Cuba-dossier. Pourquoi les protestations du 11 juillet ont-elles éclaté?

Par Jessica Dominguez Delgado

Le 11 juillet 2021, au petit matin, une manifestation sociale a débuté dans la municipalité de San Antonio de los Baños, à Cuba. En quelques heures, ces «flammes» se sont propagées à l’ensemble du territoire national.

Des milliers de personnes sont descendues dans la rue pour réclamer la liberté, des changements à Cuba, des vaccins, la fin des magasins en monnaie librement convertible (MLC), la démission du président Miguel Diaz-Canel et des améliorations générales de la situation du pays. Le gouvernement les a qualifiés de paumés, de vandales et d’irresponsables et les a accusés de répondre à des intérêts extérieurs, tout en donnant un «ordre de combat» aux «révolutionnaires» et aux forces de sécurité pour aller affronter ces mobilisations populaires.

Ces faits, sans précédent dans leur proportion, sont le résultat de la dégradation des conditions sociales, économiques, sanitaires et politiques du pays. Nous passons en revue ci-dessous plusieurs de ces causes.

Urgence sanitaire à Cuba

La pandémie de Covid-19 s’est aggravée dans le pays. Après avoir maîtrisé relativement bien la maladie, avec des chiffres très bas pour la région, et commencé la vaccination dans certaines zones du pays – dans le cadre de tests du vaccin propres sur des candidats cubains – une plus forte vague d’infections et de décès s’est déclenchée.

Au 12 avril 2021, soit un peu plus d’un an après le début de la pandémie dans le pays, 467 personnes étaient décédées et 87 385 cas avaient été diagnostiqués. Trois mois plus tard seulement, le 12 juillet, le chiffre atteint 1579 décès et 224 914 cas positifs.

La pire situation se produit dans la province de Matanzas [à quelque 100 km à l’est de La Havane] où, entre le 1er et le 10 juillet 2021, 16 447 cas ont été diagnostiqués. Le gouverneur de la province, Mario Sabines, a déclaré au début de l’augmentation des infections qu’ils disposaient de près de 6000 lits dans les centres d’isolement, mais a affirmé que 3000 lits supplémentaires seraient nécessaires pour couvrir les besoins face au nombre élevé de cas.

Dans le reste des provinces du pays, notamment dans la capitale, le nombre de cas détectés s’élève quotidiennement à quelques centaines chaque jour.

L’augmentation du nombre de personnes hospitalisées, le manque de fournitures, de médicaments et l’épuisement progressif des ressources matérielles et humaines disponibles ont placé le système de santé dans une situation de crise, bien que les autorités gouvernementales la qualifient de «complexe».

Outre le manque de ressources pour faire face au Covid-19, il y a de graves pénuries dans ce qu’on appelle la «liste de base des médicaments», ce qui a même entraîné la réapparition d’autres maladies comme la gale. La liste de base des médicaments à Cuba s’élève à 619: 351 pour les hôpitaux et 268 pour les pharmacies. Parmi ceux-ci, 263 (42%) sont importés et 356 (58%) sont nationaux: 350 produits par BioCubaFarma, 5 par l’industrie alimentaire et 1 par le Centre national de santé agricole. Parmi ceux fabriqués par BioCubaFarma, 85 en moyenne étaient «en manque» en 2020. A cela s’ajoutent les produits importés, qui n’ont pu l’être ces derniers mois et qui sont utilisés principalement dans les soins de santé secondaires.

Le ministre de la Santé publique, José Ángel Portal, a reconnu que la situation des médicaments restait «tendue» et a proposé comme alternative la production et l’utilisation de la médecine naturelle et traditionnelle. Face à la pénurie dans les pharmacies, les Cubains ont cherché d’autres moyens d’accéder aux médicaments: groupes de don et d’échange sur les réseaux sociaux, commercialisation sur le marché illégal et commandes à l’étranger.

