Etats-Unis-débat. Sanders peut-il atténuer l’effet de la vague Biden?

Joe Biden, un parcours et une classe…

Par Jeet Heer

La consolidation rapide des démocrates modérés derrière Joe Biden après sa victoire dans les primaires démocrates de Caroline du Sud a créé l’un des renversements politiques les plus rapides de l’histoire. Samedi, le 29 février, Bernie Sanders était le favori pour remporter la plupart des Etats lors du Super Tuesday [le mardi 3 mars avec des primaires dans 14 Etats]. Puis, il y a eu la forte victoire de Joe Biden en Caroline du Sud et une série de soutiens venant de la part de rivaux qui ont abandonné ­– Amy Klobuchar, Pete Buttigieg, Beto O’Rourke [puis le retrait de Michael Bloomberg déclarant son ralliement à Biden] – et des anciens du parti (tel l’ancien sénateur Harry Reid de l’Etat du Nevada et chef des démocrates au Sénat de 2005 à 2017).

Cette vague de soutien a relancé la campagne de Biden. Lors du Super Tuesday, Biden a remporté l’Alabama, l’Arkansas, le Maine, le Massachusetts, le Minnesota, la Caroline du Nord, l’Oklahoma, le Tennessee et la Virginie. Sanders l’a remporté dans un plus petit nombre d’Etats: Colorado, Utah et Vermont. La Californie et le Texas établiront les décomptes des voix pendant encore plusieurs jours, mais il semble que Sanders ait remporté la Californie, tandis que Biden a remporté une victoire serrée au Texas. Les résultats globaux donneront probablement à Biden une avance de 100 «points» dans la course des délégués.

La nuit du mardi 3 mars a été difficile pour Bernie Sanders, qui est clairement en position d’outsider à présent. La campagne de Biden, qui a eu du mal à trouver des fonds, va maintenant voir l’argent affluer. Biden pourra non seulement se présenter en tant que premier de la course, mais aussi faire valoir de façon plausible qu’il est le candidat de l’unité, puisqu’il a remporté un nombre impressionnant de victoires dans divers Etats, tout en gagnant sur ses anciens rivaux. Maintenant que Michael Bloomberg a lui aussi abandonné et l’a soutenu, Biden va recevoir un autre coup de pouce, puisqu’il va probablement recueillir la plupart des électeurs de Bloomberg [et des fonds de ce dernier].

Mais la course est loin d’être terminée. La victoire de Sanders en Californie et son résultat très proche au Texas témoignent d’une campagne beaucoup plus diversifiée et dynamique que celle de 2016. Toutefois, si la campagne de Sanders veut réduire l’écart, elle devra repenser certains domaines stratégiques fondamentaux.

La campagne de M. Sanders prenait appui sur un champ politique démocrate fragmenté [nombre de candidat·e·s en course]. Elle s’est trouvée sous le coup du regroupement, en un clin d’œil, des candidats modérés [voir à ce sujet l’article de William Rivers Pitt publié sur ce site en date du 28 février 2020]. Pour surmonter cette consolidation, la gauche doit, elle, aussi se consolider. La question ouverte est de savoir ce que fera Elizabeth Warren. Le conseiller de Sanders, Faiz Shakir, a déclaré au New York Times du 3 mars: «Nous respectons toute décision qu’elle prendra, et elle doit être autorisée à le faire.» Il a ajouté qu’elle «devrait disposer du temps et de l’espace» pour décider sa voie. Mais si Elizabeth Warren abandonne et soutient Sanders, il aura plus de facilité à consolider la gauche.

Sanders devra également remanier sa campagne, en écartant des thèmes comme la révolution politique et en se concentrant plus spécifiquement sur la question de son éligibilité. Heureusement, il y a de quoi travailler. Sanders est un débatteur plus redoutable que Biden. Ce contraste sera visible s’ils apparaissent sur scène dans un tête-à-tête. En outre, Sanders peut mettre en évidence les positions impopulaires de Biden sur la réduction de la sécurité sociale, ainsi que son soutien à la guerre en Irak. A l’approche des primaires au Michigan et en Pennsylvanie, Sanders peut également souligner le soutien de Biden à l’ALENA [Accord de libre-échange nord-américain entré en vigueur en 1994], impopulaire auprès de la classe ouvrière de ces Etats.

