Etats-Unis. Trump et son Golden Dome. La passion d’un bonimenteur. De l’or pour les firmes de l’armement

Par Ashley Gate et William D. Hartung

Le nouveau thriller nucléaire de Kathryn Bigelow, A House of Dynamite [un film sur une guerre nucléaire dans le contexte international actuel], a été critiqué par certains experts pour son manque de réalisme, notamment parce qu’il dépeint un scénario improbable dans lequel un adversaire choisit d’attaquer les États-Unis avec un seul missile nucléaire. Une telle action laisserait bien sûr l’immense arsenal nucléaire états-unien largement intact et entraînerait donc une riposte dévastatrice qui détruirait sans aucun doute en grande partie le pays attaquant. Mais le film est très pertinent sur un point: il montre comment les intercepteurs de missiles des Etats-Unis, les uns après les autres, manquent leur cible malgré la confiance de la plupart des stratèges militaires qui sont convaincus de pouvoir détruire n’importe quelle ogive nucléaire et sauver la situation. [Voir l‘article de Melvin Goodman publié sur le site alencontre.org le 10 novembre 2025 .]

À un moment donné dans le film, un jeune fonctionnaire fait remarquer que les intercepteurs états-uniens ont échoué à près de la moitié de leurs tests, et le secrétaire à la Défense répond en hurlant: «C’est tout ce que nous obtenons pour 50 milliards de dollars?»

En réalité, la situation est bien pire. Nous, les contribuables, que nous en soyons conscients ou non, parions sur une maison pleine de dynamite, en misant sur l’idée que la technologie nous sauvera en cas d’attaque nucléaire. Les États-Unis ont en fait dépensé plus de 350 milliards de dollars en défenses antimissiles depuis que, il y a plus de quarante ans, le président Ronald Reagan a promis de créer une défense infaillible contre les missiles balistiques intercontinentaux (ICBM). Croyez-le ou non, le Pentagone n’a même pas encore procédé à un test réaliste du système (Breaking Defense, 22 février 2022), qui consisterait à tenter d’intercepter des centaines d’ogives voyageant à 2400 km/h, entourées de leurres réalistes qui rendraient difficile l’identification des éléments à viser.

Laura Grego, de l’Union of Concerned Scientists, a souligné que le rêve d’une défense antimissile parfaite – ce que Donald Trump a promis que serait son nouveau système «Golden Dome» tant apprécié – est un «fantasme» de premier ordre, et que «les défenses antimissiles ne constituent pas une stratégie utile ou à long terme pour défendre les États-Unis contre les armes nucléaires».

Laura Grego n’est pas la seule à partager cette opinion. Un rapport publié en mars 2025 par l’American Physical Society, «Strategic ballistic missile defense. Challenges to defending the U.S.» , a conclu que «la mise en place d’une défense fiable et efficace contre même un petit nombre d’ICBM nucléaires relativement peu sophistiqués reste un défi de taille». Le rapport note également que «peu des principaux défis liés au développement et au déploiement d’une défense antimissile fiable et efficace ont été résolus, et […] bon nombre des problèmes difficiles que nous avons identifiés resteront probablement tels pendant et sans doute au-delà» de l’horizon de 15 ans envisagé dans leur étude.

Malgré les preuves que ce projet ne servira pratiquement à rien pour nous défendre, le président Trump continue de miser tout sur Golden Dome. Cependant, ce qu’il a réellement en tête n’a peut-être pas grand-chose à voir avec notre défense. Jusqu’à présent, Golden Dome semble être un concept marketing destiné à enrichir les fabricants d’armes et à redorer l’image de Trump plutôt qu’un programme de défense mûrement réfléchi.

Contrairement à la logique et à l’histoire, Trump a affirmé que son système prétendument infaillible pouvait être produit en seulement trois ans pour 175 milliards de dollars. Bien que cela représente une somme considérable, les analystes du domaine suggèrent que le coût sera probablement astronomique et que le calendrier proposé par le président est, pour le dire poliment, follement optimiste. Todd Harrison, un analyste réputé du budget du Pentagone qui travaille actuellement pour l’American Enterprise Institute, un think tank très conservateur, estime qu’un tel système coûterait entre 252 milliards et 3600 milliards de dollars sur 20 ans, selon sa conception. L’estimation haute de Harrison est plus de 20 fois supérieure au prix avancé par le président Trump.

