Venezuela. Examen de la «liberté d’expression»

Par Marcelino Bisbal

Nous sommes conscients du fait que le mot flash vient de l’anglais et qu’il s’agit d’un usage non nécessaire dans notre langue. Mais le terme est déjà d’usage commun parmi nous pour signifier la présence d’un «dispositif lumineux avec un clignotement bref et intense très désagréable pour les yeux». Dans le domaine journalistique, le Dictionnaire de l’Académie royale espagnole nous indique que le mot est utilisé pour donner une nouvelle de dernière minute, de dernière heure. C’est aussi un bref aperçu. Nous, nous désirons utiliser le terme flash parce que, comme nous l’avons dit précédemment, son usage est si fréquent qu’il se confond avec le mot flas en espagnol.

Face à une réalité qui se modifie aussi rapidement et de façon si contradictoire, la capacité de comprendre et de trouver des réponses va toujours plus lentement que les faits qui se succèdent et qui font l’actualité. C’est ce qui se produit dans la situation de profonde crise que vit notre pays. Au cours des deux premiers mois de cette année 2017, nous avons reçu et subi tant de mauvaises nouvelles qu’une de plus ou de moins…

Nous allons présenter maintenant trois flashes sur ce qui s’est passé dans l’espace communicationnel, qui est constitué par les domaines de la liberté de communiquer, la liberté d’expression, le droit à l’information et à la communication, le droit de savoir, et, comme l’exprimait Manuel Caballero par le droit de rendre visible sa passion pour la compréhension des choses [M. Caballero, 1931-2010, historien connu pour ses ouvrages sur le Venezuela; il a reçu, en 1994 et 2005, le Prix national d’histoire. Il a adopté à la fin de sa vie une position très critique face à l’administration «chaviste». Son ouvrage, datant de 1987, La Internacional Comunista y la revolución latinoamericana, 1919- 1943, a été longtemps une référence].

Flash 1

Il existe dans le pays plusieurs ONG (Espace Public, Institut presse et société Venezuela et Programme vénézuélien d’éducation en droits humains) qui se sont consacrées à l’étude et à l’analyse de la liberté d’expression. Ce sont des organisations non gouvernementales qui, de manière minutieuse, systématique et pointue, nous ont aidés à diagnostiquer l’état de santé de la communication de masse dans le Venezuela qui compte aujourd’hui dix-huit années de révolution bolivarienne. La conclusion que nous livrent les études de ces organisations (études qui chaque année sont présentées aux Vénézuéliens), c’est que les faits de violation du droit à la liberté d’expression et du droit à l’information sont en train de croître de la même manière qu’est en train de croître la crise politique et économique.

Par exemple, Espace Public nous indique que l’année passée est l’année où il y a eu le plus de situations de violation de la liberté d’expression et d’information avec 366 incidents enregistrés. Sur 15 années d’investigation, cette année 2016 se situe ainsi au troisième rang des années comptant le plus de cas. Le type de violation le plus fréquent est celui de la violence physique à l’égard des journalistes, des reporters, des médias et des «info-citoyens», avec un total de 187 violations impliquant intimidation, agression et attaque. Cela équivaut à 51% du total. La censure, le harcèlement judiciaire, les restrictions légales et administratives composent la violence dite institutionnelle, violence qui est exercée par diverses instances du gouvernement dans le cadre de ses fonctions en tant qu’Etat. Il y a eu un total de 112 violations de ce type, ce qui a représenté 31%.

Les violations contre la liberté de communiquer concernent aussi le monde digital. Espace Public nous indique aussi qu’au long de l’année 2016, il y a eu 19 violations dans le monde de l’Internet; 8 hacks de comptes personnels et de sites web, 3 interdictions de diffusion d’information par des chaînes de télévision, 4 menaces de harcèlement concernant des reportages, 2 restrictions et avertissements administratifs pour utilisation de réseaux sociaux et 2 détentions pour diffusion d’information au travers de Twitter. Quant à ce type de violation, l’organisation non gouvernementale Institut presse et société Venezuela nous a récemment rafraîchi la mémoire en nous rappelant que «depuis le sommet du gouvernement des pressions [étaient] faites afin que la communication sur Internet soit surveillée et soit régulée l’utilisation des réseaux sociaux et des microblogs servant de canal d’expression pour les citoyens».