Comme l’a souligné Eric Levitz dans le New York Magazine, la posture de Sanders en tant que «révolutionnaire politique» a réduit sa capacité à attirer les fidèles du Parti démocrate. Levitz affirme que «pratiquement tous les sondages dont nous disposons sur les électeurs aux primaires démocrates fiables suggèrent qu’une grande majorité d’entre eux se soucient beaucoup plus de battre Donald Trump que de gagner une lutte fratricide pour l’âme du Parti démocrate au nom du socialisme. Et ces sondages suggèrent également que ces démocrates étaient assez ouverts à l’idée que Sanders était leur meilleure chance d’unifier le parti et de battre Trump.»

Si Levitz a raison, alors le meilleur pari de Sanders est de centrer le reste de la bataille des primaires sur l’éligibilité. Certes, Biden serait en mesure de répondre avec ses propres arguments sur l’éligibilité en faisant appel à l’auto-identification de Sanders comme socialiste et sur ses commentaires radicaux passés qui ne plaisent pas aux centristes [les références de Sanders sur le système de santé à Cuba ou la campagne d’alphabétisation]. Mais la réponse appropriée à cela est qu’il y a peu de preuves que les électeurs se soucient de ces questions. En revanche, ils se soucient beaucoup de la sécurité sociale, des guerres sans fin au Moyen-Orient et des accords de libre-échange qui ont ravagé l’économie du Midwest [les Etats de la côte des Grands Lacs, et la majeure partie de la Corn Belt, soit l’Iowa, l’Indiana, l’Illinois et l’Ohio].

L’autre argument clé de l’éligibilité concerne la nature de la coalition de Sanders. Comme aucun autre candidat, Sanders attire des électeurs et électrices de moins de 45 ans. C’est maintenant la plus grande cohorte de l’électorat. Toutefois, ils ont un taux de participation beaucoup plus faible que leurs aînés. Sanders pourrait soutenir de manière plausible que les démocrates partisans plus âgés sont susceptibles de voter quel que soit le candidat, comme ils l’ont fait en 2016 et lors des élections de mi-mandat de 2018, parce qu’ils détestent Donald Trump. Mais les jeunes électeurs sont plus disputés: ils peuvent se rendre aux urnes ou non. Pour maximiser l’impact de la coalition démocrate, le parti doit donc choisir quelqu’un qui attire les jeunes.

La dernière chose que Sanders doit faire est de moduler le message de son propre côté afin qu’il soit plus centré sur les problèmes et évite les attaques inutiles contre les démocrates modérés. Mardi soir, Marianne Williamson, partisane de Sanders, a déclaré sur un tweet: «Ce n’était pas une renaissance [de la candidature de Biden], c’était un coup d’Etat. Le Russiagate [soupçon de collusion entre des membres de l’équipe Trump et la Russie lors des élections de 2016] n’était pas un coup d’Etat. Robert Mueller [procureur qui mena l’enquête sur le Russiagate] n’était pas un coup d’Etat [selon la formule de Trump]. La destitution n’était pas un coup d’Etat. Ce qui s’est passé hier [la cascade de ralliements à Biden] était un coup d’Etat. Et nous allons le repousser.» Williamson a ensuite supprimé le tweet. Ce genre de langage immodéré et conspirateur mine toute possibilité pour Sanders de se présenter comme un unificateur.

Sanders est en retard. Mais il est toujours l’un des deux candidats qui ont une chance de remporter l’investiture démocrate [lors de la Convention démocrate du 13 au 16 juillet 2020]. Dès lors, il doit présenter des arguments qui convaincront les personnes extérieures au bercail qu’il est celui qui peut rassembler le parti. (Article paru dans The Nation en date du 4 mars 2020; traduction par la rédaction Alencontre; The Nation est une publication historique de tonalité social-démocrate qui s’adresse, entre autres, à l’aile «gauche» du Parti démocrate).

Jeet Heer est le responsable pour les questions nationales auprès de The Nation.

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