur la trajectoire de la crise climatique, «Shipment Zero» est loin d’être assez agressif.
L’important, c’est qu’il s’agissait d’une réponse à la lettre aux actionnaires. L’une des plus grandes leçons que j’ai tirées de l’expérience est que l’action organisée fonctionne. Suite à la lettre aux actionnaires, nous avons eu une réponse positive d’Amazon. Pour moi, c’était vraiment stimulant. Et cela me rend optimiste au sujet de la grève et de son impact.
Est-ce la première fois que vous avez vu le succès de l’action collective?
J’ai vraiment vu le pouvoir de l’action organisée il y a quelques années lors de la marche des femmes. Je suis allée à la marche de Seattle et c’était l’une des premières actions organisées à laquelle j’avais participé. Voir le pouvoir du nombre m’a vraiment ouvert les yeux.
Mon expérience avec le mouvement pour le changement climatique au sein d’Amazon a été similaire. Pour beaucoup de gens, c’est la première fois qu’ils participent à une action organisée comme celle-ci. Je pense que trouver une voie et une voix ensemble a été une expérience très transformatrice pour beaucoup de gens qui sont impliqués.
Plus tôt cette année, des travailleurs de toute l’Europe, ainsi que du Minnesota et de Chicago, ont organisé des débrayages coordonnés et d’autres actions lors du Prime Day [le jour spécial de soldes d’Amazon]. Les conditions de travail dans les entrepôts d’Amazon sont souvent très mauvaises. Et il y a beaucoup de problèmes de justice environnementale qui y sont associés: les entrepôts sont plus susceptibles d’être situés dans des quartiers à faible revenu et des communautés de couleur; de provoquer de la pollution atmosphérique, du bruit, de mettre en question la sécurité routière et d’autres problèmes dans les environs des dépôts.
Pensez-vous que l’organisation de la grève que vous faites peut être liée à celle des magasiniers?
Amazon Employees for Climate Justice était définitivement en faveur des grèves. Nous nous concentrons sur la justice climatique, et une partie de la crise climatique est qu’il y a un impact disproportionné sur les communautés appauvries.
Nous avons publié une déclaration de solidarité qui l’exprime clairement. La voici:
«Apporter notre soutien à nos collègues du Minnesota fait naturellement partie de nos priorités en matière de justice climatique. Nous ne pouvons pas créer une approche durable et à long terme pour faire face à la crise climatique sans nous attaquer aux inégalités raciales et économiques structurelles qui font partie de notre système d’extraction – de l’énergie, des ressources et du travail humain – qui a causé la crise.» (Article publié dans In This Times le 14 septembre 2019; traduction rédaction A l’Encontre)
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