Au milieu de ce panorama, les utilisateurs cubains de Twitter ont lancé la campagne #SOSMatanzas, à laquelle ils ont réussi à ajouter des influenceurs et des personnalités internationales aussi variées que Mía Kalifha, Alejandro Sanz, Daddy Yanky, Paco León, Residente (Calle 13), entre autres. La mobilisation vise à dénoncer la situation d’effondrement et à exiger la création de canaux légaux pour l’envoi par la diaspora d’aide humanitaire, notamment un corridor entre la communauté cubaine aux Etats-Unis et l’archipel, corridor qui ne soit pas géré par l’Etat cubain, auquel ils ne font pas confiance.

Le gouvernement cubain a dénoncé cette campagne comme étant liée aux intérêts interventionnistes du gouvernement des Etats-Unis. Il nie être fermé à la réception de l’aide humanitaire, bien qu’il exige toujours qu’elle arrive «par les canaux appropriés».

Une partie du débat public déclenché par la gravité de la crise sanitaire de ces derniers jours est liée à la coexistence de la population de Matanzas avec des centaines de touristes russes. Les frontières du pays restent ouvertes au tourisme international, limité aux principales stations touristiques; mais les autorités aériennes n’autorisent que très peu de vols vers les principales enclaves [Etats-Unis] de l’émigration cubaine, d’où arrivent les transferts de fonds et les expéditions qui contribuent à atténuer la crise générale.

Le gouvernement cubain, en particulier le Premier ministre Manuel Marrero [depuis le 21 décembre 2019], a déclaré lors d’une apparition télévisée qu’il excluait que les touristes russes soient un facteur de contagion et qu’il ne fermerait le pays qu’en cas de situation extrême. Au cours des six premiers mois de l’année, 122 000 touristes sont arrivés, le chiffre le plus élevé avant la pandémie étant de 4,2 millions.

Bien que le pays soit le premier de la région latino-américaine à développer en propre des vaccins [au nombre de cinq] contre le Covid-19 [seul le candidat-vaccin Abdala est autorisé pour l’instant] avec une efficacité de plus de 90%, la vaccination a également été retardée. Cuba a parié sur le développement de ses propres candidats vaccins et a décidé de ne pas rejoindre le mécanisme international COVAX. Cela signifie que l’application des candidats-vaccins cubains s’est faite de manière expérimentale et avec des limites pendant plusieurs mois, jusqu’à ce que, en date du 9 juillet, l’un des deux candidats les plus avancés, Abdala, obtienne de l’entité réglementaire nationale cubaine le permis d’utilisation d’urgence [avec un taux d’efficacité de 92,28% après trois injections, selon BioCubaFarma].

Dans le cadre des essais cliniques et des études d’intervention, au 10 juin, 3 045 823 personnes avaient reçu au moins une dose et 1 862 930 avaient terminé le schéma de trois doses d’Abdala ou de Soberana 02 + Soberana Plus. Toutefois, celles-ci n’ont concerné que les provinces de La Havane, Matanzas, Granma, Guantánamo et Santiago de Cuba, et le personnel de santé. L’extension de la vaccination était l’une des revendications entendues lors des manifestations.

Crise économique

La situation économique précaire d’un nombre croissant de personnes, la dollarisation de l’économie et l’accès difficile à la nourriture et aux produits de première nécessité – vendus depuis fin 2019 en devises étrangères – ont accru les inégalités et constituent l’une des principales sources de mécontentement.

En octobre 2019, le gouvernement cubain a annoncé la possibilité d’acheter des appareils électroménagers, des pièces automobiles et d’autres biens en devises librement convertibles. Ce qui avait été annoncé comme une option temporaire, limitée à la commercialisation d’articles moyen et haut de gamme, n’a pas tardé à devenir la norme.

