Des données récentes révèlent que 98 Palestiniens sont morts dans des prisons israéliennes depuis le 7 octobre

Rapport de Physicians for Human Rights–Israel (PHRI)

Par Yuval Abraham

Au moins 98 Palestiniens sont morts dans les prisons et les centres de détention militaires israéliens depuis le 7 octobre 2023, dans de nombreux cas apparemment en raison de tortures, de manque de soins médicaux et de privation de nourriture par des soldats et des gardiens de prison. Parmi les détenus originaires de Gaza, qui constituent la majorité, moins d’un tiers ont été classés comme combattants par l’armée israélienne elle-même, ce qui signifie, a contrario, qu’Israël est responsable de la mort de dizaines de civils palestiniens en détention.

Des données jusqu’alors non publiées sur les décès de Palestiniens en détention ont été obtenues auprès de l’armée israélienne et du Service pénitentiaire israélien (IPS) par Physicians for Human Rights–Israel (PHRI), qui a publié aujourd’hui un rapport rendant ces chiffres publics. Selon PHRI, le chiffre de 98 est probablement largement sous-estimé, les organisations de défense des droits humains n’ayant pas réussi à localiser des centaines d’autres personnes qui auraient été détenues à Gaza.

Le site +972 Magazine, Local Call (en hébreux) et The Guardian ont recoupé les données de PHRI avec une base de données interne des services de renseignement militaires israéliens – divulguées aux publications mentionnées ci-dessus plus tôt cette année – afin de déterminer combien de détenus décédés à Gaza l’armée considérait comme appartenant aux branches armées du Hamas ou du Jihad islamique palestinien. (La base de données ne contient pas d’informations sur les membres d’autres groupes armés de Gaza, qui, selon les rapports de l’IPS, représentent moins de 2% de l’ensemble des détenus de l’enclave depuis le 7 octobre.)

Les données obtenues par le PHRI révèlent qu’au moins 68 prisonniers de Gaza sont morts en détention par Israël jusqu’à la fin du mois d’août. La base de données des services de renseignement – dont nous avons obtenu les données en mai et qui, selon plusieurs sources des services de renseignement israéliens, est considérée par l’armée comme la banque d’informations la plus complète sur les combattants palestiniens à Gaza – répertoriait 21 militants comme étant morts en détention israélienne depuis le début de la guerre. À l’époque, on savait que 65 prisonniers de Gaza étaient morts dans les prisons et les centres de détention israéliens, ce qui suggère que jusqu’à 44 détenus gazaouis décédés étaient des civils.

+972 (21 août 2025), Local Call et The Guardian ont précédemment révélé que la base de données interne de l’armée implique que les civils représentaient 83% de toutes les personnes tuées à Gaza, ainsi que les trois quarts des personnes arrêtées et détenues.

Outre les 68 Gazaouis, le PHRI rapporte que 23 Palestiniens de Cisjordanie et trois Palestiniens ayant la citoyenneté ou la résidence israélienne sont morts en détention pendant la guerre, avant le mois d’août de cette année, ce qui porte le nombre total de détenus à 94. Depuis lors, au moins quatre autres Palestiniens sont morts en détention – trois de Cisjordanie et un de Gaza –, ce qui porte le nombre total de morts connus à 98. (Ce chiffre n’inclut pas sept autres cas dans lesquels des Palestiniens ont été abattus par l’armée et sont morts en détention peu après leur arrestation, avant d’atteindre les établissements pénitentiaires.)

Ce chiffre est nettement plus élevé qu’on ne le pensait auparavant. Les dernières données publiées début novembre par trois organisations palestiniennes de défense des droits des prisonniers (Addameer, la Commission des affaires des détenus et anciens détenus et la Société palestinienne des prisonniers) estiment à 81 le nombre de détenus décédés dans les prisons et centres de détention israéliens au cours des deux dernières années.

Selon Amani Sarahneh, de la Société palestinienne des prisonniers, entre 1967 et octobre 2023, le nombre total de Palestiniens décédés en détention israélienne s’élevait à 237. Bien que la documentation pendant les premières années de l’occupation israélienne de la Cisjordanie et de Gaza ne soit pas très fiable, le nombre de décès parmi les prisonniers et les détenus palestiniens au cours des deux dernières années représente une forte augmentation, reflétant la façon dont la violence physique, la torture et d’autres mauvais traitements à l’encontre des Palestiniens sont devenus monnaie courante dans le système carcéral israélien pendant la guerre.

