Par Yassamine Mather
Le dernier tour des élections présidentielles iraniennes aura lieu dans moins d’un mois, mais nous ne connaissons toujours pas la liste des candidats «acceptés».
La semaine dernière, l’actuel président, Hassan Rohani, a critiqué la dernière série de règles décidées par le Shoraye Negahban (le Conseil des gardiens), insistant sur le fait que le Conseil n’avait aucune autorité légale pour imposer de nouveaux critères aux candidats à l’élection présidentielle – le Conseil avait exclu toute personne âgée de moins de 40 ans et de plus de 75 ans. Lorsque l’enregistrement a commencé, le ministère de l’Intérieur a ignoré la décision du Conseil des gardiens et a enregistré tous les candidats qui avaient présenté leurs documents. La législation actuelle stipule les qualifications des candidats: «Tout citoyen iranien né en Iran, croyant en Allah et en l’islam, qui a toujours été loyal envers la constitution, le Conseil des gardiens, le Guide suprême et la République islamique, peut s’inscrire comme candidat à la présidence.»
Evidemment, cela empêche toute personne laïque, de gauche ou même nationaliste de se présenter. Cela signifie que, quelle que soit la faction du régime qui l’emporte, le prochain président iranien sera fidèle aux fondements de l’Etat chiite. Nous avons maintenant une longue liste de 46 candidats, dont l’ancien président Mahmoud Ahmadinejad et une femme. D’autres femmes qui se sont inscrites ont été exclues, mais, selon un porte-parole du Conseil en 2013: «Nous ne rejetons aucune femme en raison du fait qu’elle est une femme.»
Bien entendu, le Conseil des gardiens, composé de 12 membres, rejettera un grand nombre de ces 46 candidatures et il n’est pas tenu d’expliquer publiquement les raisons de ce rejet.
Les candidats
Qui sont donc les candidats et quelles sont leurs chances de passer l’obstacle du Conseil des gardiens? (Sa liste approuvée sera disponible le 27 mai). Le principal candidat de la faction conservatrice est Ebrahim Raisi, actuellement à la tête du pouvoir judiciaire, qui prétend être à l’avant-garde d’une campagne contre la corruption. Selon son manifeste électoral, il veut former un «gouvernement du peuple pour un Iran fort» qui mettra fin à la corruption et améliorera l’économie du pays. La plupart d’entre nous, à gauche, souhaitent qu’il soit inculpé et jugé comme l’un des religieux responsables de l’exécution massive de prisonniers politiques de gauche en 1988.
Un certain nombre de personnalités des Gardiens de la révolution (le Corps des gardiens de la révolution islamique – IRGC) se sont également inscrites. Parmi eux, Hossein Dehghan, actuellement conseiller militaire du dirigeant suprême Ali Khamenei. Il est censé vouloir résoudre les problèmes auxquels sont confrontés les Iraniens ordinaires, promettant de s’opposer au népotisme et de traiter tous les Iraniens comme des citoyens égaux. L’autre candidat militaire est le général de brigade Saeed Mohammad, qui est conseiller du commandant en chef de l’IRGC, Hossein Salami. Jusqu’au mois dernier, il était commandant du Quartier général de la construction de Khatam al-Anbiya [société d’ingénierie], une société contrôlée par les Gardiens de la révolution. Ses collègues chefs militaires ont accusé Saeed Mohammad de corruption financière, certains affirmant qu’il n’a pas démissionné de son poste de commandant, mais qu’il a été renvoyé en raison de «violations» des règles de base. En annonçant sa candidature, il a déclaré: «Je sais comment contourner et aussi annuler les sanctions, tandis que je ferai en sorte qu’elles soient levées.» Il est probablement doué pour contourner les sanctions, surtout lorsqu’il s’agit de ses intérêts personnels. Cependant, il n’a donné aucun détail sur la manière dont il fera en sorte qu’elles soient «levées».