Dans leur argumentaire, les autorités ont assuré qu’une partie des bénéfices des magasins MLC serait destinée au développement de l’industrie nationale, afin de la mettre en condition de satisfaire les besoins du marché intérieur et, à terme, d’exporter. «Il serait nécessaire de vendre une certaine quantité de marchandises en monnaie librement convertible, afin de disposer de devises et de continuer à développer ce type de ventes; et parce qu’une partie de l’argent collecté de cette manière sera introduite dans l’industrie nationale, afin qu’elle devienne une source d’approvisionnement pour ces magasins et pour d’autres», avait alors déclaré Miguel Díaz-Canel.

Un an et demi plus tard, la nourriture et les produits de première nécessité sont presque exclusivement en devises étrangères et le nombre de services qui ne sont disponibles que dans cette devise est en augmentation.

Bien que le taux de change officiel du pays soit fixé depuis le 1er janvier 2021 à 24 pesos cubains (CUP) pour 1 USD, il n’est pas possible d’acheter des devises étrangères à ce taux. Le marché informel s’est chargé de répondre à la demande de devises étrangères pour pouvoir acheter dans les magasins (tous appartenant à l’Etat) ou pour aller à l’étranger, soit en tant qu’émigrants, soit pour faire du shopping. Le taux sur le marché informel est devenu la véritable référence pour les valeurs du marché.

La situation s’est aggravée lorsque la Banque centrale de Cuba (BCC) a annoncé, le 10 juin 2021, que dix jours plus tard, elle suspendrait temporairement les dépôts bancaires en dollars américains. Selon les autorités, cette mesure est due aux «obstacles imposés par le blocus économique américain au système bancaire national pour tout dépôt à l’étranger de liquidités en dollars américains collectées dans le pays». Toutefois, plusieurs économistes ont souligné que cette mesure avait l’avantage de permettre de collecter rapidement plusieurs millions de dollars en espèces circulant dans le pays, à un moment où les banques cubaines connaissent une crise aiguë de liquidités, et juste lorsque Cuba a conclu des accords avec ses créanciers du Club de Paris [créanciers publics] pour éviter de manquer à ses engagements de paiement et se trouver en situation de défaut.

Un «ordre économique» désordonné

La mise en œuvre de la «Tarea Ordenamiento» [décision relevant de la politique en matière d’économie et de planification], visant à supprimer la dualité monétaire existante, à ajuster les taux de change et l’échelle des salaires, a commencé en janvier 2021, après avoir été reportée pendant des années. Le timing, cependant, n’aurait pas pu être moins prometteur: la première année de la pandémie avec ses conséquences économiques et sociales était à peine passée et un processus de re-dollarisation de l’économie avait déjà commencé.

A l’unification monétaire et de change qui a éliminé le peso convertible cubain (CUC), l’une des deux monnaies cubaines circulant dans le pays, et aux multiples taux de change, se sont ajoutées deux autres mesures annoncées depuis des années: l’élimination des subventions et des gratifications et une modification des revenus salariaux. [Voir sur ce thème l’article publié sur ce site le 14 décembre 2020 ainsi que le 16 novembre.]

L’augmentation des salaires et des pensions était censée corriger la pyramide inversée des revenus des travailleurs avec une meilleure répartition des richesses en fonction du travail de chacun et avec elle une meilleure qualité de vie. Cependant, six mois après la mise en œuvre de ces réformes, l’inflation a absorbé les gains de l’évolution des salaires. La hausse des prix dans tous les secteurs économiques, tant publics que privés, n’a pas cessé. De nombreuses personnes gagnent aujourd’hui plus, mais ont moins de pouvoir d’achat.

La crise est aussi sociale

Sans argent pour importer les denrées alimentaires dont le pays a besoin, compte tenu de la précarité de la production nationale, le gouvernement a appelé à augmenter la production agricole, avec des résultats peu visibles. Se nourrir reste l’une des difficultés quotidiennes les plus pénibles.

La faible disponibilité de biens de consommation – sans parler de leur manque de variété et de leur faible qualité nutritionnelle – ainsi que leurs prix élevés ont fait de ce problème la principale préoccupation des familles, au point que l’Etat, depuis 2007, le considère comme un problème de sécurité nationale qui s’aggrave chaque jour.

