Venezuela. «Avec de moins en moins de voix, le chavisme concentre de plus en plus de pouvoir»

Par Ociel Alí López

Les élections législatives qui se sont tenues au Venezuela le dimanche 6 décembre n’ont pas provoqué de surprises. Tout s’est passé comme prévu par les principaux acteurs: le triomphe de la coalition au pouvoir, le Grand Pôle Patriotique Simón Bolívar, avec 69,25% des voix. Et une abstention de 70%, selon les chiffres officiels.

Le parti officiel, qui a été victorieux, a obtenu environ 1,5 million de voix de moins que lors des élections législatives de 2015, où, paradoxalement, il a été solidement battu. L’explication est simple: cette fois-là, l’abstention n’était que de 25%.

Le grand perdant du jour est l’opposition électorale. Ses deux coalitions, Alianza Democrática et Venezuela Unida (dont les directions ont été reformatées par le gouvernement), ont obtenu respectivement 18,76% et 4,19% des voix [respectivement 1’163’363 suffrages et 260’604], ce qui est loin de la victoire de la Table d’unité démocratique (Mesa de la Unidad Democrática, MUD) aux élections législatives de 2015, qui a remporté 56% des voix.

La forte abstention donne un certain répit au secteur majoritaire de l’opposition, qui avait demandé de ne pas se rendre aux urnes dimanche. Afin de mesurer leur force face au parti au pouvoir, ceux dirigés par Juan Guaidó placent maintenant leurs espoirs dans l’appel à une consultation populaire qui se terminera sous la forme d’une mobilisation, le samedi 12 décembre.

L’échec des modérés

L’opposition qui était favorable à la participation à ces législatives n’a pas atteint le minimum qu’elle s’était fixé: mobiliser les électeurs de l’opposition. L’inertie s’est imposée face à ses tentatives. Au fil des semaines, la campagne s’est refroidie. En outre, ensemble ses partis n’ont pas atteint le million et demi de voix, loin des 7’728’025 qui ont soutenu la MUD lors des précédentes élections législatives.

Le fait que cette opposition soit apparue, pour une grande partie de la population, comme préfabriquée par le parti au pouvoir ne l’a pas aidée à atteindre ses objectifs. Ses dirigeants, initialement critiques, ont dans la période récente adopté des discours à tonalité chaviste. Ils se sont davantage souciés de se différencier du reste de l’opposition [favorable au boycott] que de ceux auxquels ils prétendent s’opposer. Cela, peut-être, dans le but d’obtenir une marge de manœuvre dans un espace public de plus en plus étouffé par le parti au pouvoir, en termes de contrôle des médias et de l’appareil d’État.

Plusieurs de ses principaux animateurs sont apparus au sein des partis d’opposition suite à des circonstances qui suscitent des doutes sur l’authenticité de leur message. Entre juin et août 2020, la Cour suprême de justice [Tribunal Supremo de Justicia] s’est immiscée dans les principaux partis d’opposition. Elle a démis leurs dirigeants de leurs fonctions. Elle a mis en place des structures exécutives ad hoc, avec des dirigeants qui étaient engagés dans les négociations avec l’exécutif.

Néanmoins, à la fin de l’hiver, certaines attentes ont été suscitées concernant une forte participation de l’opposition au parlement. La Conférence épiscopale et les dirigeants des chambres de commerce avaient déclaré qu’ils étaient préoccupés par l’inaction qu’impliquait l’abstention. Un important leader de l’opposition comme l’ancien candidat présidentiel Henrique Capriles avait feint d’engager ses forces dans la bataille électorale [voir «Le dilemme de l’opposition» publié sur le site alencontre.org le 20 septembre 2020]. Finalement, après avoir échoué à trouver un accord avec le gouvernement pour reporter les dates des élections et prolonger la campagne électorale, Henrique Capriles a retiré l’appel aux élections, un peu plus de deux mois plus tard.

