Par Alexis (UCL Saint-Denis)
Pour la direction de la RATP, tout a échoué: les mesures de service minimum; la division du personnel en statuts différents; le recrutement de «jeunes des quartiers» comme chauffeurs de bus en les espérant plus dociles… A la fin, la lutte des classes a repris ses droits. Une nouvelle génération militante est appelée à éclore à la régie.
Après quarante jours de grève reconductible ultramajoritaire, le déclin du taux de grévistes a contraint certaines AG à voter pour des «temps forts», avec cessations de travail intermittentes. Le succès de la journée du 24 janvier valide cette stratégie, avec des taux de grévistes incroyables: 65% sur le dépôt bus de Pleyel par exemple. Mais d’ores et déjà, plusieurs leçons positives peuvent être tirées de ce mouvement qui servira de marqueur historique, d’expérience fondatrice pour toute une génération.
Leçon numéro 1: la loi sur le «service minimum» ne peut rien contre la volonté des travailleuses et des travailleurs.
«Désormais, en France, quand il y a une grève, personne ne s’en aperçoit»: c’était Sarkozy en juillet 2008. Onze années sans grève transversale majoritaire à la RATP semblaient lui avoir donné raison: l’obligation pour les agents de l’exploitation de se déclarer grévistes 48 heures avant un conflit faisait dire à beaucoup qu’on «ne reverrait plus jamais de vraies grèves à la RATP». C’est raté.
Leçon numéro 2: la cohabitation de statuts différents ne rend pas pour autant impossible la solidarité et l’action collective.
Il faut savoir que les agentes et agents embauchés avant l’âge de 35 ans bénéficient du statut du personnel de la RATP et du régime spécial de retraite. Toutefois, celles et ceux qui ont été embauché·e·s après le 1er janvier 2009 sont pénalisés d’une décote de 5 % par année s’ils demandent leur départ en retraite anticipée. Enfin, les agentes et agents embauché·e·s après l’âge de 35 ans ne sont pas statutaires: ils et elles ont un contrat de droit privé. Ces différences de traitement injustes faisaient dire à beaucoup que ces trois groupes ne lutteraient jamais ensemble. Encore raté.
Leçon numéro 3: les chauffeurs de bus récemment embauché·e·s sont politisé·es ou combatifs.
A partir de 2005, la DRH du département bus de la RATP a lancé un plan de recrutement sur trois ans de 3000 chauffeuses et chauffeurs (dits «machinistes-receveurs») pour compenser les départs en retraite, mais aussi pour répondre au développement des transports. Elle a alors jeté son dévolu sur les «jeunes des quartiers», s’imaginant faire de bonnes affaires. D’abord, elle pouvait se donner l’image d’une entreprise non raciste, en mettant au volant des agentes et agents issus des minorités visibles. Ces derniers, imaginait-elle, se considéreraient tellement privilégié·es d’avoir été recruté·e·s qu’ils et elles n’oseraient jamais revendiquer, ni lutter (ah ah). Ensuite, elle a mis fin aux «dynasties RATP», quand les pères faisaient embaucher leurs fils et leur transmettaient, du même coup, la culture du conflit social et du rapport de force. En cassant cette tradition, la DRH des bus pensait éteindre la conflictualité. Enfin, persuadée d’avoir affaire à des agentes et agents plus dociles, moins politisé·e·s, elle a réorganisé petit à petit le département bus (regroupements d’unités, suppression de 240 postes à la régulation, etc.) pour gagner en productivité, en «compétitivité». Jusqu’ici, le pari semblait gagné. Une nouvelle fois, c’est raté.
Ces trois premières leçons seront utilement méditées par les syndicalistes de lutte: la RATP n’est plus une belle endormie, la conflictualité est là; elle peut nourrir le renouveau d’un militantisme offensif, pour gagner les prochains combats. (Alternative libertaire, le 25 janvier 2020)
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