Entretien avec Juan González
et post-scriptum
La crise politique à Porto Rico se poursuit alors que son Sénat a intenté une action contre la nomination de Pedro Pierluisi au poste de gouverneur à la suite de la démission de Ricardo Rosselló la semaine dernière. Pierluisi a prêté serment alors qu’il n’a pas été confirmé par le Sénat portoricain. Pierluisi affirme qu’il est dans l’ordre de la succession au poste de gouverneur puisqu’il a été nommé secrétaire d’Etat par Rosselló la semaine dernière. La maire de San Juan, Carmen Yulín Cruz, a également intenté une action en justice après sa prestation de serment. Les Portoricains disent aussi qu’il représente une continuation de la corruption et du statu quo au sein de la direction de l’île. Nous nous sommes entretenus avec Juan González, co-animateur de Democracy Now! sur le climat politique actuel.
Amy Goodman: Lundi, le Sénat portoricain a intenté une action en justice pour empêcher la nomination de Pedro Pierluisi au poste de gouverneur à la suite de la démission de Ricardo Rosselló la semaine dernière. Juan, peux-tu m’expliquer ce que veut dire nouveau gouverneur à Porto Rico?
Juan González: Le vendredi 2 août à 17 heures, le gouverneur Rosselló a officiellement démissionné. Juste avant, il a nommé un successeur. Il a proposé comme successeur Pedro Pierluisi, qui n’était pas le secrétaire d’Etat selon la Constitution, mais il l’a nommé secrétaire d’Etat pour qu’il puisse lui succéder. Seule la Chambre des représentants de Porto Rico a voté à la majorité d’une voix l’approbation de Pierluisi. Mais le Sénat ne l’a pas fait vendredi et a reporté à lundi 5 août la réunion sur cette question. Et cela, bien sûr, soulève une crise constitutionnelle à Porto Rico sans précédent: ce gouverneur nommé est-il le vrai gouverneur? Est-il légalement capable d’occuper un poste? Pierluisi a passé tout le week-end à rencontrer les chefs des ministères et d’autres représentants du gouvernement, mais n’a pas fait d’apparition publique. Et il insiste pour dire qu’il est le gouverneur. Le Sénat s’est ensuite réuni lundi et n’a pas voté. Il doit approuver Pierluisi comme secrétaire d’Etat, ce qu’il n’a pas fait. Ses membres prétendent donc qu’il n’est pas officiellement le gouverneur. Ils se sont adressés à la Cour suprême de Porto Rico, qui a dit aux deux parties de présenter leur mémoire juridique d’ici midi aujourd’hui le 6 août, afin qu’elle puisse prendre une décision dans les jours qui viennent. Mais entre-temps, pratiquement peu de juristes ou de médias reconnaissent Pierluisi comme gouverneur.
Quant à Carmen Yulín Cruz, elle a déposé sa propre plainte contre Pierluisi. Il y a donc deux poursuites.
Amy Goodman: Et qui est Pierluisi?
Juan González: Pierluisi, ce qui est intéressant, a été le commissaire résident [qui représente Porto Rico au Congrès des Etats-Unis, le gouverneur et le commissaire sont élus en même temps mais ne sont pas associés] pendant de nombreuses années. Il est du même parti que Rosselló. Mais c’est aussi le beau-frère du président du conseil d’administration de PROMESA [Puerto Rico Oversight, Management, and Economic Stability Act, établi en 2016 pour contrôler la restructuration de la dette; cette structure dépend du Fiscal Control Board du Congrès US], le conseil de contrôle financier qui dirige Porto Rico. Il avait un cabinet d’avocats qui travaillait pour le conseil d’administration de PROMESA. Il était également lobbyiste pour AES Corporation [société de production et de distribution d’électricité], une entreprise ayant son siège en Virginie qui polluait Porto Rico avec les cendres de charbon de son usine située dans la partie sud de Porto Rico. Il y a donc toutes sortes de conflits d’intérêts qui font qu’il a peu de chances d’être soutenu par la majorité des gens pour rester gouverneur par intérim [avant des élections prévues en novembre 2020]. (Entretien publié sur le site Democracy Now!, le 6 août 2019; traduction rédaction A l’Encontre, voir à propos de Porto Rico le dossier publié sur ce site en date du 23 juillet 2019)
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Post-scriptum Les faits ont validé l’appréciation de Juan González. Cinq jours après son entrée en fonction le 2 août, Pedro Pierluisi a dû quitter son poste de gouverneur. La Cour suprême du territoire américain a considéré sa nomination comme non constitutionnelle. Actuellement, c’est la secrétaire d’Etat à la justice de Porto Rico, Wanda Vazquez, qui assure le mandat de gouverneure depuis le 8 août. La crise gouvernementale à Porto Rico traduit la force du mouvement populaire contre la politique des Etats-Unis – dont la caricature a été l’attitude de Trump lors de l’ouragan Maria en septembre 2017 – et de, de facto, ses représentants sur le territoire. Toutefois, comme le font remarquer certains analystes portoricains, l’absence d’une instance gouvernementale risque de renforcer l’emprise directe des instances de surveillance «financière» du gouvernement états-unien. (Réd. A l’Encontre)
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