Le retour des pannes d’électricité

Un autre problème a suscité une profonde irritation et une grande incertitude parmi les Cubains: le retour des coupures de courant. L’Union nationale de l’électricité (UNE) et le ministère de l’Energie et des Mines (Minem) ont publié une note officielle le 21 juin ayant trait aux effets de ces coupures sur les services dans le pays. Selon le communiqué, cette situation est temporaire et est due à la combinaison de plusieurs facteurs: les limitations technologiques des générateurs, la maintenance de ces unités, les pannes dans les centrales et la limitation de la distribution de combustibles pour les générateurs. Un langage bureaucratique pour éviter de dire que les groupes de générateurs sont obsolètes et qu’il n’y a pas assez de combustible qui arrive à Cuba.

Le résultat a été le retour des «rotations» pour que les différents circuits du pays ne soient interrompus que pour un maximum de 4 heures par jour – officiellement étendu à 6 heures le 30 juin. Or, la réalité a été la suivante: des coupures de courant beaucoup plus longues dans plusieurs territoires, notamment en dehors de La Havane. A San Antonio de los Baños, où la révolte a commencé, les habitants ont signalé des coupures de courant de 12 heures pendant plusieurs jours consécutifs. Après la mobilisation populaire, la fin de ces problèmes est promise pour bientôt.

Les circonstances sociales actuelles rappellent les années de la période dite spéciale des années 1990, lorsque le pays traversait une grave crise économique. Pour de nombreux Cubains, la situation actuelle est la même ou pire qu’à l’époque.

Avant le 11 juillet: San Isidro et les protestations de la 27N

Les récentes protestations ne sont pas la première expression de l’insatisfaction politique de ces derniers mois. Ce sont les premiers d’un caractère populaire et massif; mais plusieurs incidents servent de toile de fond aux événements de ce 11 juillet.

Après que les autorités ont fait irruption dans la nuit du 26 novembre 2020 au siège du Mouvement San Isidro (MSI), dans la Vieille Havane, et expulsé ceux qui avaient entamé une grève de la faim, de la soif ou les deux pour protester contre l’arrestation et le procès d’un de ses membres (le rappeur Denis Solis), une vingtaine de jeunes se sont réunis devant le ministère de la Culture pour exiger un dialogue avec les plus hautes autorités. Le groupe et les revendications ont grandi tout au long de la journée pour réunir plus de 300 personnes.

Le 27 novembre 2020, un événement sans précédent s’est produit dans le Cuba d’après 1959. Pour la première fois, un groupe diversifié de personnes auto-organisées, avec des revendications politiques différentes, a pris possession de l’espace public et a réussi à faire pression sur une institution gouvernementale: le ministère de la Culture [voir sur ce sujet les articles publiés sur ce site en date du 14 décembre et du 31 décembre].

En moins d’une semaine, les autorités ont trouvé des prétextes pour empêcher la table de dialogue et lancer une campagne de délégitimation du mouvement, accusant les participants de répondre à des intérêts extérieurs. Elles entamaient alors un processus qui a duré plusieurs mois, au cours duquel les arrestations, les graves atteintes à la réputation et une campagne de discrédit dans les médias de propagande officielle contre toute personne liée aux événements du 27N, faisaient l’actualité tous les jours.

Toutes les propositions de dialogue avec la société civile ont été accueillies avec le même désintérêt de la part du gouvernement, retranché dans sa position de ne parler qu’à ceux qui sont «dans la révolution».

Les attaques et disqualifications constantes ont conduit le groupe connu sous le nom d’Articulación Plebeya à déposer une plainte et une pétition signée par plus de 400 intellectuels pour que cessent les atteintes à la dignité et à l’honneur des personnes, qui sont devenues une pratique courante des autorités et des médias dans l’archipel. Les tensions sont réapparues le 27 janvier 2021 devant le ministère de la Culture, lorsque plusieurs membres du groupe auto-convoqué en novembre 2020 ont exigé d’être à nouveau entendus. Ils ont été agressés physiquement par des employés de l’Etat, placés sous la houlette du ministre de la Culture. Le matin du 3 février 2021, plusieurs artistes cubains ont présenté une pétition au président de l’Assemblée nationale du pouvoir populaire (ANPP) et du Conseil d’Etat (CE), Esteban Lazo Hernández, pour révoquer Alpidio Alonso de son poste de député et de ministre. Comme prévu, il a été démis.

