Par Luis Feliz Leon et Lisa Xu
A 10 heures le lundi 23 octobre, les travailleurs sortis en masse de l’usine d’assemblage de Sterling Heights (SHAP), près de Détroit, où ils construisent le pick-up Ram 1500.
«C’est le bon moment maintenant», a déclaré Crystal Pasarcik, secrétaire de la section locale 1700 de l’UAW (United Auto Workers), qui représente les travailleurs et travailleuses de l’usine. «Certains jeunes nous ont relancés tous les jours, se demandant quand nous allions débrayer», a déclaré Charles Archard, délégué syndical de la première équipe (délégué à temps plein). Ils nous disaient: «Nous croyons savoir que General Motors et Ford sont venus à la table de négociations avec de nouvelles concessions et que Stellantis [Peugeot-Citroën et Fiat Chrysler] n’en voulait pas, alors nous devons frapper là où ça faisait mal.»
Ils rejoignent les 34 000 membres de l’UAW qui tiennent déjà des piquets de grève dans six usines d’assemblage des Big 3 [Ford, GM et Stellantis] et dans 38 entrepôts de distribution de pièces détachées dans tout le pays.
Le président de la section locale, Charles Bell, pense qu’il est «très probable» que la grève de SHAP sera la goutte d’eau qui fera déborder le vase chez Stellantis. «Nous produisons les véhicules les plus rentables de l’entreprise, en grandes quantités», a-t-il déclaré. «Ce type [le PDG Carlos Tavares] n’a pas apprécié lorsque son salaire a été révélé, au moins 26 millions de dollars.»
SHAP travaille 24 heures sur 24, en trois équipes, avec de nombreuses heures supplémentaires le samedi.
Pas de routine
Le syndicat a rompu avec sa pratique d’entrer en grève le vendredi, avec ce débrayage et le précédent au Kentucky Truck de Ford, le mercredi 11 octobre.
Les débrayages précédents avaient déjà fait avancer the Big 3 sur des questions clés: les salaires, les niveaux, les ajustements au coût de la vie (COLA), la reconversion des travailleurs temporaires en travailleurs à temps plein, le droit de grève lors de fermetures d’usines et l’intégration des véhicules électriques dans l’accord-cadre.
Mais l’UAW a déclaré que Stellantis avait été ciblé parce que cette firme avait la «pire proposition» sur la table de négociation concernant l’indexation au coût de la vie, la rémunération des travailleurs et travailleuses temporaires, la reconversion des travailleurs temporaires en travailleurs permanents et la progression vers les salaires les plus élevés pour les travailleurs nouvellement embauchés.
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Vendredi, le président de l’UAW, Shawn Fain, dans son intervention habituelle sur Facebook Live, a fait valoir que le syndicat pourrait obtenir davantage s’il tenait plus longtemps dans les négociations. «En fin de compte, nous avons encore des cartes à jouer et ils ont encore de l’argent à dépenser», a-t-il déclaré.
Selon Charles Archard, la Ram 1500 peut coûter 75 000 dollars: «Si vous gagnez 15,78 dollars, les travailleurs supplétifs ne peuvent pas se l’offrir. Selon Stellantis, le terme «supplémentaire» désigne les travailleurs temporaires qui sont engagés sur appel. Ils peuvent faire beaucoup d’heures supplémentaires ou ne rien faire du tout.
La section locale 1700 a une histoire plus militante que la plupart des sections locales de l’UAW. Elle a été le fer de lance du rejet par la base du contrat national 2015 chez Chrysler, ce qui a forcé les négociateurs à revenir à la table des négociations pour obtenir un meilleur accord. En 2009, lorsque Chrysler a annoncé la fermeture de l’usine, la campagne «Keep SHAP Open» a été victorieuse. Et les dirigeants locaux se sont opposés aux concessions nationales de 2007 qui ont mis les travailleurs et travailleuses de l’automobile dans le pétrin aujourd’hui.
Grèves et profits au troisième trimestre
Ford et GM présenteront leurs résultats du troisième trimestre à Wall Street cette semaine. Un analyste de la banque JPMorgan estime que les pertes dues à la grève s’élèvent à 145 millions de dollars chez Ford et à 191 millions de dollars chez GM, et qu’elles pourraient atteindre 500 millions de dollars au quatrième trimestre.
«Nous avons mis à l’arrêt leur plus grande usine et ils n’ont rien apporté de nouveau à la table des négociations», a déclaré Shawn Fain à propos de Ford vendredi dernier, en faisant référence à la grève enclenchée précédemment à l’usine de camions du Kentucky. «Ils veulent juste nous faire patienter… Ils veulent diviser. Ils veulent la peur et l’incertitude. Ce que nous avons, nous, c’est la solidarité.»
