Pérou. Quand l’actualité répressive renvoie à la «guerre intérieure» du passé

Des manifestants tiennent une version noir et blanc du drapeau péruvien, en l’honneur de ceux qui sont morts lors d’affrontements avec les forces de sécurité, après avoir défilé à Juliaca, au Pérou, le vendredi 10 mars 2023.

Par Carlos Noriega

La droite a tenté d’empêcher la présentation du rapport annuel d’Amnesty International. Elle n’y est pas parvenue. Un rapport annuel à l’échelle mondiale qui, dans le cas du Pérou, dénonce de graves violations des droits de l’homme: la mort de manifestants abattus par les forces de sécurité et détentions arbitraires. Cela effectué au cours de la répression des manifestations sociales contre le gouvernement de Dina Boluarte [en fonction depuis le 7 décembre 2022, après avoir été vice-présidente sous la présidence de Pedro Catillo de juillet 2021 à décembre 2022]. La municipalité du district [résidentiel] de Miraflores à Lima, administrée par l’extrême-droite qui gouverne avec Boluarte, a ordonné la fermeture du Lieu de Mémoire, Tolérance et Inclusion Sociale (LUM-Lugar de la Memoria, la Tolerancia y la Inclusión Social), un espace de mémoire et de réflexion sur le conflit armé interne des années 1980 et 1990 et les violations des droits de l’homme. Le rapport d’Amnesty International devait y être présenté mardi 28 mars. La fermeture du LUM a eu lieu quelques heures avant la présentation du rapport. Grâce à une action de dernière minute d’Amnesty, il a pu néanmoins être présenté mardi soir dans un hôtel de Lima.

Le rapport

Le rapport d’Amnesty, dont on a essayé d’empêcher la présentation, dénonce «l’usage illégitime de la force», y compris les tirs à balles réelles, contre les manifestations réclamant la démission de Dina Boluarte et des élections anticipées. Depuis que les manifestations ont éclaté après l’éviction et l’emprisonnement de Pedro Castillo le 7 décembre 2022 et son remplacement par Boluarte, 49 manifestants ont été abattus par la police et l’armée. Le nombre total de personnes tuées lors des manifestations s’élève à 67 et plus d’un millier de personnes ont été blessées, souvent par des armes à feu. De hauts responsables du gouvernement ont soutenu les forces de sécurité accusées d’avoir tiré sur les manifestants. Amnesty a qualifié la répression gouvernementale de «crimes contre les principes du droit international» et l’a dénoncée comme ayant «un biais raciste». La plupart des victimes sont issues des populations andines quechua et aymara.

«La situation des droits de l’homme au Pérou est très préoccupante. Le caractère raciste de la répression a été déterminant. L’impunité constitue l’une de nos principales préoccupations. Les manifestations ont entraîné de nombreuses morts et personne n’a été arrêté pour cela. Nous demandons que des enquêtes soient menées tout au long de la chaîne de commandement. Si la justice n’est pas rendue au Pérou, nous devrons nous adresser aux instances internationales», a déclaré Marina Navarro, directrice exécutive d’Amnesty International Pérou.

La gauche a demandé au Congrès la destitution de Dina Boluarte pour la répression des manifestations. Un débat aura lieu jeudi 30 mars sur la question de savoir s’il faut autoriser la mise en accusation de la présidente, ce qui nécessite 52 voix sur les 130 membres du Congrès, un objectif difficile à atteindre dans un Congrès dominé par la droite. Si ces votes sont obtenus, Dina Boluarte devra se présenter devant le Congrès afin de se justifier pour les personnes tuées lors de la répression. Mais le soutien dont elle bénéficie de la part de la droite et de l’extrême-droite la met à l’abri d’une destitution, qui nécessiterait le vote de 87 député·e·s. [Selon la presse, une enquête pour financement interdit de la campagne électorale concerne aussi la présidente. Mais pour l’heure aucune procédure n’a abouti et le vote sur la destitution est dans l’impasse – réd. voir note 1]