Pendant cette période, le cas de la jeune journaliste Karla María Pérez – placée dans un vide juridique par le gouvernement cubain qui lui a interdit l’entrée à Cuba, ce qui l’a bloquée au Panama, alors qu’elle était en transit depuis le Costa Rica, où elle avait fini son séjour légal après avoir terminé ses études – a également eu un grand impact sur l’opinion publique des réseaux sociaux. Karla a été bannie pour son travail dans les médias numériques indépendants. Elle avait déjà été expulsée de l’Université à Cuba pour ses opinions politiques et son appartenance à une organisation d’opposition.

L’impunité avec laquelle agissent les représentants de l’Etat et les porte-parole des campagnes de dénigrement dans les médias publics a suscité divers rejets de la part des citoyens et des citoyennes, dont certains ont déposé des plaintes et des dénonciations auprès du bureau du procureur général. Cependant, comme cela est désormais clair, les institutions chargées de surveiller la «légalité socialiste» ne sont pas intéressées à enquêter sur les éventuels crimes de leurs collègues, même si cela implique de ne pas respecter leur mandat constitutionnel.

Ce sont des mois au cours desquels les actions répressives se sont poursuivies, dans la foulée du silence imposé par la suite à propos du rassemblement inhabituel qui s’était organisé le 27 novembre 2020 [devant le ministère de la Culture].

Face aux arrestations et à la destruction de ses œuvres d’art, le leader du Mouvement de San Isidro (MSI), Luis Manuel Otero Alcántara, a annoncé qu’il entamerait une grève de la faim et de la soif le 25 avril 2021. Il l’a poursuivie jusqu’à ce qu’une opération de police le conduise à l’hôpital Calixto García. L’emprisonnement de Luis Manuel a donné lieu à une manifestation publique dans la rue Obispo, le 30 avril 2021, qui s’est soldée par l’arrestation de 12 personnes, accusées de résistance et d’outrage à magistrat. Certaines ont été placées en détention provisoire. Le 31 mai, 29 jours après son hospitalisation forcée, Luis Manuel a été libéré. Pendant cette période, seules les forces de sécurité qui gardaient l’hôpital ont pu avoir accès à lui, et il n’a pas donné signe de vie pendant plusieurs jours consécutifs.

La stratégie de persécution judiciaire «chirurgicale» contre les figures les plus «combatives» de 27N et de l’opposition politique actuelle a également progressé. Fin avril 2021, l’artiste Tania Bruguera a été accusée d’incitation à commettre un crime après avoir publié un post sur Facebook suite à l’une des arrestations arbitraires des artistes et militantes Katherine Bisquet et Camila Ramírez Lobón. La liste des accusés n’a cessé de s’allonger. Hamlet Lavastida, artiste et membre du groupe 27N, a été arrêté et placé sous enquête après son arrivée à Cuba le 21 juin 2021 en provenance d’Allemagne, où il a effectué une résidence d’artiste à la galerie Künstlerhaus Bethanien à Berlin. Cette confrontation avec les artistes qui ont joué un rôle dans le 27N a été au centre de l’attention du pays, même s’il semble que la campagne de désinformation de l’Etat a fait plus de bruit.

La stratégie répressive comprend à nouveau des actes d’atteinte à la réputation des dissidents et des opposants, ainsi que des escarmouches publiques constantes et des «guerres de chansons», comme celle qui a débuté avec la chanson «Patria y Vida», une réponse directe au slogan politique traditionnel «Patria o Muerte».