Les données enregistrées confirment ce qu’avait exprimé le chercheur Antonio Pasquali [auteur de Comprendre la communication, 2009] quand il avait dit que «ces indicateurs [avaient] la précieuse caractéristique non seulement de confirmer la systématicité des violations à la libre-communication mais aussi de nous révéler combien de démocratie nous [était] retirée à chaque fois».

Flash 2

Voici l’image: vous avez devant vous Diosdado Cabello (président de l’Assemblée nationale de 2012 à 2016) vêtu avec un habit militaire de camouflage. Il a le poing gauche levé vers le ciel. A côté de lui, il y a d’autres petites statues sur le bureau: parmi elles ressortent celles de Hugo Chávez et de Simon Bolivar. De l’autre côté, une sculpture de petite taille qui représente le corps entier de Hugo Chavez: il a la main gauche l’air en signe de triomphe. A l’arrière, servant de fond, les yeux de l’ex-président Chávez. Devant et au premier plan, le hashtag (ou étiquette) où figure la phrase: «AquiNoSeHablaMalDeChavez» [Ici on ne parle pas mal de Chavez].

Cette description correspond au programme télévisé «Con el Mazo Dando» [«En donnant le coup de massue»]. Il est diffusé tous les mercredis par la VTV [chaîne publique Venezolana de Televisión] et dure un peu plus de deux heures (de 9 heures du soir jusqu’à passé 11 heures et demie). Ce programme vient de fêter son anniversaire. Il a fait sa première apparition le 10 février 2014 avec le message suivant: «Ce programme est un hommage au commandant Hugo Chávez, un hommage à la patrie. C’est un hommage offert en reconnaissance pour le travail qui a été accompli pendant des années par le Président Chávez avec le peuple du Venezuela, peuple qu’il a accompagné, instruit et guidé. Alors que personne encore ne voulait écouter le peuple, il en a été la voix et en défendant ce peuple, Chavez s’est converti en image de celui-ci.»

D. Cabello lors de son émission

Cela fait donc trois ans qu’il parle d’une révolution qui n’a jamais eu lieu, en utilisant un langage insultant et chargé de ressentiment social. Les mots qui se répètent le plus dans chaque émission sont: «la droite», «les fascistes», «les déstabilisateurs», «les aigris», «les conspirateurs», «la guerre économique», «les infiltrés», «les militants de la droite nationale et internationale»… Ses sources d’information sont les suivantes: les dits «patriotes coopérants», les «informateurs tactiques qui sont partout» et les «collaborateurs cybernétiques». La page web du programme justifie ce langage et ces sources par le message de motivation suivant: «L’objectif de “Con el Mazo Dando” n’est pas seulement de défendre la patrie et la vérité, mais de montrer les trucs sournois de la droite et de la guerre impérialiste qui porte atteinte à la paix et à la vie des Vénézuéliens

L’Institut Presse et Société Venezuela a conduit à une analyse de trente éditions de cet espace télévisé, diffusées entre le 1er janvier et le 31 août 2015. Ses conclusions furent que dans ce laps de temps «le Président du Parlement (à cette époque il l’était encore) [avait] lancé 1539 accusations contre des citoyens de différents secteurs politiques, économiques et sociaux, en se basant sur des témoignages de supposés patriotes coopérants fonctionnant comme délateurs anonymes et remplissant des fonctions de surveillance et d’intelligence policière. Ces accusations ont été élaborées sur environ 90 heures de programmation, ce qui représente presque quatre jours de transmission en continu

Au bout de trois ans, le Président a eu ces mots pour les concepteurs du programme: «Puissiez-vous poursuivre dans le futur, avec persévérance, loyauté, discipline et amour de la patrie.» Que pouvons-nous dire de plus? Tout commentaire serait de trop.