Mohammad Hassan Nami, un général de l’armée qui a été brièvement ministre des Télécommunications sous Mahmoud Ahmadinejad [président de 2005 à 2013], se présente également. Mohammad Hassan Nami était l’attaché militaire de l’Iran en Corée du Nord, où il a obtenu un doctorat en «gestion publique» de l’Université Kim il-sung de Pyongyang. Encore quelqu’un de bien qualifié!
Un autre homme de droite dont la candidature sera probablement confirmée est le secrétaire du Conseil de discernement de l’intérêt supérieur du régime, Mohsen Rezaei, ancien officier supérieur du Corps des gardiens de la révolution, dont il a été le commandant en chef entre 1980 et 1997.
Il est peu probable que l’ancien président Mahmoud Ahmadinejad passe l’examen du Conseil des gardiens. Ses déclarations occasionnelles remettant en cause le rôle du Guide suprême, ainsi que le fait que sa candidature ait déjà été rejetée une fois par ce même conseil, font de lui un candidat final peu probable.
Le candidat «réformiste» le plus en vu reste Sayyid Mostafa Tajzadeh, un membre éminent du Front de participation islamique iranien «réformiste», ainsi que de l’organisation des Moudjahidines de la révolution islamique d’Iran. Il a soutenu l’ancien Premier ministre «réformateur» Mir-Hossain Mousavi après les élections de 2009 et a passé sept ans (2009-16) à la prison d’Evin. Son programme électoral officiel est axé sur les «libertés politiques». Il a affirmé qu’il rendrait le poste de guide suprême «responsable» et qu’il «renverrait le Corps des gardiens de la révolution islamique à la caserne». Il est également peu probable qu’il figure sur la liste finale des candidats, mais les partisans de Tajzadeh le comparent à Bernie Sanders – il n’a pas réussi à devenir un candidat officiel du Parti démocrate, mais a joué un rôle important en influençant Biden, «le faisant passer à gauche». En réalité, le programme économique de Biden a plus à voir avec la crise du capitalisme néolibéral – l’échec de 40 ans d’adhésion à cette idéologie, aggravé par une année de paralysie économique causée par covid – qu’avec une quelconque influence de Sanders ou de ses partisans. En outre, Bernie Sanders avait au moins le semblant d’un plan économique réformiste, alors que le manifeste de Sayyid Mostafa Tajzadeh ne contient aucune proposition économique concrète. Il est difficile d’imaginer comment la classe laborieuse et les autres victimes des politiques néolibérales de privatisation économique implacables de l’Iran pourraient voir un quelconque avantage à le soutenir.
Les autres candidats de la faction «réformiste» sont Eshaq Jahangiri, l’un des vice-présidents de Rohani, l’ancien ministre de la Santé Masoud Pezeshkian et Mohsen Hashemi, l’actuel président du conseil municipal de Téhéran et le fils du défunt président, Akbar Hashemi Rafsanjani. Mais, même s’ils sont acceptés par le Conseil des gardiens, aucun d’entre eux ne se distingue comme un adversaire sérieux des candidats de droite du régime.
En d’autres termes, cette élection pourrait être plutôt ennuyeuse, ce qui pourrait renforcer les chances du candidat du «compromis», Ali Larijani, qui appartient en fait à la faction conservatrice et a été chef du Majles (parlement) pendant le premier mandat de Rohani (2013-17). Ancien négociateur de l’«accord nucléaire», il est actuellement conseiller de l’ayatollah Ali Khamenei. Dans son émission électorale, il a déclaré que les autres prétendants à la présidence n’étaient pas capables de régler l’économie, en particulier ceux qui ont une formation militaire ou judiciaire: «L’économie n’est ni une garnison ni un tribunal qui serait géré avec des cris et des ordres […] promettre le paradis dans cet état compliqué que traverse le pays, c’est parler de manière mensongère.»
Palestine
Le dernier jour de l’enregistrement présidentiel était fixé au 15 mai – juste au moment où, au Moyen-Orient et dans le monde entier, il y avait de grandes manifestations de soutien à la Palestine, et où les opposants à l’État sioniste exprimaient leur horreur de ce qui se passait à Gaza et dans les territoires occupés.