Quant au calendrier de trois ans proposé par le président, il est totalement en décalage avec l’expérience du Pentagone dans le développement d’autres systèmes majeurs. Plus de trois décennies après avoir été proposé comme avion de combat de nouvelle génération (sous le nom de Joint Strike Fighter, ou JSF), par exemple, le F-35, autrefois présenté comme une «révolution dans les achats militaires», est toujours en proie à des centaines de défauts [ce qui n’a pas empêché le gouvernement helvétique de les acheter à un prix, garanti avec supplément], et les avions passent près de la moitié de leur temps dans des hangars pour être réparés et entretenus.

Les partisans du projet Golden Dome affirment que les délais projetés sont désormais possibles grâce aux nouvelles technologies développées dans la Silicon Valley, de l’intelligence artificielle à l’informatique quantique. Ces affirmations ne sont bien sûr pas démontrées, et l’expérience passée suggère qu’il n’existe pas de solution technologique miracle aux menaces complexes en matière de sécurité. Les armes guidées par l’IA peuvent être plus rapides pour localiser et détruire des cibles et capables de coordonner des réponses complexes comme des essaims de drones. Mais rien ne prouve que l’IA puisse aider à résoudre le problème consistant à bloquer des centaines d’ogives volant à grande vitesse et dissimulées dans un nuage de leurres. Pire encore, un système de défense antimissile doit fonctionner parfaitement à chaque fois s’il veut offrir une protection infaillible contre une catastrophe nucléaire, une norme inconcevable dans le monde réel des armes et des systèmes de défense.

Bien sûr, les fabricants d’armes qui salivent à la perspective d’une énorme rentrée d’argent liée au développement du Golden Dome sont bien conscients que le calendrier du président sera tout simplement impossible à respecter. Lockheed Martin a suggéré avec optimisme qu’il devrait être en mesure d’effectuer le premier test d’un intercepteur spatial en 2028, soit dans trois ans. Et ces intercepteurs spatiaux ont été proposés comme élément central du système Golden Dome. En d’autres termes, la promesse de Trump de financer les fabricants pour construire un système Golden Dome viable en trois ans relève davantage des relations publiques ou peut-être du fantasme présidentiel (presidential fantasy) que d’une planification réaliste.

Qui bénéficiera du Golden Dome?

Les principaux entrepreneurs du Golden Dome ne seront peut-être pas révélés avant plusieurs mois, mais nous en savons déjà suffisamment pour pouvoir deviner quelles firmes sont susceptibles de jouer un rôle central dans ce programme.

L’administration a déclaré que le Golden Dome serait construit à partir de matériel existant et que les plus grands producteurs actuels de matériel de défense antimissile sont Lockheed Martin, Boeing et Raytheon (une division importante de RTX Corporation, anciennement Raytheon Technologies). On peut donc compter sur au moins deux d’entre eux. Des entreprises technologiques militaires émergentes telles que SpaceX [Elon Musk] et Anduril [créée par Palmer Freeman Luckey] ont également été mentionnées comme intégrateurs de systèmes potentiels. En d’autres termes, une ou plusieurs d’entre elles contribueraient à coordonner le développement du Golden Dome et fourniraient des logiciels de détection et de ciblage pour celui-ci. Le choix final pour un rôle aussi lucratif est loin d’être certain, mais pour l’instant Anduril semble avoir une longueur d’avance.

Même après la rupture entre Donald Trump et Elon Musk, l’industrie technologique continue d’exercer une forte influence sur l’administration, à commencer par le vice-président JD Vance. Après tout, il a été employé et encadré par Peter Thiel de Palantir, le parrain de la récente vague de recherche et de financement militaires dans la Silicon Valley. Thiel a également été l’un des principaux donateurs de sa campagne sénatoriale victorieuse en 2022, et JD Vance a été chargé de la collecte de fonds dans la Silicon Valley pendant la campagne présidentielle de 2024. Les magnats émergents de la technologie militaire comme Thiel et Palmer Luckey, ainsi que leurs financiers comme Marc Andreessen de la société de capital-risque Andreessen Horowitz, considèrent JD Vance comme leur homme à la Maison Blanche.

