Par Alternative Libertaire
Le pari a été tenu: la journée d’action du 24 janvier a été un succès. Les secteurs locomotives – SNCF et RATP – ont dû, après 45 jours, renoncer à la grève reconductible mais, comme promis, ils ont bien été là, avec une brusque remontée de la mobilisation sur ce temps fort. Comment, à présent, va évoluer la lutte? Va-t-elle s’essouffler ou continuer à rebondir sous des formes inattendues? Quelle qu’en soit l’issue, il est possible de poser une première série de réflexions sur un mouvement qui aura des conséquences durables.
Comme à chaque mouvement gréviste massif et durable, les chroniqueurs semblent redécouvrir la lutte des classes. Et ceux qui possèdent les moyens de production redécouvrent que leurs salarié·e·s sont indispensables à la production des richesses! Inversement, la trop lente et trop faible extension de la grève à d’autres secteurs révèle en négatif que les salarié·e·s n’ont qu’une seule véritable puissance: cesser de produire collectivement et durablement. Et d’un seul coup, toutes les tactiques d’évitement de la grève ou d’actions cherchant à s’y substituer ont révélé leurs limites: journées saute-mouton, manif du samedi, émeutes de rue, blocages des flux, sont autant d’outils qui peuvent être utiles, mais en rien comparables à une large et profonde «insurrection des bras croisés».
Un frein: la perte des savoir-faire militants
Une grève durable et massive, une grève sérieuse, ça se prépare… sérieusement. Il ne suffit pas d’annoncer la date bien à l’avance et de coller quelques affiches! Il faut que les délégué·es tournent et reviennent, que les salarié·e·s s’emparent du projet et fassent des économies. Il faut un plan de bataille. C’est bien malheureusement l’effondrement de la conscience politique et des savoir-faire qui a été mise à nu dans la majorité des branches et des départements. Les résultats sont si différents d’une région à l’autre, d’une branche à l’autre, que tirer un bilan général est impossible. Des milliers de délégué·e·s, malgré des appels précis de leurs organisations nationales, locales et professionnelles n’auront pas fait un seul jour de grève! Et ce constat effarant doit être notre principal souci.
Mais le mouvement aura aussi révélé la défaillance de trop de d’équipes militantes intermédiaires, d’UL (Union Locale), d’UD (Union départementale), d’unions professionnelles territoriales… déconnectées, ronronnantes, timorées ou sectaires. Autant de structures à revivifier, à reconstruire, à faire évoluer en visant à la reconstruction de syndicats locaux d’industrie ayant une pratique interprofessionnelle locale. Mais comment dégager des équipes militantes sur ces tâches quand, dans leur propre entreprise, la vie syndicale est moribonde? Car on ne devient pas un ou une responsable crédible et efficace si on n’est pas appuyé sur une base solide. Voilà qui repose crûment, encore et encore, la question de l’orientation professionnelle des militantes et militants révolutionnaires.
La ténacité: pas de trêve des confiseurs
Les grévistes ont tenu durant les vacances de Noël! Dans tous les services publics, certains tabous profondément ancrés s’effritent devant le rouleau compresseur des gouvernements qui détruisent méthodiquement l’école, l’hôpital, les transports, la Sécurité sociale. Grève des examens, grève des soins, grève du départ en vacances répondent à l’offensive libérale. Et malgré les difficultés causées dans la vie quotidienne il est remarquable qu’une majorité de la population soutienne toujours le mouvement. Comme si tout le monde avait conscience que les services publics étaient détruits pour offrir les marchés de l’éducation, du soin, du transport ou de la protection sociale à des intérêts privés.
Alors, le 9 janvier les policiers avaient consigne de frapper encore plus fort dans l’espoir de briser le mouvement au retour des congés. Le succès des collectes vient renforcer ce constat: les gens ont compris l’enjeu, et il manque juste une étincelle pour que la grève se généralise. C’est rageant mais pas désespérant!
Nous n’avons jamais connu une unité si large et durable sur un mot d’ordre si clair: le retrait. L’entrée de la CGC (Confédération générale des cadres) dans l’intersyndicale est en soi un événement significatif. En délimitant clairement les frontières entre confédérations, il faut espérer que l’unité construite, non sans difficulté bien sûr, se reconstruise dans les agendas futurs. Elle réactualise d’ailleurs la question de l’unification des organisations syndicales combatives face au bloc du syndicalisme d’accompagnement.
Dans les unions départementales qui ont globalement servi d’organisatrices (pour le meilleur et pour le pire…) du mouvement, des liens importants de confiance ont souvent été tissés, y compris vers d’autres forces comme les gilets jaunes. C’est précieux pour les mobilisations futures. Dans certaines entreprises, les intersyndicales ont redécouvert l’unité et la puissance des AG. A la RATP, le renouveau de la conflictualité a d’ores et déjà bouleversé la donne.
Le vrai pouvoir des AG
Une circulaire interne de la CGT aura surpris les équipes militantes attentives: on y parlait appropriation de la grève par les grévistes, AG régulières, mandatement et révocabilité de grévistes pour représenter leurs camarades… Bref, le parfait manuel du syndicaliste autogestionnaire!
Comme la grève, l’AG a de nouveau révélé son pouvoir, en positif comme en négatif. En négatif quand, trop faiblement fréquentées (c’était le cas à la SNCF), elles n’ont pas permis l’élan vers une coordination de comités de grève et l’appropriation du mouvement par les grévistes. En positif, dans les AG intersyndicales de ville ou de départements qui ont permis la multiplication des initiatives – malgré la frilosité de responsables syndicaux qui parfois ont découragé des actions plus audacieuses.
Un mot sur certaines « AG interpros » autoproclamées qui ont à nouveau surgi dans quelques endroits, portées souvent par des militant·e·s politiques mais tous avec leur propre agenda et alimentant trop souvent un antisyndicalisme démobilisateur. Certaines ont toutefois joué un rôle positif pour imaginer et conduire des actions utiles, mais toujours dans la limite d’actions substitutistes à la grève. Et souvent sans l’efficacité d’être construites par les délégué·e·s des grévistes, encore moins par la masse des grévistes.
En cas d’échec, aigreurs, replis corporatistes, et renoncements désabusés se produiront. Et pourtant il semble que la rage, la joie et la fierté d’avoir combattu resteront le trait marquant pour les grévistes, lesquels tireront aussi des leçons de la non-extension, tout comme les non-grévistes qui constateront que seules les professions en lutte auront préservé des acquis.
Bref, ce mouvement donne raison aux militantes et militants de la grève générale, et cela va secouer dans les structures. Comment imaginer que la direction de l’Unsa (Union nationale des syndicats autonomes) ne soit pas percutée par sa base dans l’éducation et dans les transports? Comment imaginer que les secteurs les plus combatifs dans Solidaires n’en sortent pas renforcés? Et dans la CGT, les débats sont ouverts, et ils le sont tout autrement qu’il y a dix ans, si l’on compare la gestion confédérale de Thibault en 2010, refusant explicitement d’accélérer vers la généralisation, et les appels de Martinez en 2020, qui peinent hélas à être suivis. La reconstruction d’un syndicalisme de combat commence aujourd’hui! (Jean-Yves (UCL Limousin), Christian (UCL Paris Banlieue Sud-Est),
le 25 janvier 2020)
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