Malgré tous les efforts de communication visant à discréditer les actions des dissidents, la tension n’a pas diminué au cours de ces mois. Une tentative d’arrestation du rappeur Maykel Castillo, connu sous le nom d’Osorbo, alors qu’il tentait de rejoindre San Isidro, s’est terminée par un affrontement avec la patrouille qui tentait de l’emmener et la libération du membre du MSI (Mouvement San Isidro) par les citoyens.

Il y a là un terreau favorable à une épidémie sociale. Bien que le gouvernement cubain ne reconnaisse pas sa légitimité et préfère parler d’un «coup d’État mou continu orchestré depuis les Etats-Unis», il est responsable de l’accumulation des causes de la protestation du 11 juillet. Ce qui est étrange, c’est qu’elles ne s’étaient jamais produites auparavant.

Au final, ce ne sont pas seulement les vaccins, la nourriture ou la fermeture des magasins MLC qui ont été entendus dans les slogans des manifestants. Le cri de «Liberté!» a également retenti. (Article publié sur le site elToque, le 13 juillet 2021; traduction rédaction A l’Encontre)

Jessica Dominguez Delgado réside à La Havane. Elle a été interviewée le 1er juillet 2021 par swissinfo.ch. Diplômée en journalisme en 2014 de l’Université de La Havane. Elle est rédactrice pour le site web el Toque depuis 2017. L’analyse présentée dans cet article repose, entre autres, sur des documents publiés sur ce site.

*****

«Le gouvernement confirme un mort lors de nouvelles manifestations»

Par la rédaction de BBC Mundo

Un homme est mort lors de manifestations antigouvernementales à Cuba lundi 12 juillet, c’est la première victime signalée par les autorités à la suite des manifestations de masse qui ont eu lieu sur l’île ces derniers jours.

Le ministère de l’Intérieur l’a identifié comme étant Diubis Laurencio Tejeda, 36 ans, qui a trouvé la mort lors d’une manifestation dans la municipalité d’Arroyo Naranjo, dans la banlieue de La Havane, dans ce qui a été décrit comme des «troubles», selon les termes de l’Agence de presse cubaine, organisme d’Etat.

Le décès s’est produit lors d’une manifestation près d’un poste de police à La Guinera, où d’autres civils et policiers ont été blessés, selon le communiqué. La manifestation dans ce quartier, l’une des zones les plus pauvres de La Havane, a été diffusée dans plusieurs vidéos sur les médias sociaux, a rapporté l’agence de presse Efe. [Des vidéos circulent aussi sur des manifestations d’habitants du quartier paupérisé El Palenque à La Lisa, une des municipalités de La Havane, dans la soirée du 12 juillet.]

Depuis lundi, les habitants de l’île dénoncent l’arrestation massive de manifestants, en plus du fait que le service internet a été coupé. Le mardi 13 juillet, il y avait une forte présence policière dans les rues. On ne connaît pas avec certitude le nombre de détenus ni s’il y a d’autres victimes. Parmi les personnes arrêtées figure la journaliste cubaine Camila Acosta, qui écrit pour le quotidien espagnol ABC.

Le ministre espagnol des Affaires étrangères, Jose Manuel Albares, a exigé sa libération immédiate dans un tweet et a appelé le gouvernement cubain à respecter le droit des personnes à manifester «librement et pacifiquement».

«J’accuse le gouvernement américain»

Le président cubain Miguel Diaz-Canel a accusé Washington de mener «une politique d’asphyxie économique pour provoquer des débordements sociaux» dans son pays. Appuyant les propos du président, le ministre cubain des Affaires étrangères, Bruno Rodriguez, a rejeté l’idée d’un «soulèvement» populaire dans son pays. «Le 11 juillet, il n’y a pas eu de soulèvement social. Il n’y en a pas eu en raison de la volonté de notre peuple et du soutien de notre peuple à la Révolution et à son gouvernement […]. Il y a eu des perturbations, il y a eu des troubles, à une échelle très limitée», a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse à La Havane. Bruno Rodriguez a déclaré: «Je peux dire que j’ai vu des scènes vraiment fortes de violence policière et de répression des manifestants dans les capitales européennes avant et pendant la pandémie, dans des conditions vraiment différentes.» Il a poursuivi: «J’accuse le gouvernement américain d’être directement impliqué, et d’avoir une responsabilité grave, dans les incidents qui se sont produits le 11 juillet.» (Publié par la BBC Mundo, le 13 juillet 2021; traduction rédaction A l’Encontre)