 

Flash 3

Nous avons un gouvernement qui, tout au long de l’année 2016, a commis 366 violations contre la liberté d’expression tout en soutenant l’existence d’un programme tel que «Con el Mazo Dando». Et cela sur la principale chaîne de télévision de l’Etat, chaîne qui devrait appartenir à tous les Vénézuéliens. Que peut-il encore arriver?

C’est pourtant arrivé. Le 15 février 2017, la Commission nationale de télécommunications (Conatel) a suspendu les transmissions de la chaîne de télévision CNN en espagnol [CNN est de même attaquée par D. Trump…] sur tout le territoire national et a commencé à coordonner avec les prestataires de services d’Internet le blocage du site de cette chaîne.

CNN a alors commencé à s’agiter en en appelant à la Constitution, à la Loi sur la Responsabilité sociale à la radio, à la télévision et sur les médias électroniques ainsi qu’à d’autres normes sur le thème de la communication et de ses contenus. Leur ont alors été opposées les raisons de toujours: la distorsion de la réalité, l’incitation à la haine et à la violence, le fait de générer un climat d’intolérance, l’absence d’information véridique et un large, etc.

Ce n’est pas le premier média qui est réduit au silence par ordre de l’exécutif. D’abord ce fut RCTV [Radio Caracas Televisión Internacional], ensuite ce furent 32 stations émettrices radiophoniques et une chaîne de télévision régionale. Puis ce fut [la chaîne de nouvelles] NTN 24 de Colombie et maintenant la censure a atteint CNN. Toujours selon des informations de l’Institut Presse et Société Venezuela et le quotidien EL Nacional, au moment où se produit ce processus de décisions politiques, un total de 138 médias ont été affectés par une mesure de ce genre: 26 chaînes de TV, 87 stations radiophoniques, 2 portails web et 16 entreprises de télécommunications.

Tous les médias gouvernementaux et ceux qui sont alignés sur le pouvoir se sont joints aux attaques portées contre CNN et ont justifié les mesures prises à son encontre. Il n’y a pas eu d’enquête sur les faits reprochés à la chaîne d’informations. Il a été supposé d’entrée que ce qui était dit dans le cadre d’un travail journalistique était de la manipulation et du mensonge informatif. Ainsi, le Venezuela peut se mettre aujourd’hui à la table des pays où l’on a censuré CNN: Cuba, l’Iran, la Corée du Nord et la Syrie. Cela parce que nous ressemblons de plus en plus aux régimes établis dans ces pays.

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Ces trois flashes, commentés de manière très schématique, font partie d’une longue liste de violations contre l’ordre juridique établi, et en particulier contre les principes de la Constitution pour tout ce qui a trait à la liberté d’expression, à la censure et à l’autocensure, à la pluralité, à l’information et la communication en tant que droit humain… Tout contribue à essayer de justifier le désordre:on cherche à empêcher toute pensée critique et/ou à la réduire au silence. Umberto Eco le disait, quand il parlait des dictatures où la critique est interdite et les médias qui ne traitent pas le gouvernement avec des gants blancs sont fermés ou simplement censurés. Et il concluait en affirmant que toute critique peu aimable arme la main d’un fanatique. Ne serions-nous pas par hasard dans les mains de fanatiques?

Corollaire. Ce que nous avons pointé dans ces trois flashes est la négation de tout principe démocratique. (Article publié dans Prodavinci, le 4 mars 2017; traduction A l’Encontre; Marcelino Bisbal est professeur titulaire de l’Université centrale du Venezuela; spécialisé dans la sociologie de la communication, auteur de nombreux ouvrages et articles sur les systèmes de «communication de masse» en Amérique du Sud)

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