Par Luiz Inácio Lula da Silva
Au moment où les mobilisations au Brésil, dans leur dynamique, faisaient s’écrouler le mythe d’un Brésil nouveau paradis des «classes moyennes» et qui connaissait une «croissance qui en fera la cinquième économie du monde», l’ex-président Lula s’est tu. Pourtant la police exerçait une répression brutale, en particulier le 13 juin 2013 à São Paulo. Depuis cette date des couches de jeunes d’origine plébéienne se sont «ajoutées» aux manifestations. Le 3 juillet 2013, la grève des camionneurs a fortement paralysé ce pays-continent.
Ces mobilisations ont mis en lumière la crise de crédibilité du système et du régime politique brésilien. Aujourd’hui, l’avenir de Dilma Rousseff lors des prochaines élections présidentielles n’est pas assuré. C’est le moment pour Lula, comme une sorte de patron-sauveur du Brésil, d’intervenir… dans le New York Times! Et de répondre aux vœux du Capital des castes politiciennes et syndicales qui se résument en un cri: «que Lula revienne !»
Lula et le pape Francesco – qui est parti de Rome à 08h45 le lundi 22 juillet et est accueilli à 16h00 à l’aéroport international de Rio de Janeiro (Galeao/Antonio Carlos Jobim) pour présider les Journées mondiales de la Jeunesse – se donnent la main. Le but: canaliser la colère de la jeunesse et des couches populaires à qui il faut apprendre un «mode de vie austère»! Le goupillon franciscain et le Lula pétiste (Parti des travailleurs) se doivent de regagner du terrain sur le «rugissement de la rue»; et pour le Vatican marqué quelques buts contre les Eglises évangéliques. Chacun défend sa paroisse dans un front unique bien orchestré. Voilà sous quel angle il est utile de lire cet article «d’opinion» de Lula, candidat possible à des élections en 2014. (Rédaction A l’Encontre)
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Comme cela semblerait plus facile d’expliquer ces protestations si elles avaient lieu dans des pays non-démocratiques, comme en Egypte et en Tunisie en 2011, ou dans des pays où la crise économique a fait monter le nombre de jeunes au chômage à des hauteurs effrayantes, comme en Espagne et en Grèce. Que dire lorsque ces protestations éclatent dans des pays ayant des gouvernements démocratiques, comme le Brésil où nous bénéficions actuellement du taux de chômage le plus bas de notre histoire et d’une expansion de l’économie et des droits sociaux comme dans nul autre pays.
Pour beaucoup d’analystes, les protestations récentes seraient le signe d’un rejet de la politique. Je pense que c’est précisément l’opposé: celles-ci sont le reflet d’une élévation du niveau de la démocratie qui veut encourager les gens à participer plus pleinement.
Je ne peux parler avec autorité que de mon pays, le Brésil, où je crois que les manifestations sont largement le résultat de succès sociaux, économiques et politiques. Au cours de la dernière décennie, le Brésil a vu doubler le nombre de ses étudiants universitaires, beaucoup parmi eux provenant de familles pauvres. Nous avons réduit drastiquement la pauvreté et l’inégalité. Ce sont des succès significatifs et il est totalement naturel que les jeunes, spécialement ceux qui sont en train d’obtenir ce à quoi leurs parents n’ont jamais eu accès, désirent plus.
Ces jeunes n’ont pas vécu la répression de la dictature militaire des années soixante et 70. Ils n’ont pas vécu non plus l’inflation des années quatre-vingt où la première chose que l’on faisait quand on recevait sa paie c’était de courir au supermarché pour acheter tout ce qu’on pouvait avant les nouvelles augmentations du lendemain. Ils se souviennent également très peu des années 90, lorsque la stagnation et le chômage déprimaient notre pays. Ils veulent plus.
C’est compréhensible que cela soit ainsi. Ils veulent que la qualité des services publics s’améliore. Des millions de Brésiliens, ceux notamment qui font partie de la classe moyenne émergente, ont acquis leur première voiture et ont commencé à voyager en avion. Les transports publics doivent donc maintenant être efficaces pour rendre ainsi la vie dans les grandes villes moins difficile.
Les préoccupations des jeunes ne sont pas seulement matérielles. Ils veulent un plus grand accès aux loisirs et aux activités culturelles. Mais surtout, ils demandent des institutions politiques qui soient plus propres et plus transparentes, sans les distorsions du système politique et électoral brésilien qui est anachronique. On a vu récemment comme celui-ci s’est montré incapable de mener des réformes. La légitimité de ces revendications ne peut pas être contestée, même s’il est impossible de les satisfaire rapidement. Il est d’abord nécessaire de trouver des financements, d’établir des objectifs et de fixer des délais.