Néanmoins, le PHRI note que le chiffre de 98 est probablement largement sous-estimé. «Ce n’est pas un tableau complet», a expliqué Naji Abbas, directeur du département Prisonniers et Détenus de l’organisation. «Nous sommes certains qu’il y a encore des personnes qui sont mortes en détention dont nous n’avons pas connaissance.»

L’armée israélienne a fourni pour la dernière fois des données sur les détenus décédés dans des centres de détention militaires en mai 2024, parallèlement aux données équivalentes publiées par l’IPS (Services pénitentiaires israéliens) concernant les prisons. À cette date, le nombre total de décès dans ces deux types d’établissements s’élevait à 60, ce qui signifie que le taux de décès de détenus palestiniens sous garde israélienne au cours des huit premiers mois de la guerre était d’environ un tous les quatre jours. Quatre mois plus tard, l’IPS a déclaré, en réponse à une demande d’accès à l’information, que trois autres détenus étaient morts dans les prisons israéliennes.

Depuis septembre 2024, des informations supplémentaires sur les décès de Palestiniens en détention israélienne n’ont été fournies qu’en réponse à des demandes spécifiques concernant des détenus individuels: l’armée et l’IPS ont confirmé certains décès lorsqu’on leur a posé la question, mais n’ont pas fourni de données de leur propre initiative.

Par ailleurs, le sort de nombreux autres Palestiniens qui auraient été détenus par des soldats israéliens à Gaza reste inconnu. L’armée a informé l’organisation israélienne de défense des droits humains HaMoked (Center for the Defence of the Individual créée par Dr. Lotte Salzberg pour la défense des Palestiniens vivant sous occupation) qu’elle ne disposait d’aucune information concernant des centaines de Palestiniens que l’organisation soupçonne d’avoir été détenus par ses forces. Dans le passé, l’armée a déclaré à des organisations de défense des droits humains que certaines personnes n’étaient pas détenues par Israël, pour ensuite signaler, en réponse à des procédures judiciaires, qu’elles étaient décédées.

Les familles à Gaza ne reçoivent pas de notification officielle du décès de leurs proches en détention israélienne et l’apprennent souvent par les médias. Les données fournies par l’État au PHRI indiquent que l’identité d’au moins 18 Gazaouis décédés dans les prisons israéliennes est inconnue et qu’aucune notification de leur décès n’a été transmise à leurs familles.

Malgré près de 100 décès enregistrés en détention et de nombreux témoignages et autres preuves de graves sévices physiques – y compris des violences sexuelles généralisées, comme le montre un nouveau rapport accablant du Centre palestinien pour les droits de l’homme basé à Gaza –, un seul soldat israélien a été poursuivi; il a été condamné en février à sept mois de prison pour avoir agressé des détenus de Gaza. Cinq autres soldats ont été accusés d’abus aggravés et d’avoir causé des blessures graves à un détenu du centre de détention de Sde Teiman [situé dans le désert du Néguev], après que des images ont été divulguées aux médias israéliens l’année dernière.

Comme le rapporte Haaretz (2 novembre), le plus haut responsable des affaires juridiques de l’armée israélienne a délibérément évité de lancer des enquêtes sur les crimes de guerre présumés commis par des soldats israéliens, notamment en ce qui concerne la mort de détenus en détention, en raison de la réaction négative anticipée de la droite (+972, 1er août).

«Aucune accusation n’a été portée pour aucun cas de meurtre», a expliqué Naji Abbas du PHRI. «Il ne s’agit pas seulement de cas isolés. C’est un phénomène systémique qui va se poursuivre.»

Selon les données obtenues par le PHRI, Sde Teiman était le centre de détention le plus meurtrier, avec 29 Palestiniens morts depuis le 7 octobre. Au moins deux autres détenus sont morts au camp d’Ofer (où +972 du 19 décembre 2024 a révélé des témoignages faisant état d’abus graves, de chocs électriques et de la propagation rampante de maladies), au moins un au camp de détention d’Anatot et au moins sept autres dans divers autres centres de détention gérés par l’armée dans le sud d’Israël. Cinq sont morts à l’hôpital Soroka [situé à Beer-Sheva] après avoir été transférés depuis des centres de détention militaires alors qu’ils étaient encore en détention.

