Par Charles R. Davis
Les socialistes démocratiques d’Ukraine offrent un soutien critique au gouvernement centriste Zelensky. Vladyslav Starodubcev est l’un des dirigeants du parti de gauche Sotsialniy Rukh (Mouvement social). Le jeune homme de 19 ans a déclaré à Insider qu’il souhaitait que l’Occident fournisse des armes à l’Ukraine.
En tant que socialiste démocratique, Vladyslav Starodubcev a trouvé beaucoup de choses à critiquer dans l’administration «néolibérale» du président ukrainien Volodymyr Zelensky, comme une proposition de réforme du droit du travail du pays qui aurait permis aux employeurs de licencier plus facilement leurs employé·e·s pour n’importe quelle raison.
Mais s’exprimant depuis Kiev, avec le bruit des tirs d’artillerie en arrière-plan, Starodubcev, 19 ans, leader du Sotsialniy Rukh, ou Mouvement social, un petit parti de socialistes démocratiques qui s’est largement concentré sur les actions anticapitalistes de base par opposition à la politique électorale, a déclaré qu’il n’y avait aucun doute sur le camp dans lequel lui et ses camarades se trouvaient lorsque la Russie a lancé «cette guerre horrible» dans leur pays. [En juillet et août 2021, le Mouvement social a illustré et dénoncé des agressions de l’extrême-droite ukrainienne contre des militants démocrates de gauche. Réd].
«J’ai pris la décision, le premier jour de la guerre, de rester», a-t-il déclaré à Insider. Sa famille a choisi de fuir la capitale ukrainienne, le laissant seul dans leur appartement, où il se réfugie dans le salon lorsque des missiles de croisière frappent la ville. «Il est difficile de dormir car une roquette peut simplement tirer sur mon immeuble et cela peut arriver à tout moment».
Mais, ajoute-t-il, «je reste parce que je veux prendre ma part dans cette situation pour défendre mon pays, pour aider les gens dans le besoin. Et si l’Ukraine est occupée, pour résister à cette occupation.»
Pour lui, résister à l’invasion de la Russie, c’est aider à distribuer l’aide humanitaire, comme la nourriture et les médicaments. Pour d’autres socialistes, c’est «participer à l’effort de guerre pour soutenir l’armée». Et pour l’instant, cela signifie soutenir le gouvernement, Starodubcev félicitant Zelensky d’avoir «uni le pays» avec son défi médiatique.
Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de critiques – dans la ville assiégée de Marioupol, par exemple, il pense que l’Etat aurait pu et dû faire plus pour préparer la population à une attaque russe, la ville étant une cible stratégique évidente, et maintenant fait face à une catastrophe humanitaire.
La question de «l’envoi d’armes»
Mais il s’inquiète de la réponse de certains à gauche, à l’étranger. Alors que de nombreux partis de gauche ont condamné l’invasion de l’Ukraine, cette condamnation a souvent été formulée sous la forme de ce qu’il considère comme une recherche d’excuse, à savoir la conviction que la guerre d’agression du Kremlin a été provoquée par l’Occident, au lieu d’être le produit du nationalisme russe revanchard.
Juste avant de s’adresser à Insider, Vladyslav Starodubcev était en conversation téléphonique avec des membres de Podemos, le parti «populiste» de gauche en Espagne et partenaire junior du PSOE dans une coalition au pouvoir sous direction du Parti socialiste.
«Ils ont soutenu la position selon laquelle «nous sommes contre l’envoi d’armes». Ils s’opposent aux autres partis en Espagne qui essaient d’aider les Ukrainiens – c’est juste une politique stupide, horrible», a-t-il déclaré.
«Ils ont cette idée que la Russie se défend contre l’expansion de l’OTAN et qu’ils ont juste leurs raisons d’attaquer – c’est tout simplement faux et stupide. Cette idée de ne pas envoyer d’armes parce que cela peut prolonger la guerre est juste une mauvaise compréhension des politiques russes», a-t-il déclaré. «L’objectif de la Russie est d’installer un gouvernement fantoche et de détruire l’Ukraine en tant que pays souverain, menant une politique indépendante du Kremlin. Donc leur argument est de fait pour l’occupation».
Ironiquement, ou peut-être pas, «les militants de gauche russes sont moins pro-russes que des militants de gauche occidentaux», a déclaré Starodubcev. «Ils comprennent leur gouvernement beaucoup mieux que DSA aux Etats-Unis ou Podemos ou Stop the War Coalition en Grande-Bretagne. Ils s’opposent fermement à Poutine. Ils s’opposent fermement à la guerre – ils essaient de la saboter.»
