Par Ines Schwerdtner
Olaf Scholz peut soudainement sourire à nouveau. Après sa défaite surprise face à Saskia Esken et Norbert Walter-Borjans lors de l’élection de la direction du SPD, en l’espace de six mois, le vent a de nouveau tourné à droite [Olaf Scholz «était» considéré, lors de l’élection de la direction du SPD, en fin 2019, comme représentant «l’aile droite» du parti]. Olaf Scholz, qui ne dégage ni charisme ni optimisme, a été choisi comme candidat du SPD au poste de chancelier le 10 août 2020. Le SPD a été donc le premier parti à s’aventurer sur ce terrain, bien avant que la CDU/CSU ou les Verts ne choisissent leurs dirigeants. Il s’est avéré que ce fut un geste intelligent de la part de la Maison Willy Brandt.
Au sein de la CDU/CSU (Union chrétienne-démocrate d’Allemagne/Union chrétienne-sociale en Bavière), une longue lutte pour le pouvoir entre trois prétendants s’est prolongée pendant des mois. Le fait qu’Armin Laschet, qui est toujours le plus proche d’Angela Merkel, ait gagné, mais qu’il n’ait pu faire ses preuves que face à des adversaires tels que Friedrich Merz (CDU) ou Markus Söder (président de la CSU), ne dit rien de bon sur l’état des chrétiens-démocrates [voir à ce sujet l’article publié sur ce site en date du 21 avril 2021: http://alencontre.org/europe/allemagne/allemagne-les-calculs-de-la-cdu-pour-garder-la-chancellerie.html]. Ils semblent plutôt déchirés entre le désir de poursuivre le cours politique actuel, sans interruption significative, et un nouveau conservatisme moderne, peut-être même avec un peu de «loufoquerie» autoritaire. Armin Laschet a remporté l’exécutif du parti et donc finalement la candidature au poste de chancelier. Toutefois, dans la pandémie en Rhénanie-du-Nord-Westphalie et globalement dans l’évaluation politique des événements liés au Covid-19, il se distingue surtout par des erreurs. Il a échoué dans la crise des inondations ainsi que dans le débat sur le climat. En conséquence, sa cote dans les sondages est en baisse, depuis un certain temps.
Les choses se sont tout aussi mal passées pour les Verts avec leur candidate de pointe, Annalena Baerbook. Sa place dans les sondages dans la période suivant sa candidature a été suivie d’une désillusion et d’une chute dans les sondages après une série d’incidents mineurs et majeurs [allant du plagiat pour son livre à la non-déclaration d’avoirs en passant par un CV quelque peu trafiqué]. Dans le sillage des deux candidats [A. Laschet et A. Baerbook], dont on pensait, au début de la campagne électorale, qu’ils avaient réglé l’affaire entre eux, le troisième est soudainement apparu comme un candidat chancelier ayant de bonnes chances. Olaf Scholz, qui était initialement loin derrière dans les sondages, a engrangé de fortes avancées ces dernières semaines. Maintenant, il est même en tête des sondages portant sur une élection directe – seule l’option «aucun des trois candidats» obtient de meilleurs résultats dans la plupart des sondages. Dans le pâle trio de tête, Olaf Scholz est considéré comme le politicien le plus compétent.
«Seul Scholz est l’héritier du merkelisme»
La force du ministre des Finances social-démocrate [de l’actuel gouvernement de coalition d’Angela Merkel, le gouvernement Merkel IV] s’explique par trois raisons: l’autosuggestion, son rôle dans la pandémie et la faiblesse de ses adversaires politiques. Lors de la campagne électorale, le SPD et son agence de communication Brinkert-Lück ont placé toute leur confiance dans la personne du pragmatique hanséatique [avocat formé à Hambourg, il y a développé sa carrière politique]. Comme un mantra, à chaque occasion il est souligné qu’il est le seul à pouvoir être chancelier. Entre-temps, cette stratégie fonctionne de mieux en mieux car Olaf Scholz, en tant que ministre des Finances, a pu se défaire de l’image du technocrate froid au profit de celle du gestionnaire pragmatique de crise pendant la pandémie, avec des allocations de chômage partiel et des mesures de sauvetage. Il en va de même pour ses apparitions dans les zones touchées par la catastrophe des inondations. Le rôle qu’Olaf Scholz a joué dans le cadre du scandale Cum-Ex [opération massive de fraude spéculative visant à ce que des banques, entre autres, échappent à l’imposition des dividendes perçus] et de la Hamburg Warburg Bank [banque qui a initié cette opération] lorsqu’il était le maire de la ville hanséatique. Cette fraude spéculative n’a toujours pas été complètement éclaircie, mais cela passe au second plan, au même titre que le scandale Wirecard [coqueluche de la Bourse, cette banque a fait faillite, suite à des opérations comptables plus que douteuses à hauteur de deux milliards]. Le message que le SPD veut faire passer à la population: seul Scholz est le digne héritier du merkelisme.