La domination absolue

La grande majorité étant absente de «l’événement», le pouvoir de décision a été laissé aux mains d’un gouvernement qui a poursuivi son déclin sur le plan électoral mais a progressé dans le contrôle des pouvoirs publics. La nouvelle Assemblée nationale, composée d’une majorité du parti au pouvoir 253 sur 277], pourra nommer directement des hauts fonctionnaires, tels que le Procureur général, le Contrôleur général de la république, le Médiateur, les nouveaux directeurs du Conseil national électoral – dont les mandats sont d’une durée de sept ans – et les juges de la Cour suprême de justice (TSJ) – dont le mandat peut s’étendre durant douze ans. L’Assemblée nationale [qui entrera en fonction le 5 janvier 2021] se prolongera jusqu’au 5 janvier 2026, au-delà de l’actuel exécutif dont le mandat, selon la Constitution, va jusqu’en 2024.

Ce n’est pas que, dans le passé, l’administration se soit vue privée de garnir ces postes. Mais, après les élections du dimanche 6 décembre, elle officialise cette capacité de désigner des responsables et renforce son contrôle sur le pouvoir judiciaire, qui sera en place au moins jusqu’au début des années 2030. En outre, c’est sous cet angle de perspective que doit être envisagé un éventuel appel à un référendum de révocation du président – qui pourrait être convoqué constitutionnellement dès 2022 – et que le président lui-même avait envisagé comme une option, à l’époque

Ainsi, quel que soit le résultat de la consultation parallèle [organisée par Juan Guaidó], l’opposition abstentionniste est également perdante dans ce processus. Elle remet, maintenant, au gouvernement le seul pouvoir public qu’elle contrôlait légitimement, le législatif, ce qui lui avait permis d’exercer contre l’exécutif une opposition dans l’appareil d’État avec un soutien constitutionnel, du moins jusqu’à l’auto-intronisation de Juan Guaidó, début 2019, moment où il a décidé de se placer sur une orbite insurrectionnelle.

En ce moment, les partisans de Guaidó tentent de justifier la permanence de sa présidence intérimaire proclamée par une prétendue «continuité administrative», mais cela est très difficile à justifier alors qu’il existe une date limite constitutionnelle clairement établie pour l’Assemblée nationale actuelle: le 5 janvier 2021.

Le déclin du chavisme

Tout ce pouvoir ne cache pas le degré élevé d’affaiblissement électoral du gouvernement. Au cours de ces cinq années, il a perdu environ 30% de ses voix et, par rapport à la dernière élection d’Hugo Chávez – les élections présidentielles de 2012 [Chávez réunissait 8’191’132 voix] –, son électorat a diminué de près de moitié [en pourcentage].

Après avoir maintenu une solide majorité pendant 15 années consécutives, le chavisme subit depuis sa défaite aux élections législatives de 2015 un déplacement d’une bonne partie de ses électeurs, qui se sont cette fois-ci tournés vers l’abstention et non vers un autre secteur politique, que ce soit à sa droite ou à sa gauche (la coalition dissidente chaviste qui, lors de ces élections, s’est réunie derrière le Parti communiste du Venezuela – qui avait rompu en août son ancienne alliance électorale avec le Parti socialiste unifié du Venezuela – a obtenu à peine 2%). [Le PCV a dénoncé diverses menaces contre ses candidats et les obstacles multiples mis sur sa présence dans les médias.]

En l’état actuel des choses, le chavisme pourrait difficilement gagner dans une élection à forte participation populaire. Il est probable qu’il aura tendance à entraver un tel scénario. Il n’a pas eu besoin de beaucoup d’efforts cette fois-ci pour l’éviter, grâce à la prétendue campagne abstentionniste de l’opposition. (Article publié par l’hebdomadaire uruguayen Brecha en date du 11 décembre 2020; traduction rédaction A l’Encontre)

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