Les socialistes ukrainiens réclament des actions concrètes, comme l’annulation de la dette extérieure du pays – qui s’élève aujourd’hui à près de 130 milliards de dollars, soit près de 10 fois ce qu’elle était en 2000. Cela n’est pas contesté par les militants de gauche ailleurs.
Mais ce dont l’Ukraine a besoin maintenant, c’est d’un soutien à la lutte armée contre le militarisme russe, a déclaré Vladyslav Starodubcev.
Les Ukrainiens contre «l’agression impérialiste»
«Bien sûr, nous soutenons l’envoi d’armes à la résistance ukrainienne et à l’armée ukrainienne», a-t-il déclaré. «Je pense que de nombreux socialistes devraient pousser leur gouvernement à envoyer des avions à envoyer des armes anti-aériennes ou anti-chars, pour défendre le peuple ukrainien».
«C’est une guerre du peuple ukrainien contre l’agression impérialiste», a-t-il ajouté. «Et je trouve très étrange la réponse de la gauche occidentale, qui ignore tout simplement le fait que le peuple ukrainien se bat pour sa vie – pour son indépendance.»
En dehors de l’Ukraine, les chaînes d’information câblées et les groupes de discussion de gauche ont passé un temps excessif à débattre de ce que Vladyslav Starodubcev et le gouvernement américain considèrent comme voué à l’échec: une zone d’exclusion aérienne.
Il s’agit d’une exigence déclarée de Volodymyr Zelensky qui impliquerait que les membres de l’OTAN puissent abattre des avions russes en Ukraine – ce qui conduirait à un conflit direct entre puissances nucléaires.
«J’évite la plupart du temps ce débat sur la zone d’exclusion aérienne parce que c’est vraiment irréel – cela n’arrivera pas», a déclaré Vladyslav Starodubcev. Elle n’est pas non plus nécessaire, a-t-il ajouté. Volodymyr Zelensky ne la demandant peut-être que comme une tactique afin d’obtenir ce qu’il veut vraiment: la capacité d’en imposer une lui-même.
Le pays n’a pas besoin de troupes militaires étrangères sur le terrain ou d’avions de l’OTAN dans le ciel. Il «a besoin d’avions de combat [1] et d’équipements anti-aériens pour défendre ses villes contre les bombes et les roquettes», a déclaré Starodubcev. «Je pense que l’Ukraine peut tenir – si elle avait suffisamment d’armes».
Rester sur place pour envoyer un message
En attendant, il prévoit de rester sur place, déterminé à aider à construire une Ukraine socialiste sur les cendres de la guerre.
La gauche en Ukraine même n’est pas particulièrement forte, même si ses politiques en matière de soins de santé et de travail organisé sont populaires, et elle [Parti communiste ukrainien] a été rendue plus faible par son association populaire avec la Russie. Lorsque Moscou a annexé la Crimée en 2014, elle l’a fait avec le soutien du Parti communiste ukrainien. Et si ce parti n’est pas particulièrement progressiste – combinant le conservatisme social avec la nostalgie du stalinisme et de l’empire soviétique – il a terni la gauche au sens large aux yeux d’une population qui a embrassé l’identité ukrainienne.
C’est, en partie, la raison pour laquelle Starodubcev reste à Kiev. C’est la bonne chose à faire, croit-il (bien qu’il ne juge pas ceux qui sont partis), mais c’est aussi une sorte de propagande par l’action: montrer que les nationalistes de droite ukrainiens – un vrai problème, concède-t-il, aggravé par la guerre mais exagéré par la propagande russe – n’ont pas le monopole du patriotisme en temps de guerre.
C’est aussi la raison pour laquelle il a insisté pour que son vrai nom soit publié, même si cela le met potentiellement en danger si Moscou s’empare un jour de la capitale.
«Dans cette situation, pour que notre position soit entendue, il vaut mieux utiliser nos vrais noms parce que nous essayons de [montrer] que la gauche vote pour la livraison d’armes» – et se dresse contre une invasion étrangère de l’Ukraine, a-t-il dit. En outre, «je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de risques, car les services de renseignement russes sont assez stupides, je dirais.» (Publié par Insider, 21 mars 2022; traduction rédaction A l’Encontre)
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[1] L’envoi d’avions de combats qui, par exemple, appartiennent à la Pologne débouche sur le thème de la «zone d’exclusion». (Réd.)
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