Allemagne. Le 27 mars, la grève dans le secteur public le démontre: l’union fait la force des travailleurs et travailleuses

Par Kathrin Gerlof

Ce lundi 27 mars, les montagnes de déchets dans les villes, les gares et les aéroports désertés, les soins d’urgence dans les hôpitaux et les boîtes aux lettres vides, tout cela fait bouger les choses. En faveur de ceux et celles qui évacuent les déchets, qui font rouler les trains, mettent les lettres dans les boîtes aux lettres, font fonctionner les hôpitaux. C’est si simple et pourtant toujours surprenant: une «vie quotidienne» qui fonctionne de fait grâce à l’aide-soignante, au contrôleur ou contrôleuse des trains, à la postière, à l’éboueur et non à ceux qu’on appelle à tort les employeurs [en allemand, les «donneurs de travail»: Arbeitgeber face aux «preneurs de travail»: Arbeitnehmer]. Cela vaut également pour le service public.

Ce n’est pas la municipalité qui soigne le patient et vide les poubelles. Sa mission est de veiller à ce qu’il y ait toujours suffisamment de personnes qui envisagent de faire ce travail et qui puissent vivre de leur salaire. Que l’on prenne suffisamment de précautions pour éviter des pénuries extrêmes de personnel et que le travail pour le secteur public soit suffisamment attractif pour qu’il y ait toujours suffisamment de relève. Ce ne sont pas les chemins de fer allemands ou d’autres entreprises ferroviaires qui assurent la circulation des trains de A à B. Ce sont les salarié·e·s qui s’en chargent.

Si ceux et celles qui «donnent», accomplissent effectivement du travail se mettent en grève, ils deviennent en quelque sorte souverains. Et ils/elles font comprendre à quel point ils sont indispensables. Car nous devons nous priver d’eux et d’elles. Ce qui, après seulement 24 heures, traduit déjà une grande force de frappe. Et cela fait alors aussi sacrément mal. Car ce qui est refusé pendant une grève sera: pas un service, pas un travail, pas une production. En fait, «on» aurait pu le savoir avant et faire une offre salariale acceptable.

Après 2015 – date à laquelle les services sociaux et éducatifs, les chemins de fer, la poste et le personnel du grand hôpital universitaire La Charité ont été en grève à Berlin – pendant longtemps cela a été assez calme. Hélas. Comme si tout le monde s’en tenait largement à ce que la Fédération des associations patronales allemandes (BDA–Bundesvereinigung der Deutschen Arbeitgeberverbände) écrit si bien sur son site web: «Les conflits du travail sont hautement indésirables d’un point de vue sociopolitique et économique et ont des conséquences négatives pour l’économie allemande.» C’est clair et précis. Soutenu par une jurisprudence qui déclare illicites, par exemple, les «grèves en sympathie» (Sympathiestreik) – nous les appellerions plutôt grèves en solidarité.

La triste vérité est que, selon un sondage réalisé par INSA-Consulere GmbH, début mars 2023, une majorité de citoyens et citoyennes allemands souhaitent limiter le droit de grève dans le domaine des infrastructures critiques, voire l’interdire complètement. Le sondage a été commandé par le secteur économique de la CDU-Christlich Demokratische Union Deutschlands – qui donc constitue le reste du parti? – qui se réjouira du résultat. Parmi les partisans des Verts – plus que ceux et celles de la CDU! – 53% souhaitent un préavis de quatre jours et une procédure de conciliation avant toute grève. Pourtant, l’Allemagne se situe bien en dessous de la moyenne des pays industrialisés en ce qui concerne le nombre de jours de grève par travailleur et travailleuse. Il serait intéressant de savoir pourquoi de telles majorités sont en faveur d’une restriction du droit de grève.

4,1% de perte de salaire réel

Dans la mesure où la limitation du droit de grève se fait toujours au détriment des travailleurs et travailleuses, on peut considérer comme un progrès le fait que les syndicats s’unissent, comme ce fut le cas, de facto, le lundi 27 mars. C’est une bonne chose qu’EVG (Eisenbahn- und Verkehrsgewerkschaft) et Ver.di utilisent cette possibilité. 180’000 salarié·e·s des chemins de fer et 2,5 millions de fonctionnaires fédéraux et communaux, cela représente une force de frappe. Les analystes en matière de négociations collectives estiment qu’il est inhabituel que deux syndicats pensent et fassent la même chose, alors que cela montre plutôt à quel point ces possibilités ont été peu utilisées jusqu’à présent. C’est regrettable dans un pays qui n’autorise pas la grève générale (Generalstreik). Plus regrettable encore: il n’existe pas de structure commune de coordination propre aux différents syndicats. En fait, pourquoi pas? Comme le dit Frank Werneke, le président de Ver.di, «ensemble, on peut faire plus».

En 2022, les salaires réels ont baissé de 4,1% par rapport à l’année précédente, l’inflation s’est élevée à 7,9% [7,8% en mars – plus élevée que les 7,5% prévus – selon les données du 30 mars de la BCE; avec une hausse de 22,3% pour les biens alimentaires! – Réd.]. Lorsque de tels chiffres sont cités, «l’économie» aime à avancer l’argument de la spirale «prix-salaires»: la hausse des salaires entraînerait la hausse des prix. Peu importe ce que vous négociez, cela finit par être métabolisé et c’est vous qui en subissez les conséquences. Les communes disent: nos caisses publiques sont vides. Elles oublient [1] que c’est justement en période d’inflation que les recettes fiscales augmentent. (Article publié par l’hebdomadaire Der Freitag, 13/2023; traduction rédaction A l’Encontre)

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[1] Les firmes privées maintiennent ou augmentent leurs marges et mobilisent la productivité face à un rattrapage des salaires, d’autant plus lorsque l’inflation présente est liée aux «problèmes» de l’offre. (Réd.)

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