Le projet de «Golden Dome» de Trump. Encore plus d’or pour les oligarques de la Défense et de ses sous-traitants

Par Melvin Goodman

Au cours des derniers mois, la rédaction du Washington Post s’est progressivement déplacée vers la droite, soutenant l’augmentation des budgets de défense, le recours à la force militaire et même le retour de l’armée états-unienne dans sa plus grande base aérienne en Afghanistan [en septembre 2025, Trump annonçait que «la surveillance de la Chine» impliquait la récupération de la base de Bagram, à 50 km de Kaboul; début novembre, Trump a réactivé une base militaire abandonnée depuis vingt ans à Porto Rico, celle baptisée Roosevelt Roads, dans le cadre de son opération anti-«Venezuela-Maduro» dans la mer des Caraïbes – réd.]. Dans un récent éditorial intitulé «Comment vivre dans notre “maison de dynamite” nucléaire», le Washington Post a renversé sa position de longue date pour soutenir la construction du bouclier antimissile national du nom de «Golden Dome» [le Dome d’or, ce qui renvoie à une obsession des nazis pour l’or, une obsession que l’on retrouve dans le «trumpisme» – réd.]. La construction de ce système pourrait prendre plus d’une décennie et nécessiter un financement de plus de 1000 milliards de dollars.

Les États-Unis ont déjà dépensé près de 400 milliards de dollars pour des systèmes de défense au cours des 50 dernières années, sans aucune raison de croire qu’un système de type «Guerre des étoiles» [projet lancé par Reagan en 1983 – réd.] puisse être efficace. Les tests eux-mêmes ont été menés dans des conditions soigneusement contrôlées afin d’en garantir le succès et d’éviter des scénarios réalistes dont l’issue ne serait pas assurée.

Le budget actuel de la défense prévoit déjà une modeste avance de 25 milliards de dollars pour un système qui n’est pas viable. La seule certitude est que des milliards de dollars seront injectés dans les caisses de l’industrie de la défense. Encore plus d’or pour les oligarques! [1]

Plusieurs décennies d’essais sur des systèmes de défense antimissile nationaux et sur le théâtre des opérations montrent qu’il n’est pas facile de frapper un missile avec un autre, et qu’il n’existe à ce jour aucun système capable de distinguer un missile balistique réel d’un leurre. L’une des raisons pour lesquelles les États-Unis et l’Union soviétique ont conclu un traité sur les missiles antibalistiques (ABM) le 26 mai 1972 était leur reconnaissance du fait que tout système de défense nationale serait inefficace et provoquerait une nouvelle escalade dans les systèmes de vecteurs stratégiques offensifs. Le traité ABM-Anti-Ballistic Missil était considéré comme une avancée majeure en matière de contrôle des armements et de désarmement, qui devait permettre une réduction plus importante des systèmes offensifs. L’abrogation du traité a ouvert la voie à la justification de nouveaux systèmes offensifs.

Dans un monde dépourvu de systèmes nationaux de défense antimissile, les États-Unis et l’Union soviétique/la Russie ont réduit leurs stocks nucléaires de plus de 80% et les essais nucléaires (à l’exception de la Corée du Nord) ont cessé. Cependant, Donald Trump menace aujourd’hui de reprendre les essais pour la première fois depuis 1992. Le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE-Comprehensive Nuclear-Test-Ban Treaty-CTBT] interdit les essais nucléaires, mais les États-Unis, la Russie et la Chine, signataires du TICE, n’ont jamais ratifié le document. Le Traité de non-prolifération des armes nucléaires (TNP) de 1968 (entré en vigueur en mars 1960) a également réussi à limiter le nombre d’États dotés d’armes nucléaires, mais la reprise des essais et la mise en place d’un système national de défense antimissile aux États-Unis conduiraient à des scénarios plus menaçants. [Les lectrices et lecteurs peuvent disposer d’une information remarquable en écoutant le professeur Benoit Pelopidas dans une vidéo d’Elucid disponible sur la home page du site alencontre.org, grâce à l’aimable autorisation d’Elucid – réd.]

L’une des meilleures raisons de négocier la fin de la guerre en Ukraine serait la possibilité pour les États-Unis de revenir à la table des négociations avec la Russie sur le contrôle des armements et le désarmement. Le dernier traité de contrôle des armements entre la Russie et les États-Unis, le nouveau traité SALT [Strategic Arms Limitation Talks, négocié depuis 1969, le traité SALT I est signé en 1972 et le traité SALT II en 1979 – réd.], expirera en février 2026, et le président russe Poutine et le ministre des Affaires étrangères Lavrov ont indiqué que Moscou était prêt à prolonger la durée du traité et à discuter d’autres questions relatives au contrôle des armements. Une telle mesure contribuerait à réduire le niveau de tension et de suspicion qui existe entre les deux plus grandes puissances nucléaires, et pourrait même inciter la Chine, troisième puissance nucléaire, à entamer un dialogue sur le contrôle des armements. Dans le même temps, la Chine est en passe de disposer d’un stock de 1000 ogives nucléaires d’ici 2020.

L’éditorial du Washington Post affirme avec une certaine désinvolture que la destruction mutuelle assurée et la menace d’une riposte écrasante ont empêché une attaque nucléaire [voir à ce sujet la démythification de Pelopidas]. Il conclut néanmoins que, «tout comme les défenses antimissiles peuvent échouer, la dissuasion peut également échouer». Il en conclut donc qu’un Golden Dome est nécessaire. Nous n’avons certainement pas besoin d’un système qui ne fonctionne pas et qui risquerait d’entraîner une accumulation accrue d’armes offensives et une course aux armements coûteuse.

Les États-Unis et la communauté internationale auraient tout intérêt à mener des négociations visant à réduire les armes offensives, à empêcher toute idée de défense antimissile nationale, à empêcher la militarisation de l’espace [voir la nomination à la tête de la NASA de Jared Isaacman, un proche d’Elon Musk qui pourra placer le matériel de SpaceX – réd.] et à relever le défi de l’IA (Intelligence artificelle) qui pourrait potentiellement conduire à l’utilisation accidentelle d’armes nucléaires. Pendant ce temps, les États-Unis sont prêts à dépenser des centaines de milliards de dollars pour un système qui n’a jamais été testé avec succès et qui combine des intercepteurs, des radars et des réseaux informatiques de contrôle. Tout système de défense nationale ne fera qu’entraver la coopération nécessaire pour réduire les risques de lancements accidentels et compromettre la coopération nécessaire pour les systèmes d’alerte précoce. (Publié sur le site Counterpunch le 6 novembre 2025; traduction et édition rédaction A l’Encontre)

Melvin A. Goodman est chercheur senior au Center for International Policy et professeur de sciences politiques à l’université Johns Hopkins. Auteur récemment, parmi d’autres ouvrages, de Containing the National Security State (Opus Publishing, 2021).

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[1] Au National War College à Washington, le 7 novembre, devant des responsables de l’armée et des représentants de l’industrie de défense, le secrétaire à la Guerre Pete Hegseth, ancien chroniqueur à Fox News, a dévoilé sa stratégie pour doper l’armée états-unienne: «Nous orientons le Pentagone et notre base industrielle vers un temps de guerre. Nous posons les bases d’une domination continue pour les décennies à venir.» (Le Grand Continent, 10 novembre 2025)

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