La démocratie n’est pas une injonction au silence. Une société démocratique est un processus en devenir, où l’on débat, définit des priorités et des objectifs et où l’on cherche constamment à obtenir de nouveaux succès. Ce n’est que dans une démocratie qu’un Indien peut être élu président de la Bolivie et un Afro-américain devenir président des Etats-Unis. Ce n’est que dans une démocratie qu’un métallurgiste et puis une femme ont pu être élus présidents du Brésil.
L’histoire montre que lorsque les partis politiques sont réduits au silence et que les solutions sont imposées par la force, les résultats sont désastreux : guerres, dictatures et persécution des minorités. Sans partis politiques, il ne peut y avoir de vraie démocratie. Mais les gens ne souhaitent pas simplement pouvoir voter tous les quatre ans. Ils veulent être en interaction quotidienne avec les gouvernements locaux et nationaux et prendre part à l’élaboration des politiques publiques, cela en exprimant leurs opinions sur les décisions qui les affectent au quotidien.
En bref, ils veulent être entendus. Cela constitue un immense défi pour les leaders politiques. Cela exige des meilleures voies de communication, sur les réseaux sociaux comme sur les lieux de travail et les campus, pour renforcer l’interaction non seulement avec les groupes de travailleurs et les leaders communautaires, mais aussi avec ce qu’on appelle les secteurs désorganisés, eux dont les désirs et les besoins ne devraient pas être moins respectés parce qu’ils ne sont pas organisés.
Il a été dit avec justesse qu’alors que la société était entrée dans l’ère numérique, le monde politique était resté inchangé. Si les institutions démocratiques utilisaient les nouvelles technologies de communication comme des instruments de dialogue et non pour de la propagande uniquement, alors ces institutions insuffleraient de l’air frais dans leurs pratiques. Et cela les mettrait avec plus d’efficacité en relation avec toutes les parties de la société.
Même le Parti des travailleurs, dont j’ai participé à la fondation et qui a tant contribué à moderniser et à démocratiser la politique au Brésil, a besoin d’un profond renouvellement. Il doit retrouver ses liens quotidiens avec les mouvements sociaux, offrir de nouvelles solutions face aux nouveaux problèmes et faire ces deux choses sans traiter les jeunes de manière paternaliste.
La bonne nouvelle est que les jeunes ne sont pas conformistes, apathiques ou indifférents à la vie publique. Même ceux qui pensent qu’ils détestent la politique sont en train de commencer à participer. Quand j’avais leur âge, je n’imaginais même pas que je deviendrais un jour un militant politique. C’est quand nous avons découvert qu’il n’y avait au Congrès national pratiquement pas de représentants de la classe des travailleurs que nous avons voulu créer un nouveau parti politique. A travers la politique, nous avons réussi à restaurer la démocratie, à consolider la stabilité économique et à créer des millions d’emplois.
Il est clair qu’il reste encore beaucoup de choses à faire. Ce sont de bonnes nouvelles que nous jeunes veuillent se battre pour assurer que le changement social continue à se faire à un niveau plus intense.
L’autre bonne nouvelle, c’est que la Présidente Dilma Rousseff a proposé un référendum pour mener à bien les réformes politiques qui sont si nécessaires. Elle a aussi proposé un engagement national sur l’éducation, la santé et les transports publics, par lequel le gouvernement fédéral s’engage à apporter un soutien financier et technique substantiel aux Etats fédéraux et aux municipalités.
Quand je parle avec de jeunes leaders au Brésil et ailleurs, j’aime à leur dire la chose suivante : Même si vous êtes découragé par tout et tout le monde, ne renoncez pas à la politique. Participez ! Si vous ne trouvez pas chez les autres le politicien que vous cherchez, peut-être alors le trouverez-vous en vous-même. (Traduction A l’Encontre)
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Le New York Times publiait, le 14 juillet 2013, une tribune «libre» de l’ancien président du Brésil : Luiz Inácio Lula da Silva. Son mandat présidentiel dura de 2003 à 2011 et Dilma Rousseff traduit son choix après deux mandats (qui ne peuvent être suivis immédiatement d’un troisième). Il œuvre actuellement à des «initiatives globales» au sein de l’Instituto Lula. Durant toute la crise et les mobilisations populaires, qui ont commencé le 6 juin 2013, il a gardé le silence.
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