En ce qui concerne les prisons officielles gérées par l’IPS, au moins 16 détenus sont morts à la prison de Ketziot, au moins cinq à la prison d’Ofer, au moins six à l’intérieur de la prison de Nitzan et du centre médical de l’IPS (Marash), sept à la prison de Megiddo, quatre dans le complexe comprenant la prison de Nafha et la prison de Ramon, au moins un à la prison d’Eshel, au moins trois à l’intérieur de la prison de Kishon et trois autres à la prison de Shikma. Le lieu du décès de huit autres personnes est inconnu.

«Chaque nuit, nous pouvions entendre des gens se faire battre à mort»

+972, Local Call et The Guardian ont examiné 10 rapports d’autopsie de Palestiniens décédés en détention israélienne, rédigés par des médecins qui ont pratiqué les autopsies pour le compte des familles des défunts. Dans cinq d’entre eux, des preuves de violence ont été relevées comme cause possible du décès: multiples côtes cassées, ecchymoses sur la peau ou à proximité d’organes internes, et déchirures d’organes internes. Au moins trois décès résultaient directement de manque de soins, notamment un cas de malnutrition extrême, un cas de cancer du sang non traité et un cas où un détenu diabétique avait été privé d’insuline.

Omar Daraghmeh, 58 ans, est décédé à la prison de Megiddo en octobre 2023. Un scanner post-mortem a révélé une hémorragie importante dans la région abdominale, laissant soupçonner que son décès était le résultat d’une agression physique ou d’une chute d’une hauteur importante.

L’autopsie d’Abdel Rahman Mara’i, 33 ans, décédé dans la même prison le mois suivant, a également révélé des signes de violence: ses côtes et son sternum étaient fracturés, et son corps présentait des ecchymoses. Le médecin qui a pratiqué l’autopsie de Mara’i a attribué son décès aux brutalités qu’il avait subies.

Un détenu qui se trouvait dans la même cellule que Mara’i a déclaré au PHRI: «Une quinzaine de membres du personnel [pénitentiaire] l’ont agressé, tous debout autour de lui, le frappant violemment. Les coups ont duré environ cinq minutes et visaient principalement la tête.»

Sari Hurriyah, un avocat palestinien de nationalité israélienne qui a été détenu en même temps que Mara’i pour des publications sur Facebook, a déclaré à la chaîne israélienne Channel 13 qu’il avait été témoin de la mort de Mara’i dans la cellule voisine. «Chaque nuit, nous pouvions entendre des gens se faire battre à mort, crier», a déclaré Hurriyah.

Selon le témoignage de Hurriyah, Mara’i a crié pendant des heures après l’agression: «Je suis malade, j’ai mal, je ne peux pas respirer, faites venir un médecin.» Mais les gardiens de prison se sont contentés d’entrer dans sa cellule et de lui dire de se taire, a déclaré Hurriyah. Le lendemain, sa voix s’est tue; les gardiens ont réalisé qu’il était mort et l’ont sorti de la cellule «dans un sac poubelle noir».

Abdel Rahman Bahash, 23 ans, est mort à la prison de Megiddo en janvier 2024. Son rapport d’autopsie a révélé de multiples fractures des côtes, une lésion de la rate, une inflammation et des déchirures pulmonaires. La cause probable du décès était une insuffisance respiratoire due à une lésion pulmonaire. Un codétenu a rapporté que les gardiens avaient agressé Bahash, après quoi il s’était plaint de douleurs à la poitrine et aux côtes, mais s’était vu refuser tout traitement médical. Lorsqu’il n’a plus été capable de se tenir debout, les gardiens l’ont emmené et il est décédé quelques jours plus tard.

Walid Khaled Abdullah Ahmed, 17 ans, est décédé à la prison de Megiddo en mars 2025. Un médecin présent lors de son autopsie a rapporté qu’il n’avait presque pas de masse graisseuse ou musculaire et qu’il souffrait également de colite et de gale, ce qui laisse soupçonner qu’il est mort de faim. Son père a déclaré à Haaretz le 3 avril 2025: «J’ai vu lors des audiences que le garçon semblait maigre, le visage émacié, comme d’autres détenus souffrant de malnutrition dans les prisons.» Selon son père, Ahmed n’avait aucun antécédent médical.

