En date du 28 juin 2012, le quotidien économique français Les Echos écrivait: «L’arrêt de la production automobile est désormais inéluctable à Aulnay-sous-Bois. Le constructeur et les collectivités font face à un défi inédit: déminer une situation sociale explosive et proposer une reconversion pour ce gigantesque site de 3000 salariés.» L’article continuait: «A côté des chaînes de la C3 se trouve un gigantesque espace désormais dédié à la logistique. Au fond de l’atelier, une zone de dépôt pour les pièces détachées a été rapatriée d’un autre bâtiment. Les restes d’une époque où Aulnay assemblait plus de 400’000 voitures par an sur deux lignes avant l’arrêt de la C2… Pour ceux qui ont connu l’usine en 2004, à l’époque où Aulnay figurait parmi les plus grosses unités de Peugeot-Citroën, le contraste est saisissant.» Le jeudi 28 juin, les salariés de PSA Aulnay se mobilisaient. En effet, depuis plus d’un an, des militants syndicaux prévoient la fermeture de l’usine pour 2014. Celle de Madrid semble aussi être une cible de la restructuration du groupe, dans un contexte de crise de surproduction qui touche l’ensemble de la branche. Ce jeudi 28 juin étaient présents des syndicalistes non seulement des usines PSA France, mais aussi ceux d’Opel Bochum, de GM Strasbourg et de PSA Madrid. Les stratégies de restructuration impliquent non seulement la destruction de capital (fermeture d’usines ou d’ateliers et licenciements), mais aussi une mise en question radicale des conditions de travail et salariales.
Le mercredi 4 juillet au soir un arrêt de travail s’est produit dans la cabine de peinture. Il a été déclenché par une douzaine d’intérimaires. Puis il a été suivi par d’autres salariés de l’atelier que leurs collègues de travail ont refusé de remplacer. Une grève partielle a donc commencé avec l’appui de SUD et de la CGT. Il faut savoir que sur les 3400 salariés de PSA-Aulnay, 300 sont des intérimaires. Cette grève intervient donc quelques jours avant la réunion extraordinaire du Comité d’établissement. Elle doit se tenir le 13 juillet. PSA-Aulnay risque d’être un test pour le gouvernement Hollande et certaines centrales syndicales françaises.
Nous publions ci-dessous une analyse et mise en perspective de «la crise de PSA» et de celle d’un «système». Ce texte a été publié le 2 juillet 2012 dans la Lettre d’information d’Apex, un bureau servant d’appui aux organisations syndicales dans les entreprises, selon la législation française. (Rédaction A l’Encontre)
*****
S’il n’y avait pas en jeu le sort de milliers de salariés, l’affaire PSA serait presque ironique, car elle illustre toutes les hypocrisies passées, et malheureusement à venir, concernant la défense des emplois industriels:
• Du discours présidentiel des états généraux sur l’industrie de mars 2010 qui promettait (tenez-vous bien chers lecteurs!) une augmentation de 25% de l’activité industrielle d’ici à 2015, la pérennisation de l’emploi et un gain de plus de 2% de la part française dans la production industrielle européenne!
• De tous les tenants d’une Europe, pure zone de compétition et de libre-échange qui, pendant 25 ans, ont fait mine de croire à son innocuité en matière de développement économique et social.
• De tous les naïfs qui pensaient pousser leurs «champions nationaux» (dont PSA) à devenir de parfaits prédateurs de la mondialisation, sans que ceux-ci remettent jamais en question leur attachement à la «défense du maillot».
• De tous ceux qui ont fait semblant de ne pas entendre ce que leur annonçaient les salariés d’Aulnay et leurs organisations syndicales, ainsi que ceux de Sevelnord près de Valencienne, et bien d’autres tout au long des cascades de sous-traitance.
Voici donc les résistants de la onzième heure qui s’agitent, gesticulent, discourent et même menacent, un peu comme Don Quichotte menaçait les moulins.
La quête d’une dimension mondiale
Le 26 novembre 2011, le Journal des Finances se demandait si PSA n’avait pas été «trop “bon citoyen” en délocalisant beaucoup moins et plus tard que Renault». Ah l’impatience légendaire de la Finance!!!
Il suffisait d’attendre quelques semaines à peine pour que le partenariat stratégique avec Général Motors soit annoncé et que d’emblée la question de leurs surcapacités industrielles conjointes en Europe soit montrée du doigt. C’est désormais un milliard et demi d’économies qui est attendu grâce aux synergies.
