France : la question des salaires est posée!

Le «coup de pouce» au SMIC

Par Apex

Un pouvoir d’achat en baisse de 1,2%, du jamais vu depuis 1984. Une revalorisation du SMIC [Salaire minimum interprofessionnel de croissance] de 21,50 € par mois. La consommation finale des ménages qui se dégrade. Des prix à la consommation qui, à mai 2012, avaient augmenté de 2% sur les douze derniers mois. La moitié des salarié·e·s qui ont un salaire net inférieur à 1675 euros, quand ils sont à temps plein. Un salaire médian qui n’a progressé que de 0,3% en 2010 après inflation. Plus de 4 millions de femmes qui vivent en dessous du seuil de pauvreté et plus de 2 millions d’hommes (revenus inférieurs à 60% du revenu médian), hors Dom-Tom (Départements d’outre-mer ; Territoires d’outre-mer)

Et tout cela serait «normal» ! Normal du fait de la crise, normal parce que les entreprises ne peuvent pas mettre en péril leur compétitivité, normal parce que l’Etat lui-même ne peut pas faire mieux pour ses agents, normal parce que les PME ont le couteau sous la gorge, normal parce que le taux de charges sociales surenchérirait exagérément le coût salarial, normal parce que les entreprise ont d’abord besoin d’investir…Vraiment normal ?

Acte I (avoir de la mémoire)

Voilà un quart de siècle que le même discours est tenu, quelle que soit la conjoncture du moment. Dès 1982, le gouvernement de l’époque [Pierre Mauroy, sous la présidence de François Mitterrand] décide un blocage des salaires durant quelques mois, suivi d’un sérieux coup de frein pour les années suivantes – au nom de la lutte contre l’inflation. Il interdit que tout accord salarial comporte une indexation sur la progression du SMIC. Le temps partiel est favorisé et étendu: représentant 8 % des emplois en 1980, il en représentait 16 % au milieu des années 90. Côté précarité, en 1985 trois jeunes sur dix n’avaient comme premier emploi qu’un emploi précaire; ils étaient six sur dix en 1995, neuf sur dix en 1998. C’est ainsi qu’en France, la part des salaires rapportée à la valeur ajoutée a perdu 6,5 points par rapport à la moyenne des années 60/70. Bien avant l’actuelle crise!

Qu’est-ce qui pouvait bien motiver, en France et ailleurs, une telle politique? La réponse fut donnée par le chancelier allemand de l’époque, Helmut Schmidt [1974-1982] : «les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain». Sauf que ce théorème ne s’est jamais confirmé, se réduisant à une vulgaire escroquerie intellectuelle.

Les entreprises ont utilisé leurs profits supplémentaires – contrepartie de la baisse de la part des salaires – pour se désendetter, puis pour distribuer de plus en plus de dividendes aux actionnaires. Dans le cas français, les profits distribués par les entreprises représentent (en net, pour tenir compte des dividendes qu’elles se versent entre elles) 13 % de la masse salariale en 2010, contre 4 % au début des années 1980.

Et l’on sait aujourd’hui, avec le recul, que non seulement les dividendes ont augmenté, mais que le taux d’investissements a baissé, et que l’imposition sur les bénéfices a également baissé. Ce transfert de revenu vers l’actionnariat au détriment des salaires et des ressources publiques est l’une des causes majeures de la bulle financière et de la crise systémique actuelle.

Acte II (ne pas tomber dans le panneau)

Cette crise ouvre un nouveau débat, cette fois-ci sur «l’effort»… collectif. [thème de la présidence de François Hollande et du gouvernement de Jean-Marc Ayrault]. Cet effort qui devrait permettre de relancer l’activité de demain et les emplois d’après-demain. Une fois encore l’escroquerie est flagrante.

D’abord parce que la relance n’existera pas tant que la seule réponse à la crise financière des Etats sera l’austérité radicale. Les exemples de la Grèce, de l’Espagne et du Portugal l’attestent: serrer inconsidérément la ceinture finit par une apoplexie. Plus ces pays prennent de mesures restrictives, plus leur récession s’aggrave.

Ensuite, parce que l’argument porte invariablement sur les seules PME. Ces «mystérieuses PME» dont on ne sait jamais vraiment bien qui elles sont. Filiales de groupes qui leur imposent une remontée automatique de leur trésorerie et qui fixent à l’avance leur taux de marge? Entreprise moyenne indépendante, mais pieds et poings liés par ses donneurs d’ordre? Artisan qui dépend essentiellement du pouvoir d’achat de ses clients individuels ?

Pourquoi ne pas commencer par dire que les défaillances d’entreprises petites et moyennes sont essentiellement dues à leurs relations drastiques avec les banques, aux délais de livraison, à leurs grands clients qui leur imposent des baisses régulières de prix, aux délais de paiement de leurs factures et parfois aussi à l’incompétence de leurs directions. La fameuse «Charte de bonnes pratiques» [datant de février 2010, signée alors sous la «surveillance» de Christine Lagarde] et la nomination d’un médiateur de la sous-traitance ne sont que des mesures cosmétiques qui ne retirent rien aux rapports de force du marché.

