Des stocks d’armes nucléaires qui débordent

Explosion d’une «bombe française» à Mururoa (Arch. gvt français)

Par Claude Angeli

Un conseiller de l’état-major dénonce la course aux armements les plus fous, pratiquée par trois grandes puissances.

«En dix mois, grâce à Donald Trump, (nous avons redécouvert) les abysses de la guerre froide.» Lors de conversations avec ses collègues militaires, ce conseiller de l’état-major français a accusé le président américain de jouer avec le feu. Et il a fait référence à deux décisions que celui-ci a prises, sans même se préoccuper, comme d’habitude, des positions de ses alliés. En mai 2018, Trump a en effet retiré la signature des Etats-Unis du texte qui place toujours sous contrôle international les recherches nucléaires de l’Iran. Puis, en février 2019, il a rompu l’accord avec la Russie [1] qui limitait le déploiement, par les deux pays, des armes nucléaires dites «intermédiaires» (entre 500 et 5500 kilomètres de portée).

«C’est une vraie défaite pour les architectes de la non-prolifération nucléaire (…), et le monde doit apprendre à vivre sur un volcan», se désole le même diplomate. Plusieurs membres de l’état-major des armées en rajoutent, qualifiant l’attitude de Donald Trump de «faute politique». Car le risque est grand, estiment-ils : chacun va vouloir accroître et moderniser ses stocks d’armes de destruction massive.

Les Russes, par exemple. Déjà accusés de posséder un missile – le Novator 9M729 – dont la portée dépasse les 5500 kilomètres «autorisés», ils continuent de développer leur arsenal. Le ministre de la Défense, Sergueï Choïgou, a annoncé la mise au point d’un nouveau missile de croisière et d’une merveille de technologie, le missile intercontinental Avangard, qui sera hypersonique (cinq fois la vitesse du son) et impossible à intercepter, ce dont s’est publiquement félicité Vladimir Poutine.

Service à deux missiles

Mais les Etats-Unis demeurent les plus ambitieux en la matière. Non content d’avoir lancé, l’an dernier, la production de quelques milliers de mini-bombes nucléaires, le Pentagone prévoir un perfectionnement à grand prix de ses armements.

Selon les services français de renseignement, les prévisions de ces paniers percés s’élèvent à 13’000 milliards de dollars d’investissement pendant les trente prochaines années. Parmi les objectifs envisagés : une meilleure efficacité des bombes et des missiles guidés par laser. Par ailleurs, les militaires américains envisagent d’utiliser une charge nucléaire dite «de faible intensité» (70 fois la bombe d’Hiroshima, quand même) que pourront projeter les sous-marins, les navires et les avions de l’US Air Force.

Assurance sur la vie de Kim

Malgré la militarisation à outrance, dénoncée par les Américains, de leur marine, de leur aviation et de leur armée de terre, les Chinois préfèrent rester discrets sur le montant de leurs dépenses. Mais, comme chacun s’en doute, ils sont en train de moderniser, eux aussi, leurs armes nucléaires et d’augmenter le nombre des missiles intercontinentaux chargés de répandre le feu sur les cibles les plus éloignées du sol chinois.

Nouveau membre de ce club, le jeune et rigolard Kim Jong-Un. Les quelques bombes nucléaires qu’il possède – une cinquantaine selon les services de renseignement militaire US – et les missiles à longue portée dont il dispose lui ont permis de protéger son régime et sa famille, ce que n’avouera jamais Donald Trump, qui s’apprête à le rencontrer au Vietnam les 27 et 28 février et en dit encore le plus grand bien.

L’amiral Robert Abrams, patron des 28’500 militaires américains qui campent en Corée du Sud, reçu le 15 février par la commission des Forces armées du Sénat, s’est montré bien plus méfiant que son président. «Les dirigeants de la Corée du Nord, a-t-il affirmé devant ces élus, n’ont à ce jour montré aucun changement vérifiable de leur pratique ni même la volonté de commencer à dénucléariser leur pays

Aucun Etat ne l’admettra publiquement, mais cette nouvelle guerre froide engendre des dépenses folles, et la France devra aussi y mettre le prix afin d’améliorer son propre arsenal. Dire qu’on nous rebat les oreilles avec la situation déplorable de la planète et ces trop nombreux pays – africains et autres – où des millions de personnes crèvent de faim et parfois de soif, sans jamais rêver d’armement nucléaire…

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A Paris, états-majors, services de renseignement et diplomates établissent le même pronostic. Après leur récente défaite en Syrie et en Irak, les djihadistes de Daech et d’Al-Qaida vont tenter de rejoindre l’Afghanistan et la Libye, où ils possèdent déjà des «filiales» très actives. Alerte générale à Kaboul et au Sahel. (Article paru dans Le Canard enchaîné, en date du 20 février 2019)

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[1] Réd. A l’Encontre. Le 28 octobre 2018, le professeur assistant à l’Université Webster à Genève, Lionel Fatton, écrivait, dans une tribune publiée dans Le Temps: «La position américaine envers le FNI est plus sensée quand la Chine est incluse dans l’équation. Cette dernière s’est depuis plusieurs années efforcée de mettre au point une stratégie dite de «déni d’accès et d’interdiction» dédiée à empêcher la force de frappe des Etats-Unis, incarnée par ses groupes aéronavals, de se rapprocher de ses côtes. Au centre de cette stratégie se trouvent des missiles balistiques et de croisière à portée intermédiaire, parfois appelés «tueurs de porte-avions». Sans la capacité de menacer le territoire chinois avec des outils conventionnels, Washington perd un levier important dans le bras de fer engagé avec Pékin pour la domination de la région Asie-Pacifique. […] La logique transactionnelle de Donald Trump est ici évidente. L’objectif premier en se retirant du FNI n’est pas de condamner une quelconque violation russe, mais bien de poser les bases d’une future négociation sur le contrôle des armements avec la Chine. Les Etats-Unis pourront alors compter sur le soutien indirect de la Russie, désireuse de maintenir les accords bilatéraux stratégiques, pour amener Pékin à discuter, tandis que Washington se trouvera en position de force dans les dynamiques trilatérales grâce à une accélération «justifiée» de son programme de missiles à portée intermédiaire. Diviser pour régner.

L’obsession de l’hégémon américain en déclin envers son principal concurrent chinois pourrait avoir des conséquences graves pour la stabilité internationale. Non seulement une course aux armements en Europe et en Asie est à prévoir, mais les autres traités de contrôle des armements auxquels les Etats-Unis sont partie seront aussi fragilisés. La prochaine victime en sera certainement le traité New Start, qui régule le nombre d’armes stratégiques nucléaires déployées par les Etats-Unis et la Russie et qui expire en 2021.»

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