Par Frontier Myanmar
Des mesures de répression impitoyables, notamment des arrestations massives, ont largement étouffé les manifestations dans la capitale du Myanmar, Naypyidaw, mais le régime a eu du mal à écraser l’esprit du mouvement de désobéissance civile, malgré les poursuites engagées contre les principaux membres.
Lorsque les manifestations contre la junte ont éclaté à la suite du coup d’État du 1er février, peu de régions du pays sont restées silencieuses. Même dans la capitale administrative Naypyidaw – construite en partie pour isoler l’armée des soulèvements populaires – des dizaines de milliers de personnes ont participé à des manifestations de masse.
Le rond-point de Thapyaygone, dans le disctrict de Zabuthiri, est devenu le point central des manifestations, les manifestants se rassemblant autour de la statue de Bogyoke Aung San [dirigeant nationaliste, 1915-1947, père de Aung San Suu Kyi]. Le 9 février, les forces de sécurité y ont ouvert le feu, abattant Ma Mya Thwe Thwe Khine, 19 ans, d’une balle dans la tête. Pendant dix jours, l’adolescente s’est accrochée à la vie dans un hôpital de Naypyidaw. Le 19 février, Mya Thwe Thwe Khine est décédée, devenant ainsi la première martyre du mouvement anti-coup d’État.
Depuis lors, l’armée et la police ont réprimé de manière impitoyable et meurtrière les manifestations dans tout le pays. L’Association d’assistance aux prisonniers politiques estime qu’elles ont tué jusqu’à présent plus de 730 personnes. Mais avant que les répressions meurtrières ne commencent ailleurs, les forces de sécurité avaient depuis longtemps réprimé les manifestations à Naypyidaw. Un calme précaire règne aujourd’hui, les habitants déclarant à Frontier qu’une présence militaire écrasante et la peur constante d’être arrêté ont contribué à tenir l’opposition en échec.
Les arrestations massives commencent
Les rafles ont commencé le 18 février, alors que Mya Thwe Thwe Khine s’accrochait encore à la vie. La police a arrêté au moins 10 personnes et confisqué des dizaines de voitures et de motos qui, plus de deux mois plus tard, n’ont toujours pas été restituées. Les jours suivants, les forces de sécurité ont renforcé l’application des restrictions sur les rassemblements de cinq personnes ou plus. Lorsque des dizaines de milliers de personnes se sont rassemblées au rond-point de hnin si (rose) à Pyinmana [dans la région administrative de Naypyidaw] pour le soulèvement national 22222 [22.2.2021], les forces de sécurité ont dispersé le rassemblement en tirant à balles réelles.
Les forces de la junte ont même fait taire le bruit des casseroles à 20 heures – un rituel nocturne dans le reste du pays – en tirant des balles réelles en l’air pour terroriser les habitants de deux quartiers de Zabuthiri le 25 février, avant de recommencer dans un quartier adjacent la nuit suivante. Un habitant de ce quartier a déclaré à Frontier que le rituel s’était largement éteint depuis. Les manifestants ont rapidement changé de tactique. Lorsqu’un autre appel à manifester à l’échelle nationale a été lancé le 28 février, les activistes de Naypyidaw ont choisi des lieux moins visibles et plus difficiles d’accès pour la police et les soldats. Mais même ces petites manifestations de dissidence ont largement disparu. Lorsque de petits groupes de jeunes gens, pour la plupart, défilent, même dans des quartiers isolés, les forces de sécurité sont promptes à réagir et à procéder à des arrestations, selon les habitants.
Près de 300 personnes ont été arrêtées lors des manifestations de la seconde moitié de février. Si la plupart d’entre elles ont été libérées par la suite, plusieurs leaders de la protestation et participants au Mouvement de désobéissance civile sont toujours en détention et font l’objet de diverses accusations. U Tun Hmwe, un habitant de Naypyidaw, a déclaré que les autorités n’avaient toujours pas libéré son fils, âgé d’une vingtaine d’années. Son fils, qu’il a refusé de nommer pour des raisons de sécurité, a été arrêté avec 36 autres personnes lors d’une manifestation qui a rassemblé plus de 100 personnes dans les rues le 15 mars; lui et un autre participant du même âge que lui sont toujours en détention, soupçonnés d’avoir «dirigé» la manifestation. U Tun Hmwe a déclaré que son fils avait peut-être incité ses amis à se joindre à la manifestation, mais qu’il n’était ni un activiste ni un organisateur. Son fils a été inculpé pour avoir enfreint les interdictions de grands rassemblements liées au Covid-19, en vertu de l’article 25 de la loi de 2013 sur la gestion des catastrophes naturelles, qui prévoit une peine maximale de trois ans.
Selon les habitants, la police n’a pas rendu les centaines de voitures, de motos, de téléphones portables et autres objets personnels qu’elle a saisis aux manifestants. Les rumeurs abondent, sur les médias sociaux et ailleurs, selon lesquelles la police rendra les biens saisis si elle est soudoyée, mais les demandeurs auxquels Frontier a parlé disent qu’ils ne savent pas où aller ni qui soudoyer. Un homme de Pyinmana dont la moto a été saisie lors d’une manifestation le 22 février a déclaré que des voisins lui avaient dit à plusieurs reprises que ses biens pourraient lui être restitués contre un paiement de 30 000, 50 000 ou 100 000 kyats [59 euros]. «Mais on ne sait pas vraiment à qui et où s’adresser. Quand vous demandez, ils se renvoient la balle. Les avocats ont promis de se renseigner, mais ils n’ont encore rien dit», a-t-il déclaré.