En 2011, un dossier de la fédération patronale de la plasturgie dénonçait «l’étranglement» des petites structures par les grands groupes en refusant notamment la répercussion des hausses de matières premières sur leurs prix de cession ! Mais sur toutes ces questions… silence et bouches cousues ! Seuls comptent la masse salariale et les charges….

C’est également une escroquerie parce que, dans cette société baptisée «société du risque» par d’éminents représentants patronaux, il se trouve que le risque pour l’actionnaire est assez globalement transféré aux salarié·e·s et à la collectivité. Il suffit de constater la bonne tenue des dividendes, voire même leur croissance relative par rapport au profit final pour s’en rendre compte. Pas de modération des dividendes! En 2008 et 2009, alors que les profits de CAC 40 s’effritent, les dividendes se maintiennent et par conséquent leur taux de distribution s’établit autour de 50% des profits !

Alors comment peut-on oser défendre la modération salariale comme premier acte politique avant même d’avoir commencé à traiter:

• La remise au pas des banques sur leur rôle économique, et la constitution d’un système bancaire public dominant.

• La révision sérieuse des politiques fiscales envers les entreprises qui effectivement peuvent être variables en fonction de la nature de l’entreprise.

• La mise en place d’une grande négociation sur la sous-traitance mettant à nu les diktats des grands groupes vis-à-vis de leurs fournisseurs.

L’argument des PME est un prétexte pour justifier un faux réalisme. Posons les problèmes du rapport de force de marché, de la ponction que les grandes entreprises exercent au détriment des plus petites, de l’attitude des banques, des réels taux d’imposition différents entre grandes et petites entreprises… Posons cela et voyons alors si une vraie progression des salaires est «objectivement» impossible dans les PME!

C’est tout de même un comble que de présenter le «coup de pouce» [annoncé par le gouvernement Ayrault le 1 juillet 2012] au SMIC comme une avancée sociale, alors que l’argument sous-jacent, dissimulé derrière ces 2%, est singulièrement celui de l’austérité salariale à venir !

Comme de ne pas signaler que cette progression, sans négociation globale sur les salaires, va faire passer un certain nombre de salarié·e·s au niveau du SMIC – donc exonérés de charges avec basculement sur l’impôt.

Alors oui, la question des salaires est posée à juste titre. Au cours des 25 dernières années ce n’était jamais le bon moment pour une vraie progression des salaires et une autre répartition des richesses. Jamais !

Il y a eu successivement l’argument de l’inflation; puis celui de la compétitivité nationale; puis (rappelons-nous bien de cette fable) le conflit entre «nouvelle» et «ancienne» économie qui nous mena directement au krach boursier de 2001; puis la hausse des matières premières; puis les menaces chinoises et maintenant allemandes et enfin l’endettement public.

Cette société dont le PIB a cru de 4,8% en moyenne annuelle et en valeur depuis 1981 (3% en moyenne depuis 1991) n’a jamais été à même de poser le problème d’un autre partage des richesses. Il y a eu une obstination dans le partage de plus en plus inégalitaire. Une quasi fuite en avant qui se termine lamentablement par une crise générale du système économique. A quelques pas du gouffre.

C’est cette même société de «l’effort collectif » qui fait qu’entre 2004 et 2007 (juste avant le déclenchement de la crise) les plus-values ont pu progresser de 55%, les revenus du patrimoine de 46%, alors que les revenus d’activité et de remplacement [allocations diverses] ne progressaient que de 11% (Insee : «Les très hauts revenus : des différences de plus en plus marquées entre 2004 et 2007», Julie Solard, avril 2010). Confronté à ce bilan – autant social que politique  – la réponse qui vient de tomber est… «modération salariale» !

Le geste politique sur les salaires des patrons des entreprises publiques (désormais limités à 450’000 euros brut par an) est un acte de simple pudeur. Il ne change rien à la rémunération extravagante des dirigeants des grandes firmes privées et à celles des patrons d’institutions financières.

Personne n’est stupide dans ce débat social. Personne ne propose d’augmentations qui, en raison de la compétitivité marchande, couleraient instantanément des milliers d’entreprises. Mais ce que les salarié·e·s ne peuvent pas supporter c’est qu’il ait pu y avoir, pendant tant d’années, un tel transfert inégal de revenus, et que la question du rattrapage, d’un simple début de compensation, d’un renversement des priorités, ne soit même pas posée, aujourd’hui.

Dans les procédures judiciaires, on entend dire «pensons aux victimes »… Et bien dans la transition politique actuelle, il est justice de dire «pensez aux victimes» des politiques libérales déployées depuis trois décennies.

Prenez le problème dans l’autre sens. Attaquez-vous aux mécanismes, démontez la machine et remontez-la autrement. Alors on verra qu’il est possible de distribuer autrement les richesses créées. D’autant que cette crise a parmi ses causes, l’accaparement inégal de la richesse, l’abondance des capitaux en jachère qui tournent dans la sphère spéculative et qui échappent durablement au développement collectif.

La question des salaires est bel et bien posée. Pas seulement sous sa forme classique d’augmentation ponctuelle du pouvoir d’achat, mais aussi comme la réaction légitime à trois décennies scandaleuses.

____

Article publié dans sa «Lettre d’information» par Apex.

 

 

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*