Dans ce grand fracas, elle se tait. Dans ce grand désordre, elle se cache. Où est passée Marine Le Pen depuis plusieurs semaines? Alors que le quinquennat traverse sa plus grave crise, avez-vous vu la finaliste de la présidentielle au journal au 20 heures? L’avez-vous vue participer à une manifestation des gilets jaunes? L’avez-vous vue organiser des meetings?
Rien de tout cela: Marine Le Pen a décidé de jouer la contre-programmation, de laisser les uns et les autres s’égosiller.
Bien sûr, la patronne du Rassemblement national écrit quelques tweets, répond à quelques questions, mais elle assure le service minimum, convaincue que la situation la servira seulement si elle-même ne donne pas l’impression de s’en servir.
Pendant ce temps, Jean-Luc Mélenchon en appelle à l’insurrection; Emmanuel Macron crie au péril sur la République; des gilets jaunes subventionnent par internet des cogneurs de CRS; la droite organise une contre-cagnotte pour les forces de l’ordre. C’est la bagarre générale au village d’Astérix, que le Rassemblement national regarde de loin. Lui qui se voulait pourtant le champion de la «France périphérique» et des «citoyens invisibles».
Les adversaires de Marine Le Pen auraient sans doute tort de se réjouir de ce silence…
Hier, le baromètre IFOP-Fiducial a décelé une poussée du parti lepéniste, désormais considéré comme le parti incarnant le mieux l’opposition, devant la France insoumise. A la mi-décembre, le RN avait aussi dépassé la République en marche pour les européennes, toujours selon l’IFOP.
Certes, les sondages varient, et bien fol qui s’y fie.
Il n’empêche que Marine Le Pen et les siens abordent 2019 en dynamique. Ils viennent de recruter un ancien ministre de Nicolas Sarkozy. Thierry Mariani rejoint officiellement le RN. Certes, cet ex-élu du Vaucluse n’a jamais été un centriste pro-européen. Mais ce transfert en dit long sur le sens du vent. La boussole, en revanche, tourne dans tous les sens, en ce moment de confusionnisme politique. Tout le monde s’accuse mutuellement de faire le lit du fascisme. Etonnamment, seul le Rassemblement national, tout à sa discrétion, sort indemne de cette accusation. Marine Le Pen se contente de tweeter sur le droit des manifestants. Curieux renversement, ces derniers jours, où En Marche se veut le parti de l’ordre, et le Rassemblement national celui de la défense des libertés individuelles.
Alors tout cela prédit-il un succès de la liste RN aux prochaines européennes?
Le terreau est là. Mais n’allons pas trop vite. D’abord, le parti de Marine Le Pen reste victime de ses ambiguïtés sur le champ européen. Jusqu’où veut-il détricoter l’Union européenne? Jusqu’où veut-il découdre les traités successifs: ceux de l’euro, de la libre circulation, du droit européen?
Quand l’échéance approche et qu’il faut sortir du flou, les ennuis commencent, comme on l’a vu lors du débat entre les deux tours de la présidentielle.
Ensuite, la frange la plus anti-macroniste des gilets jaunes ira-t-elle voter pour les européennes? Rien n’est moins sûr. C’est l’élection qui suscite le moins de mobilisation.
Autre question: y aura-t-il une liste de candidats gilets jaunes aux européennes? Dans cette hypothèse, le Rassemblement national pourrait y perdre, comme d’autres partis d’opposition, quelques bulletins de vote. Alors Marine Le Pen accélère. Elle lancera ce dimanche la campagne en présentant la tête de liste du RN, Jordan Bardella, 23 ans. Visiblement bien décidée à ce que la stratégie du silence de cet hiver fasse du bruit dans les urnes au printemps. (Billet politique de la matinale de France Culture)
*****
France. Le Rassemblement national (RN) avant les européennes
Par Loris Boichot
La présidente du Rassemblement national refuse toutes les interviews et a choisi de laisser les «gilets jaunes» s’exprimer pour elle.
La bretteuse a rangé son épée. Loin des micros et des caméras, Marine Le Pen se contente de tweets et de communiqués, depuis son «Joyeux Noël!» et ses vœux anticipés, face caméra, le 21 décembre dernier. Pourtant volontiers adepte de sorties tonitruantes, l’ancienne finaliste à la présidentielle a refusé toutes les interviews. «Il y a ce qu’on appelle la trêve des confiseurs», fait remarquer son entourage, comme une évidence. Mais la présidente du Rassemblement national (RN) a aussi choisi de laisser les «gilets jaunes» s’exprimer pour elle. Sans qu’elle ait besoin de se démultiplier.
La présidente du RN réclame toujours la dissolution de l’Assemblée et de nouvelles élections à la proportionnelle intégrale pour sortir de la «crise profonde»
Du référendum d’initiative citoyenne (RIC) à la retraite à 60 ans, elle sait que beaucoup des revendications des manifestants sont contenues dans son programme. Jean-Lin Lacapelle, membre du bureau national du parti, s’en réjouit: «Nous avons gagné la bataille des idées». Et des points dans les enquêtes d’opinion. Le RN recueille 24% des intentions de vote aux élections européennes, cinq points devant la liste La République en marche (LaREM), selon un récent sondage Odoxa.
La présidente du parti à la flamme réclame toujours la dissolution de l’Assemblée et de nouvelles élections à la proportionnelle intégrale pour sortir de la «crise profonde». Mais pas question pour l’heure de s’engager dans une polémique sur les violences avec le gouvernement, comme Jean-Luc Mélenchon. «Pour le moment, on observe, on les voit s’agiter, s’amuse un historique du parti. Avant d’entrer en guerre.» Dans la tête de ses concepteurs, la bataille doit transformer les intentions de vote en bulletins dans les urnes. Et conduire à la première place des européennes, le 26 mai, la liste RN menée par le jeune porte-parole du parti, Jordan Bardella.
La campagne sera lancée dimanche par Marine Le Pen à la Mutualité, à Paris, quatre jours après sa rentrée dans la matinale Radio Classique-Le Figaro, mercredi matin. Au rythme d’un par semaine, une vingtaine de meetings devraient se tenir jusqu’au scrutin. La bretteuse va de nouveau ferrailler. (Article paru dans Le Figaro, mis à jour du 8 janvier 2019; publié pour information par Réd. A l’Encontre)
Soyez le premier à commenter