Le Journal des Finances croyait-il vraiment un instant que la «malheureuse» direction de PSA était encore sous l’emprise d’une mauvaise conscience patriotique? Sans doute pas. Mais prêcher le faux pour savoir le vrai est assez courant parmi les analystes financiers. D’autant qu’il faudrait être un peu niais pour confondre le désir incontestable de la famille Peugeot de conserver la majorité du capital (tout en l’ouvrant à General Motors) avec une volonté de conserver le caractère «français» du groupe. Les deux choses n’ont évidemment rien à voir et la «citoyenneté» de la holding familiale ne se matérialise plus que dans les retours d’ascenseurs qu’elle doit encore parfois à la puissance publique (Etat français). Pour le reste, que vive la mondialisation du groupe!
Une mécanique infernale
Il n’est pas même nécessaire d’attendre le document officiel de la direction de PSA sur l’avenir de ses sites européens. On sait d’avance qu’on y trouvera l’argument de la crise actuelle, la contrainte d’une Europe conçue comme un ring de boxe, la nécessaire course aux marchés asiatiques, l’impitoyable concurrence mondialisée, les paris périlleux sur les nouvelles motorisations…
Le dossier Aulnay, c’est la quintessence du monde tel qu’il a été construit depuis 30 ans. C’est la représentation, en miniature, de la fuite en avant d’un système.
Mais, ce que ne dira pas le document de PSA, c’est que la pérennité des emplois à Aulnay aurait nécessité d’inverser complètement la vapeur, il y a bien longtemps déjà. Car Aulnay c’est aussi le condensé d’une pathologie bien connue de la concurrence marchande: s’il lui faut détruire ainsi du capital (et des milliers d’emplois au passage), ce n’est pas seulement à cause de la crise et du fléchissement conjoncturel de la demande. C’est aussi et surtout parce que la bataille du marché et du profit se joue sur le couple investissement/gains de productivité! Or que s’est-il passé depuis 20 ans?
• Première séquence: constitution d’une zone de libre-échange européenne; les grands groupes industriels se réorganisent dans ce nouvel espace, cherchent par l’investissement à optimiser cette nouvelle donne géopolitique; rationalisation, synergies, gains de productivité…
• Deuxième séquence : ouverture vers l’Europe centrale; la conquête de ces marchés et l’opportunité d’y trouver une main-d’œuvre qualifiée et pas chère relance l’investissement (absorption de marques locales, nouveaux sites, explosion de la sous-traitance délocalisée…); gains de marge, hausse des profits et des dividendes. Renault qui distribuait à ses actionnaires autour de 18% de son résultat au début des années 2000 passe à 37% en 2007 juste avant la crise. PSA qui remontait 21% de son résultat en 2003 en remonte [vers les actionnaires] 40% en 2007!
• Troisième séquence: l’histoire montre qu’avec ou sans la crise actuelle, cette course vers la surcapitalisation conduit immanquablement à des surcapacités de production. Autrement dit, la forme que prend la bataille pour le profit mène régulièrement à une irrationalité du dispositif productif. Et donc à des chocs sociaux considérables. La crise actuelle (baisse de la demande) ne vient que renforcer cette tendance structurelle. Le problème n’est pas de vérifier quel est le taux de surcapacité en Europe, mais de savoir par quels mécanismes en arrive-t-on régulièrement à devoir détruire de la richesse, du savoir, des équipements et des emplois.
L’autre aspect symbolique du cas Aulnay, c’est qu’en dépit de la répétition systématique de ces cycles, rien n’est jamais fait pour anticiper. Pire, on persiste pendant des mois, voire des années, à dire aux salariés qu’il n’y a pas de problème. Par diverses voies, on fait passer le message insidieux que c’est «plus compliqué», que peut-être ce ne sera pas sur ce site ou que ce sera moins radical… La manière dont la direction de PSA a cherché à maintenir le doute et a joué la montre jusqu’à l’accord avec General Motors est tout à fait éclairante. Ce qui ne l’empêchera pas d’alimenter positivement la rubrique «Responsabilité sociétale et environnementale» de sa prochaine plaquette financière annuelle.
On peut espérer que la résistance des salariés sera relayée au niveau de la puissance publique pour sauver le maximum d’emplois. Mais sur le fond, Aulnay c’est le symbole d’un système qui déraille.
Soyez le premier à commenter