«Nous avons fait très attention à la manière dont nous avons intensifié cette grève», avait-il déclaré au début du mois d’octobre. «Nous avons conçu cette stratégie pour accroître la pression sur les entreprises, non pas pour leur faire du mal, mais pour les faire bouger. Pour les amener à dire ‘oui’ quand elles veulent dire ‘non’.»
Charles Bell a déclaré que son usine était divisée sur la question de savoir qui soutenir lors du premier tour de l’élection à la direction de l’UAW l’année dernière. Mais les membres sont maintenant de grands fans de Shawn Fain: «Ils aiment le Facebook Live. Les mises à jour hebdomadaires ont rendu les choses beaucoup plus transparentes. Ce n’est pas quelque chose qu’ils ont vu auparavant.» Shawn Fain lui-même insiste toujours sur la rupture du syndicat avec son passé [peu démocratique avec des éléments de corruption].
Où en sont les négociations?
Vendredi soir, l’UAW a publié des mises à jour détaillées sur les négociations avec GM, Ford et Stellantis. Plus tôt dans l’après-midi, Shawn Fain a déclaré sur Facebook Live que le syndicat avait reçu de nouvelles offres de la part de GM et de Stellantis.
L’une des nouveautés chez GM est la proposition de faire passer tous les travailleurs temporaires actuels et futurs au statut de travailleurs permanents, au bout d’un an. Actuellement, les travailleurs peuvent rester intérimaires pendant des années. Les intérimaires ayant effectué 1000 heures de travail seraient également éligibles à la participation aux bénéfices. Ford a proposé de rendre les intérimaires éligibles à la participation aux bénéfices au bout de 90 jours. En outre, la rémunération des intérimaires chez GM serait portée à 21 dollars de l’heure, ce qui correspondrait à l’offre de Ford. Chez Stellantis, le salaire des intérimaires est toujours fixé à 20 dollars.
La circulaire des syndicats indique que GM est «très proche» de rétablir la formule COLA de 2009 [indexation au coût de la vie], mais qu’il reste encore des «améliorations» à faire. Chez Stellantis, la formule COLA ne s’applique pas lors de la première année, ce que l’UAW a qualifié d’«insuffisant». Ford, qui a accepté de rétablir la formule COLA de 2009, est considéré comme le modèle à suivre pour Stellantis et GM.
Les trois entreprises proposent des augmentations salariales de 23% sur une période de cinq ans, ce que l’UAW juge insatisfaisant. Ford a également établi un modèle en réduisant de huit à trois ans le délai nécessaire aux travailleurs et travailleuses nouvellement embauchés pour accéder aux salaires les plus élevés. Stellantis en est à quatre ans, tandis que GM propose la progression salariale après trois ans pour les nouveaux engagés actuels et quatre ans pour les futurs, ce que l’UAW rejette.
GM reste le seul à refuser le droit de grève à l’occasion de fermetures d’usines, bien qu’il soit également le seul à avoir accepté d’intégrer la production de batteries pour véhicules électriques dans l’accord-cadre des trois grands.
Les trois entreprises sont à la traîne en ce qui concerne l’amélioration des salaires des retraités.
Des grèves en dehors des Big 3
Pendant ce temps, 3900 membres de l’UAW dans six usines de camions Mack Trucks en Pennsylvanie, au Maryland et en Floride entrent dans leur troisième semaine de grève, après avoir rejeté un accord de principe à 73%.
Par ailleurs, 1000 travailleurs de Blue Cross Blue Shield of Michigan [assurance maladie] sont en grève depuis près de six semaines.
Cent quatre-vingt-dix travailleurs de ZF Chassis Systems en Alabama, un fournisseur de Mercedes-Benz, viennent de ratifier leur contrat après un mois de grève.
A Detroit, 3700 travailleurs de casinos représentés par les syndicats qui forment le Detroit Casino Council (DCC) sont en grève depuis près d’une semaine. Le DCC comprend l’UAW, UNITE HERE Local 24, Teamsters Local 1038, Operating Engineers Local 324 et le Michigan Regional Council of Carpenters.
1100 autres membres de l’UAW travaillant pour General Dynamics dans le Michigan, l’Ohio et la Pennsylvanie sont parvenus à un accord de principe aujourd’hui, après avoir voté à 97% en faveur de la grève. Les membres de l’UAW dans cette entreprise fabriquent des chars et des véhicules blindés légers.
Dans le secteur universitaire, 1600 chercheurs postdoctoraux, boursiers et chercheurs associés de l’université de Columbia ont voté à 98% en faveur de la grève. Ils travaillent depuis juin dans le cadre d’un contrat qui a expiré. (Article publié sur le site Labor Notes, le 23 octobre 2023 ; traduction rédaction A l’Encontre)
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