*****

Paix et gestion politique des conflits

Par Ivette García González

La responsabilité de l’Etat en matière de paix citoyenne et de gestion politique des conflits est cruciale. Lorsque les différences internes sont cachées, déformées ou sous-évaluées et que la capacité de négociation du gouvernement est limitée, la situation sociopolitique mène tôt ou tard au chaos.

C’est ce qui se passe aujourd’hui à Cuba, une expression de la crise annoncée de gouvernabilité. Dans des textes précédents sur La Joven Cuba, j’ai attiré l’attention sur le danger de l’extrémisme politique, de la violence et de l’urgence du dialogue national.

Les manifestations civiques sans précédent qui ont eu lieu dimanche dernier dans plusieurs villes du pays, dont la capitale, étaient prévisibles. Des facteurs immédiats d’explosion existaient, mais les causes sont plus profondes. Des incitations venant de l’étranger se sont ajoutées et il y a même eu des appels à des formules impensables et inacceptables telles qu’une intervention humanitaire ou américaine dans le pays.

L’apparition du président de la République à 16 heures ce jour-là [le 11 juillet] ne pouvait être plus inadéquate. Il aurait dû appeler à la paix, prévenir la répression et faire état d’actions concrètes de solidarité avec Cuba dont la plupart des gens ignorent l’existence. Par contre, il a opté pour de vieux mécanismes de manipulation et des slogans incitant à la violence. Le discours de lundi était plus calme, mais dans les mêmes termes et justifiant la violence exercée avec son assentiment.

Les protestations qui étaient pacifiques se sont compliquées dans l’après-midi avec des actes de vandalisme, des affrontements plus importants et l’emprisonnement brutal de nombreux citoyens. Les conséquences précises sont encore inconnues.

Quelques précédents

La crise structurelle et systémique a été rendue plus complexe par l’impact des sanctions de Trump, les pénuries et le manque extrême de produits et services de base. En raison également du manque de libertés et des effets des mesures impopulaires adoptées depuis l’année dernière. Tout cela a provoqué un épuisement extrême et une tension sociale, non gérés par une vision politique. J’en donne quelques exemples dans deux domaines.

Pandémie

  • Les violations des droits de l’homme et la répression ont augmenté; les incarcérations ont accentué ce processus et ont causé davantage de traumatismes dans les familles.
  • Les médias officiels ont reproduit le style triomphaliste du gouvernement et ont fait appel à la confiance et à la résistance du peuple tout en criminalisant toute critique. La veille des manifestations du 11 juillet, un nombre record de 6923 nouveaux cas et 47 décès ont été enregistrés; Matanzas en était l’épicentre.
  • Il y a eu un retard excessif dans le processus d’immunisation. La production de son propre vaccin n’aurait pas dû l’empêcher de gérer les dons de vaccins existants ou de rejoindre le COVAX composé de 190 pays.

La situation économique

  • Les causes internes de la crise demeurent et beaucoup se sont aggravées en raison de la lenteur des changements relevant d’une nécessité urgente.
  • Les investissements sont de plus en plus concentrés dans les services aux entreprises, dans l’immobilier et les activités de location, y compris le tourisme, au détriment des secteurs prioritaires: agriculture, santé et assistance sociale.
  • Le pays est privé de transferts de fonds par les voies régulières depuis la sanction de FINCIMEX – une société du secteur militaire sanctionnée par les Etats-Unis – mais il n’y a aucune explication plausible au refus du gouvernement de désigner une entité civile pour la remplacer à cette fin [problème du contrôle économique par le secteur militaire dirigeant – réd.]
Mesures d’urgence pour une situation extrême