Arafat Hamdan, 25 ans, est décédé à la prison d’Ofer en octobre 2023. Il souffrait de diabète de type 1, et un détenu qui se trouvait avec lui a déclaré qu’il était mort par négligence: son état s’est progressivement aggravé jusqu’à ce qu’il cesse de s’alimenter et perde connaissance par intermittence.

«Nous avons de nouveau appelé le médecin pour qu’il l’examine, et il nous a dit de l’appeler quand Arafat serait décédé», a rappelait le détenu dans un rapport de B’Tselem. «Au bout d’une heure et demie, nous avons vu du liquide sortir de sa bouche. L’un des détenus a vérifié son pouls et a crié qu’Arafat était mort.»

Mohammed Al-Zabar, 21 ans, est décédé à la prison d’Ofer en février 2024. Depuis son enfance, il souffrait d’une maladie intestinale et avait besoin d’une alimentation spécialisée. Son rapport d’autopsie indique qu’il est mort parce qu’il n’a pas reçu l’alimentation nécessaire, ce qui a entraîné une constipation prolongée, et qu’il n’a pas reçu de traitement médical.

Thaer Abu Asab, 38 ans, a été battu à mort à l’intérieur de la prison de Ketziot en novembre 2023, selon les témoignages de détenus incarcérés avec lui. Un détenu a déclaré à B’Tselem que les forces spéciales avaient fait irruption dans la cellule et avaient commencé à frapper tous les détenus à coups de matraque sur tout le corps jusqu’à ce qu’ils saignent de la tête. «Ils ont frappé Thaer le plus fort», a-t-il raconté. «Il a essayé de se protéger la tête avec ses mains, mais il a rapidement dû abandonner à cause des coups.»

Après le départ des gardes, Abu Asab est resté allongé sur le sol, toujours en train de saigner et sans réaction. Le détenu a déclaré qu’ils avaient essayé d’appeler un garde pendant plus d’une heure, mais que personne n’était venu. Finalement, Abu Asab a été sorti de la cellule et les gardes ont informé les détenus qu’il était décédé.

Le lendemain, a poursuivi le détenu, le Shin Bet (l’agence de sécurité intérieure israélienne) a interrogé un par un tous les détenus qui étaient incarcérés avec Abu Asab et «a prétendu que nous avions causé des troubles et tué Thaer, et que c’était pour cela que nous étions tous blessés. Ils ont dit que c’était nous qui nous étions attaqués les uns les autres, pas les gardes… Il a dit que nous avions tué Thaer et qu’on voulait faire porter le chapeau à la prison.»

L’IPS a refusé de répondre à la demande détaillée de +972 concernant les décès mentionnés dans notre rapport, nous renvoyant plutôt au Coordinateur des activités gouvernementales dans les territoires (COGAT) car «le COGAT est responsable des détenus palestiniens qui n’ont pas été condamnés». Le COGAT a indiqué à +972 que la question des décès en détention ne relevait pas de sa responsabilité.

Un porte-parole de l’armée israélienne a déclaré qu’au cours des deux dernières années, elle avait détenu à Gaza des personnes «raisonnablement soupçonnées d’être impliquées dans des activités terroristes. Les suspects concernés sont emmenés pour être interrogés, contrôlés et détenus dans des installations désignées sur le territoire israélien.»

La déclaration précise que les suspects sont «détenus en vertu d’ordonnances de détention émises conformément à la loi et, dans les cas appropriés, des poursuites pénales sont engagées contre les détenus. Dans d’autres cas, ils sont placés en détention préventive en raison du risque qu’ils représentent, afin de les éloigner des combats, en totale conformité avec la loi israélienne et les Conventions de Genève.»

L’armée a admis qu’«il y a eu des décès parmi les détenus, y compris des détenus qui sont arrivés blessés ou dans un état de santé complexe préexistant», ajoutant que «chaque décès fait l’objet d’une enquête menée par la police militaire», dont les conclusions sont soumises au bureau du procureur général militaire pour examen.

Le porte-parole a ajouté: «L’affirmation selon laquelle des détenus auraient «disparu» de Gaza est fausse et erronée.» (Article publié sur le site +972 le 17 novembre 2025; traduction rédaction A l’Encontre)

Yuval Abraham est journaliste et cinéaste basé à Jérusalem.

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