La tentative de censure

La fermeture précipitée du LUM avait pour but d’empêcher la présentation du rapport d’Amnesty, mais cette décision va plus loin. La droite veut mettre fin à cet important lieu de mémoire ouvert en 2015, qui permet de se remémorer la violence de l’Etat et des groupes armés Sentier lumineux (Sendero Luminoso, fondé dans les années 1970, actions militaires dès 1980) et MRTA (Movimiento Revolucionario Tupac Amaru, actif dès 1984) entre 1980 et 2000. Une violence qui a fait environ 70 000 morts, parmi lesquels 75% de villageois andins parlant le quechua. La droite cherche à réécrire l’histoire en effaçant, en faisant oublier, les massacres de communautés paysannes, les enlèvements, les tortures, les exécutions extrajudiciaires et les disparitions causés par la violence d’Etat. Dans ce but, elle souhaite la fermeture du LUM, qui présente l’ensemble de l’histoire de manière nuancée.

La décision de fermer le LUM a été prise par le maire de Miraflores, Carlos Canales. Miraflores est le district [sur 47] où se trouve le musée qui réside dans un bâtiment financé par le gouvernement allemand. Il est situé sur les falaises, face à la mer. Carlos Canales, du parti d’extrême droite Renouveau populaire, a minimisé l’importance de la fermeture, affirmant qu’elle était temporaire en raison de l’absence d’un certificat de sécurité actualisé pour les installations, qui est en cours de vérification.

Cette décision du maire de Miraflores est conforme à ce qu’a annoncé son patron politique, le maire de la province de Lima, le fasciste Rafael López Aliaga, président de Renovación Popular et ancien candidat à la présidence [en 2021, ayant obtenu 11,8% des suffrages]. Lors de sa prise de fonction en tant que maire en janvier 2023, López Aliaga, connu sous le nom de «Porky» [un homme d’affaires – Citbank, groupe hôtelier Peruval, chemin de fer – et politicien], a menacé de fermer le LUM ou de le remettre aux forces armées afin qu’elles puissent raconter «leur histoire» du conflit armé intérieur. «On en a assez de ces musées de la mémoire et de la réconciliation», a déclaré Rafael López Aliaga. Une déclaration qui a la forme d’un ordre au maire de Miraflores, membre de son parti. 

Abusive et illégale

Manuel Burga, directeur du LUM, a qualifié sa fermeture d’«abusive et illégal». Il a souligné qu’ils respectent les normes de sécurité et qu’ils sont en train de renouveler le certificat exigé par la municipalité. Il a dénoncé le fait que pour justifier la fermeture, la municipalité remette en question «des éléments comme le fait que le détecteur de fumée est vertical et devrait être horizontal, ou qu’un escalier a plusieurs marches». Le ministère de la Culture, dont dépend le LUM, a publié un communiqué soutenant la décision municipale de fermeture.

Dans des déclarations qui nous ont été faites, Gloria Cano, directrice de l’association Pro Human Rights (Aprodeh), a souligné que l’absence de certificat municipal «a servi de prétexte à la fermeture du LUM alors que le rapport d’Amnesty, qui est irréfutable en ce qui concerne les violations des droits de l’homme dans le pays, allait être présenté». Elle a souligné que l’objectif était de faire disparaître le LUM. «L’aile droite qui gouverne avec Dina Boluarte se sent renforcée et c’est la raison pour laquelle elle se moque du LUM. Ils ont envie d’entraver la mission du musée, qui est d’entretenir la mémoire. L’objectif est la fermeture définitive du musée». (Article publié par le quotidien Pagina/12, le 30 mars 2023; traduction rédaction A l’Encontre)

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[1] Le bureau du Congrès, présidé par le général à la retraite d’extrême droite José Williams, a repoussé la motion concernant la destitution de la présidente Dina Boluarte. Il faudrait réunir 52 voix sur 130 pour contraindre la présidente à s’expliquer devant le Congrès sur la répression et 87 voix sur 130 pour une mise en accusation qualifiée d’«incapacité morale». Par contre, Pedro Castillo a vu sa détention préventive, pour corruption, prolongée pour trois ans. Alors que la présidente Dina Boluarte est aussi accusée de corruption, mais la droite la protège. (Réd.)

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