Ecraser le Mouvement de désobéissance civile (CDM)
En tant que centre du gouvernement, Naypyidaw a été un point focal pour le CDM. Bien qu’il n’y ait pas de décompte précis ou complet des fonctionnaires en grève à Naypyidaw, un membre de l’équipe de soutien du CDM a estimé qu’environ 3400 personnes dans pratiquement tous les ministères se sont inscrites pour bénéficier d’un soutien depuis qu’elles ont quitté leur emploi, mais on pense que le nombre total de personnes qui ont rejoint le CDM dans la capitale est bien plus élevé que cela.
Les fonctionnaires qui ont rejoint le CDM ont commencé à manifester début février aux carrefours entourant le marché Myoma de Zabuthiri, où passent de nombreux fonctionnaires pour se rendre à leur bureau. Mais après qu’un camion de transport de prisonniers a été stationné en permanence à cet endroit au début du mois de mars, les protestations ont diminué pour disparaître.
Pourtant, les fonctionnaires en grève affirment que de plus en plus d’employés du gouvernement rejoignent le CDM à Naypyidaw. Certains se sont cachés ou sont retournés dans leur ville natale par peur d’être arrêtés, ce qui a également contribué à la diminution de la visibilité de la résistance dans la capitale.
Les autorités ont utilisé toute une série de tactiques pour tenter de contraindre les fonctionnaires à reprendre le travail. Certains ont été expulsés de force de leurs logements par des soldats. Les conjoints de fonctionnaires en grève qui travaillent également pour le gouvernement ont été rétrogradés ou licenciés. Frontier s’est entretenu avec un employé du ministère de la Protection sociale, des Secours et de la Réinstallation qui a rejoint le CDM et a vu sa femme, qui travaille également au ministère de la Protection sociale, être rétrogradée. Il a déclaré que, malgré les représailles contre sa femme, il continuerait à travailler pour le CDM.
D’autres font l’objet de poursuites judiciaires. Selon les messages du personnel parlementaire sur les médias sociaux, au moins 48 employés du bureau du Pyidaungsu Hluttaw [organe législatif bicaméral], 18 employés du bureau de l’Amyotha Hluttaw [Chambre haute] et 17 employés du bureau du Pyithu Hluttaw [Chambre basse] ont été suspendus pour avoir enfreint la loi sur la fonction publique en rejoignant le CDM. Une employée du bureau Pyidaungsu Hluttaw a déclaré à Frontier le 20 mars que plus de 90 personnes de son bureau y avaient adhéré. Frontier n’a pas pu vérifier ce chiffre, mais s’est entretenu avec un participant du bureau qui a déclaré que les autorités avaient suspendu toute personne ayant rejoint le mouvement avant le 15 février, et que ceux qui l’ont rejoint depuis n’ont pas encore été suspendus mais ont été priés de reprendre le travail.
Une autre employée qui a rejoint le CDM au début du mois de février et qui a été suspendue a déclaré qu’elle ne reviendrait jamais «tant que le gouvernement du peuple ne serait pas de retour au pouvoir», car le Hluttaw est «l’endroit où les espoirs du peuple sont mis en œuvre». Elle estime que les trois bureaux comptaient plus de 1000 employés avant le coup d’État.
Au ministère des Affaires étrangères, 11 employés ont été inculpés en vertu des sections 505-A et 505(b) du Code pénal pour incitation à rejoindre le CDM. Le 11 mars, huit employés du département des coopératives du ministère de l’Agriculture, de l’Élevage et de l’Irrigation ont été reconnus coupables d’avoir désobéi à l’ordre d’un fonctionnaire en vertu de l’article 188 du Code pénal pour avoir rejoint le CDM et condamnés à trois mois d’emprisonnement.
Le CRPH [Committee Representing Pyidaungsu Hluttaw], composé de députés élus évincés et agissant comme un gouvernement parallèle en opposition aux militaires, a déclaré que tous les ordres du conseil militaire étaient illégaux et que les fonctionnaires en grève n’avaient pas à leur obéir. Le comité s’est également engagé à indemniser les fonctionnaires qui ont rejoint le CDM et à honorer leurs sacrifices lorsqu’un nouveau gouvernement élu prendra le pouvoir.
La décision d’adhérer au CDM reste la principale forme de protestation dans le centre du pouvoir politique du Myanmar. Un Zabuthiri qui a participé aux premières manifestations au rond-point de Thapyaygone a déclaré que les habitants de son district n’osent plus manifester. De temps en temps, à Pyinmana, dit-il, des manifestations «éclair» – qui ne durent pas plus de 20 ou 30 minutes – se produisent encore, les manifestants se dispersant avant l’arrivée de la police, mais elles sont de plus en plus rares. Un homme de Pyinmana a déclaré que les gens ont privilégié des moyens de contestation qui évitent la répression des forces de sécurité. «Nous organisons toujours des manifestations à moto, mais pas autant qu’avant, et nous évitons les affrontements avec la police», explique le jeune homme.
Dans la seconde moitié du mois de mars, la police avait enlevé les derniers panneaux et affiches pro-démocratie et anti-militaires qui restaient éparpillés le long des routes de Naypyidaw… les derniers signes physiques d’une population en révolte. Mais si le calme familier de la capitale construite à cet effet est revenu, les camions de police et les véhicules de transport de prisonniers stationnés en permanence sur des sites de protestation autrefois populaires dans toute la ville démentent l’apparence de paix. (Article publié sur le site Frontier Myanmar, le 20 avril 2021; traduction rédaction A l’Encontre)
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