Je n’ai pas connaissance de manifestations qui ont eu lieu en Iran, ni d’une quelconque expression majeure de solidarité. Auparavant, le gouvernement de la République islamique d’Iran nous a bombardés de slogans creux sur Israël. Lors d’événements parrainés par le gouvernement, nous avons assisté à l’autodafé rituel du drapeau israélien et entendu des cris de «Mort à Israël»… Pourtant, comme les Palestiniens ne cessent de me le dire, si seulement la rhétorique de l’Iran sur la Palestine s’était traduite par un petit soutien pratique, il y aurait quelque chose à montrer.
Mais le «soutien» de l’Iran n’est guère plus que des slogans. Il est vrai qu’il n’y a pas d’amour perdu lorsqu’il s’agit du Fatah, y compris dans le cas du Hamas la relation a connu de nombreux hauts et bas – tout cela tourne en dérision les tentatives des sionistes, des partisans de Trump et des royalistes iraniens, qui insistent pour assimiler les deux groupes à une alliance islamiste. En fait, le Hamas a des liens idéologiques avec les Frères musulmans, l’ennemi religieux de l’Iran. Il a également des liens avec certains des émirats du golfe Persique, dont beaucoup sont les ennemis jurés de l’Iran. A certaines périodes de l’histoire récente – par exemple, pendant la guerre civile syrienne – les deux pays étaient dans des camps opposés. Il y a parfois eu une coopération et probablement une certaine aide financière. Cependant, il n’y a rien eu de comparable à l’engagement de l’Iran envers des alliés religieux tels que le groupe religieux palestinien plus petit et moins connu, le Jihad islamique, ou le Hezbollah libanais.
Ensuite, il y a les déclarations et les actions absurdes de certains politiciens iraniens. L’insensée conférence d’Ahmadinejad sur la négation de l’Holocauste, les commentaires de certains ayatollahs à la limite de l’antisémitisme… De telles actions nuisent réellement à la cause palestinienne. Par exemple, les slogans du régime ont eu des effets négatifs sur la jeunesse et le mouvement de protestation en Iran. Contrairement à l’opposition de gauche apparue pendant les dernières années du régime shah, lorsque la solidarité avec la cause palestinienne, le volontariat pour combattre en Palestine, etc. faisaient partie intégrante de l’internationalisme de l’opposition, la jeunesse iranienne d’aujourd’hui montre peu d’intérêt pour la cause du peuple de Palestine.
C’est en partie parce que la majorité d’entre eux sont opposés au régime et considèrent tout «ami» de Téhéran comme leur ennemi. Bien sûr, sont mal inspirés ceux qui prennent le parti de la République islamique d’Iran ou du dictateur syrien Bachar Al Assad simplement parce que les États-Unis s’y opposent. Parmi les jeunes qui soutiennent le régime, il y a une certaine lassitude, surtout lorsqu’il s’agit de soutenir une cause en dehors des frontières de l’Iran. Parmi les Iraniens, les seules voix qui soutiennent les Palestiniens sont celles de la gauche radicale – des militants qui ont souvent dénoncé la rhétorique et les slogans vides du régime, tout en concluant des «arrangements» peu médiatisés avec l’Etat israélien. Certains nous ont rappelé les accords «secrets» entre la République islamique d’Iran et Israël pendant et après l’«Irangate» – la vente d’armes par les États-Unis à l’Iran pour financer les Contras au Nicaragua.
Tout cela pourrait expliquer pourquoi nous avons si peu entendu parler de la Palestine de la part des candidats actuels à la présidence en Iran et de leurs partisans. Ces derniers peuvent se référer à un tweet bizarre de Tajzadhe ou d’un autre candidat, mais la réalité est que dans la République islamique, il n’y a pas eu de grandes protestations, de manifestations ou même les rassemblements précédents organisés par le gouvernement pour la Palestine. Encore un autre signe de la déliquescence de ce régime pourri. (Article publié sur le site de Weekly Worker en date du 21 mai 2021; traduction rédaction A l’Encontre)
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