Parmi les autres partisans de la technologie militaire au sein de l’administration Trump, on trouve: le secrétaire adjoint à la Défense Stephen Feinberg, dont la société, Cerberus Capital, investit depuis longtemps dans des entreprises militaires et fait déjà pression pour réduire les réglementations sur les entreprises d’armement, conformément aux souhaits de la Silicon Valley; Michael Obadal, directeur principal de la société de technologie militaire Anduril, qui est aujourd’hui secrétaire adjoint à l’Armée; Gregory Barbaccia, ancien responsable du renseignement et des enquêtes chez Palantir, qui est aujourd’hui directeur de l’information du gouvernement fédéral; le sous-secrétaire d’État Jacob Helberg, ancien cadre chez Palantir; et de nombreux membres clés du Département de l’efficacité gouvernementale d’Elon Musk, qui a démoli des organismes civils tels que l’Agence américaine pour le développement international (US Aid) tout en épargnant au Pentagone des coupes budgétaires importantes.

Certains analystes prévoient une bataille concurrentielle pour le financement entre ces entreprises technologiques militaires de la Silicon Valley et les cinq grandes entreprises (Boeing, General Dynamics, Lockheed Martin, Northrop Grumman et RTX) qui dominent actuellement les contrats du Pentagone. Mais le projet Golden Dome fera de la place aux principaux acteurs des deux camps et pourrait s’avérer être un domaine dans lequel la vieille garde et les équipes technologiques militaires de la Silicon Valley s’associeront pour faire pression afin d’obtenir un financement maximal.

Les principales entreprises de défense et les fabricants de missiles du pays bénéficieront probablement d’un accès direct au Golden Dome, puisque le projet devrait être basé à Huntsville, en Alabama, c’est-à-dire le «Pentagone du Sud». Cette ville, qui se décrit elle-même comme la «Rocket City», abrite l’Agence américaine de défense antimissile et une myriade d’entreprises de défense (dont Lockheed Martin, RTX, General Dynamics et Boeing). Elle accueillera également bientôt le nouveau quartier général de la Space Force.

Si Huntsville est un centre névralgique de la défense antimissile depuis les efforts infructueux du président Ronald Reagan en matière de défense ICBM, ce qui rend cet emplacement particulièrement probable, c’est l’importance des représentants républicains de Huntsville au Congrès, en particulier le député Dale Strong. «Le nord de l’Alabama a joué un rôle clé dans tous les programmes de défense antimissile américains passés et actuels et sera sans aucun doute déterminant pour le succès du Golden Dome», a-t-il expliqué, après avoir reçu 337’600 dollars de contributions électoralesdu secteur de la défense au cours du cycle électoral 2023-2024 et cofondé le House Golden Dome Caucus [la fraction parlementaire des élus de la Chambre des représentants lobbyistes du Golden Dome].

Le soutien de Dale Strong au projet va de pair avec le pouvoir dont  dispose le président de la commission des forces armées de la Chambre des représentants, Mike Rogers (également originaire de l’Alabama), qui a reçu 535’000 dollars du secteur de la défense au cours de la campagne électorale de 2024. Le sénateur républicainTommy Tuberville, membre éminent de la commission des forces armées du Sénat, et la sénatrice Katie Boyd Britt, membre du Golden Dome Caucus du Sénat, complètent la délégation républicaine de l’Alabama au Sénat.

Bon nombre des principaux promoteurs du Golden Dome représentent des États comme l’Alabama ou des districts qui devraient bénéficier du programme. Les caucus bicaméraux du Golden Dome au Congrès comprennent de nombreux membres issus d’États déjà impliqués dans la production de missiles, notamment le Dakota du Nord et le Montana, qui abritent des missiles balistiques intercontinentaux construits et entretenus par Northrop Grumman et Lockheed Martin, parmi d’autres entreprises.

Ces mêmes entreprises d’armement font depuis longtemps des dons généreux aux campagnes politiques. Et tout récemment, afin de s’attirer les faveurs du projet Golden Dome et de prouver qu’elles méritaient ses contrats lucratifs, Palantir et Booz Allen Hamilton [entreprise de conseil en management] se sont jointes à Lockheed Martin pour faire don de plusieurs millions de dollars à la nouvelle salle de bal du président Trump, qui remplacera l’aile est dévastée de la Maison Blanche. On peut s’attendre à d’autres manifestations publiques d’affection financière de la part des entreprises d’armement qui attendent le verdict final de l’administration sur les contrats du Golden Dome, qui devrait être annoncé début 2026.