Il n’est guère surprenant qu’en temps de crise, les gagnants soient ceux qui semblent être les plus cohérents. Dans d’autres conditions, les sociaux-démocrates, qui ont promis un nouveau départ et ne représentent pourtant que la continuité des dernières décennies, auraient probablement concédé une cuisante défaite électorale. Cependant, pour le SPD – et étonnamment aussi pour le FDP (Freie Demokratische Partei/Parti libéral-démocrate) – la course au gouvernement est étonnamment ouverte. Dans presque toutes les constellations imaginables, leur participation est théoriquement possible, en tant que fraction la plus forte d’une «coalition en feux tricolores» ainsi qu’en tant que partenaire junior d’une «coalition allemande» (CDU, SPD, FDP), comme cela est actuellement testé en Saxe-Anhalt après les élections de juin 2021 dans le Land.
A certains égards, cette «coalition allemande» est la chose la plus inopportune que l’on puisse imaginer. Car rien ne promet moins de mouvement en matière de politique climatique et sociale qu’une alliance entre conservateurs, sociaux-démocrates et libéraux. Le fait que cela puisse signifier une sorte de GroKo 2.0 (grosse Koalition, grande coalition) au niveau de l’Etat fédéral et la poursuite du déclin de la social-démocratie est secondaire par rapport à la préservation à court terme du pouvoir. La même chose pourrait se produire au niveau fédéral, car Olaf Scholz aspire à la Chancellerie, quel qu’en soit le prix.
A l’heure où le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) certifie que le changement climatique est d’origine humaine et qu’il ne nous reste qu’environ neuf ans pour limiter le réchauffement de la planète à 1,5 degré, un gouvernement sans Verts ni La Gauche (Die Linke) semble hors du temps. Les programmes des partis de centre-gauche sur les investissements verts, l’impôt sur la fortune et la sécurité sociale se recoupent plus que jamais. En outre, il existe de larges majorités au sein de la population pour la redistribution de la richesse et la protection du climat. Le fait que le SPD et les Verts n’excluent toujours pas une coalition avec la CDU et le FDP est, en fait, une farce politique face à cette réalité qui «s’effondre».
Et pourtant, selon leurs propres critères, les sociaux-démocrates osent faire quelque chose. Olaf Scholz – qui en tant que technocrate sec comme la poussière est en fait impossible à dépeindre – est présent dans la zone inondée et est représenté avec un poing serré sur les affiches. En outre, il y a même maintenant une petite campagne contre la CDU, en particulier contre Friedrich Merz, l’ancien président de l’Office pour la protection de la Constitution, Hans-Georg Maaßen, et le chef de la chancellerie d’Etat d’Armin Laschet, Nathanael Liminski, bien connu dans les milieux conservateurs de droite.
Cela a provoqué une forte indignation parmi les opposants politiques, au point que l’on perçoit presque le SPD comme désireux de se battre: contre le Laschet fatigué, les Verts étatistes. Dans cette campagne électorale qui manque généralement de contenu, c’est une petite lueur d’espoir d’intensification.
Le modèle Joe Biden
En outre, le SPD n’a pratiquement pas commis d’erreurs jusqu’à présent dans cette campagne électorale. Avec un solide programme social-démocrate axé sur l’emploi, l’Europe et la devise «Respect», Scholz ose en faire autant qu’il peut en faire lui-même, en tant que Super-Realo. Toutefois, la question de savoir dans quelle mesure ces éléments seront conservés dans une éventuelle coalition est une autre question.
On peut supposer que les concessions faites à l’aile gauche l’année dernière – que Saskia Esken et Norbert Walter-Borjans ont soutenues lors de l’élection de la direction du SPD – seront rapidement abandonnées au cours des négociations de formation de la coalition. Dans ces conditions, les deux dirigeants ne pourront probablement pas continuer d’occuper la présidence du parti. Le SPD ferait de facto une nouvelle volte-face et retournerait à moyen terme sur la voie du centrisme que Gerhard Schröder lui avait jadis tracée.
Scholz est la seule figure cohérente sur cette voie. Joe Biden, en tant que président démocrate modéré, est un modèle pour lui. Des réformes là où elles sont nécessaires, des politiques dites keynésiennes en période de bouleversement. C’est la recette du succès, et les sociaux-démocrates l’ont compris. Toutefois, au plus tard après quatre ans, il apparaîtra clairement que cela ne suffit pas. (Article paru dans l’hebdomadaire Der Freitag, le 12 août 2021; traduction de la rédaction de A l’Encontre)
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