Les situations d’urgence exigent des mesures d’urgence et mettent à l’épreuve la capacité de négociation du gouvernement. Elles exigent du discernement, une vision et une reconnaissance de la société civile en tant qu’acteur également dans les relations internationales. La victimisation et le repli sur lui-même du gouvernement et de ses partisans n’aident pas. Pas plus que la criminalisation de toute critique, que l’insistance sur des facteurs externes et le rejet de toute initiative [cf. allusion à la formule ci-dessus: les initiatives de solidarité] qui n’est pas sous le contrôle absolu de l’Etat.

Des mesures urgentes sont nécessaires, telles que:

1 – Arrêtez toutes les formes de répression.

2 – Lancer des appels de conciliation par le gouvernement afin de gérer l’urgence et la solution du conflit.

3 – Renforcer les mesures de santé et de soins pour les secteurs vulnérables.

4 – Elargir les modes de gestion de la solidarité. La veille des manifestations, Cubadebate a fourni des informations détaillées sur le volume des dons qu’il a reçus pendant la pandémie, en plus des 543 offres provenant de plus de 51 pays à la fin du mois de juin. Toutefois, la réalité montre que cela ne suffit pas.

Le gouvernement devrait dépasser les schémas traditionnels et s’ouvrir à des formules plus conformes au scénario d’urgence et au potentiel de la société civile, en acceptant l’aide d’où qu’elle vienne, en ne permettant la commercialisation d’aucun don et en gérant le processus sans le monopoliser. Deux canaux seraient fondamentaux:

  • L’Etat, qui est en lien avec les organisations internationales et les pays à travers nos ambassades. Entre le 9 et le 11 juillet, l’annonce a été publiée sur les dons depuis 35 pays sur les 123 avec lesquels existent des relations. Ils comprennent des dons en espèces et des fournitures médicales (seringues, masques, gants, etc.).
  • La société civile peut compléter ces canaux en incluant une aide sous forme de nourriture, de médicaments et d’autres produits de base pour les familles. Il leur suffirait de se coordonner avec le gouvernement pour que – comme cela a été exposé récemment sur ce site – soient assouplies les mesures douanières et soient autorisées les arrivées destinées aux organisations sociales, aux églises, etc. Depuis plus d’une semaine, diverses formules ont été organisées via Facebook, Twitter et Watsapp, pour la construction de ponts et de réseaux de soutien à l’intérieur et à l’extérieur de Cuba. Parmi eux, le Centre commémoratif Martin Luther King, le Centre chrétien pour la réflexion et le dialogue, la Grande Loge de Cuba, le groupe #SOSMatanzas, les facultés universitaires et, en dehors de Cuba, Caritas ainsi que des volontaires du Mexique, d’Espagne, d’Equateur et des Etats-Unis.

5 – Rendre transparentes toutes les informations dans les médias, y compris les réseaux sociaux, notamment les procédures d’aide, les priorités et les normes sanitaires pour la réception d’aide.

6 – Proposer un délai pour commencer à négocier avec la société civile une feuille de route pour un dialogue national.

L’appel lancé aujourd’hui à tous les Cubains doit être «non à la violence» et pour une gestion politique du conflit, ce qui n’implique pas de ne pas tenir compte ou de renoncer aux droits fondamentaux. Le gouvernement doit comprendre la complexité du moment et de ses causes, les énormes facteurs de tension que le peuple vit depuis longtemps, dont une partie non négligeable a des demandes importantes qui n’ont pas trouvé de canal d’expression efficace. Revenons à José Martí et rappelons-nous que «la patrie est le bonheur de tous, la douleur de tous, le paradis de tous, et n’est le privilège ou le sanctuaire de personne». (Article publié sur le site La Joven Cuba, le 14 juillet 2021; traduction rédaction A l’Encontre)

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*