L’or du Golden Dome

Le Golden Dome devrait déjà recevoir près de 40 milliards de dollars l’année prochaine, si l’on tient compte des fonds provenant du «big beautiful bill» du président Trump et de la requête budgétaire de l’administration pour l’exercice 2026. La demande pour 2026 concernant Golden Dome représente plus du double du budget des Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (Centers for Disease Control) et trois fois le budget de l’Agence de protection de l’environnement, piliers essentiels de tout effort visant à prévenir de nouvelles pandémies ou à relever les défis de la crise climatique. En outre, le Golden Dome va sans aucun doute détourner vers le secteur militaire un nombre important de scientifiques et d’ingénieurs qui, autrement, pourraient s’efforcer de résoudre des problèmes environnementaux et de santé publique, sapant ainsi la capacité de ce pays à faire face aux plus grandes menaces qui pèsent sur nos vies et nos moyens de subsistance afin de financer un système de défense qui ne sera jamais en mesure de nous défendre.

Pire encore, le Golden Dome risque d’être plus qu’un simple gaspillage d’argent. Il pourrait également accélérer la course aux armements nucléaires entre les États-Unis, la Russie et la Chine. Si, comme c’est souvent le cas, les adversaires des États-Unis se préparent aux pires scénarios, ils sont susceptibles d’élaborer leurs plans en partant du principe que le Golden Dome pourrait fonctionner, ce qui signifie qu’ils renforceront leurs forces offensives afin de s’assurer que, en cas de conflit nucléaire, ils seront en mesure de neutraliser tout nouveau réseau de défense antimissile. C’est précisément ce type de course aux armements offensifs/défensifs que le traité sur les missiles antibalistiques de l’époque du président Richard Nixon visait à empêcher. Cet accord a toutefois été abandonné par le président George W. Bush.

Un aspect tout aussi dangereux de tout avenir impliquant le Golden Dome serait la création d’un nouvel ensemble d’intercepteurs spatiaux faisant partie intégrante du système. Un intercepteur spatial ne serait peut-être pas capable de bloquer un déluge d’ogives nucléaires, mais il serait certainement capable de détruire des satellites civils et militaires, qui se déplacent sur des orbites prévisibles. Si l’accord tacite de ne pas attaquer ces satellites venait à être rompu, les fonctions de base de l’économie mondiale (sans parler de l’armée des Etats-Unis) seraient menacées. Non seulement les attaques contre les satellites pourraient paralyser l’économie mondiale, mais elles pourraient également déclencher une spirale d’escalade qui pourrait, à terme, conduire à l’utilisation d’armes nucléaires.

Si le système Golden Dome venait à être lancé (à un coût exorbitant pour le contribuable des Etats-Unis), son «or» enrichirait encore davantage les fabricants d’armes déjà bien nantis, nous donnerait un faux sentiment de sécurité et permettrait à Donald Trump de se poser en plus grand défenseur que ce pays ait jamais connu. Malheureusement, les fantasmes ont la vie dure, et la première chose à faire pour mettre fin au gâchis du Golden Dome est simplement de faire comprendre qu’aucun système de défense antimissile ne nous protégera en cas d’attaque nucléaire, comme le souligne bien le film A House of Dynamite. La question est la suivante: nos décideurs politiques peuvent-ils être aussi réalistes dans leur évaluation de la défense antimissile que les réalisateurs d’un grand film hollywoodien? Ou est-ce tout simplement trop demander? (Article publié sur le site Tom Dispatch le 13 novembre 2025; traduction rédaction A l’Encontre)

Ashley Gate est chercheuse au sein du programme Democratizing Foreign Policy (Démocratisation de la politique étrangère) du Quincy Institute.

William D. Hartung est chercheur senior au Quincy Institute for Responsible Statecraft.

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Benoit PELOPIDAS est docteur en science politique, professeur des universités de classe exceptionnelle à Sciences Po et fondateur du programme d’étude des savoirs nucléaires (qui refuse tout financement porteur de conflit d’intérêt). Il est également l’auteur de « Repenser les choix nucléaires ». Benoit Pelopidas est un des grands spécialistes mondiaux des armes nucléaires, de nos vulnérabilités et des catastrophes potentielles qu’elles peuvent causer. Dans cette interview par Olivier Berruyer pour Élucid, il dévoile la triste vérité de ce sujet étrangement très peu abordé dans les grands médias, en dépit de son importance vitale : les armes nucléaires, loin de contribuer à notre sécurité, sont un danger à tous les niveaux. Leur existence fait peser sur l’humanité une menace hors de contrôle, a fortiori dans les temps troublés que nous traversons. (Elucid)

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