Par A l’Encontre et Communiqué de SUD Education Guyane
Le samedi 25 mars 2017, l’Union des travailleurs guyanais (UTG), dans la foulée de divers mouvements sociaux qui se sont affirmés dès le 16 mars, votait à l’unanimité la grève générale pour le lundi 27 mars [1]. L’UTG réunit les 37 syndicats de cette deuxième plus grande région de France; la transformation de colonie en département français date de 1946. La Guyane compte quelque 250’000 habitants. Le Brésil et le Surinam constituent ses frontières terrestres.
Un bref rappel: le pouvoir de Louis-Napoléon Bonaparte installa dans cette colonie datant du XVIIe siècle un bagne – le Bagne de Cayenne – qui «fit sa réputation». De nombreux survivants de la Commune de Paris (1871) y furent déportés. Les terribles conditions y régnant valurent à ce bagne l’appellation de «guillotine sèche». C’est seulement en 1953 que ce bagne fut effectivement supprimé. En 1965, le pouvoir gaulliste y installe le Centre spatial guyanais à Kourou, exploité aujourd’hui par le Centre national d’études spatiales (CNES), Arianespace et l’Agence spatiale européenne (ESA).
Une pauvreté extrême marque cette région, membre de l’Union européenne, puisque française! Les salaires y sont nettement inférieurs à ceux en vigueur en France (au moins de 30%) alors que les prix des biens alimentaires sont 45% plus élevés qu’en métropole. A elles seules, ces deux données – auxquelles il faut ajouter un taux de chômage à hauteur de 23% – expliquent les nombreuses mobilisations sociales et le déclenchement de la grève générale. «Soutenue par des collectifs de citoyens, la mobilisation dénonce globalement les problèmes du territoire en matière de santé, d’éducation, d’économie, de sécurité, d’accès au foncier ou de logement, et demande “un plan Marshall”.» (Le Monde, 27 mars 2017)
Dans un reportage publié le 26 mars, Marion Briswalter donne la parole à une syndicaliste: «Il faut arrêter de parler de la Guyane uniquement par rapport au spatial, peste l’un des organisateurs du mouvement. On a peur pour nos enfants: le chômage, la délinquance… 90% des terres appartiennent à l’Etat!» «Le dialogue a été mal conduit par la préfecture depuis des années, c’est aussi ça le problème de fond», estime une syndicaliste.» (Libération)
Après diverses tergiversations, le gouvernement français a délégué en Guyane – pour 48 heures, ce qui n’est pas apprécié par les collectifs mobilisés – les ministres de l’Intérieur Matthias Fekl et des Outre-mer Ericka Bareigts, arrivés le 29 mars.
Nous publions ci-dessous le Communiqué de presse de SUD éducation Guyane du 28 mars. Des thèmes sociaux caractéristiques de la situation guyanaise ressortent avec clarté, même si le centre de gravité porte sur les problèmes de l’éducation de ce département frappé une déscolarisation massive. (Rédaction A l’Encontre)
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Communiqué de SUD Education Guyane
La Guyane, plus grand département français, cumule:
- plus de 3000 enfants de 3 à 16 ans non scolarisés;
- plus d’un tiers de jeunes en situation d’illettrisme;
- 45% de chômeuses et chômeurs chez les moins de 25 ans (selon l’INSEE – Institut national de la statistique et des études économiques).
Cet abandon de la jeunesse comme de la population par les institutions a conduit à un mouvement social d’ampleur qui en quelques jours a déclenché la grève générale.
SUD Education Guyane s’est joint au mouvement dès son origine et s’investit sur le terrain des luttes (tenue des piquets, soutien logistique, participation à la construction des revendications).
Voici la plateforme de revendications pour l’éducation portée par les syndicats:
- Infrastructures scolaires: plan de construction de 5 lycées (Maripasoula, Macouria, Saint-Georges, Matoury, Saint-Laurent); 10 collèges et 500 classes de primaire en utilisant les matériaux locaux.
- Gratuité des transports scolaires et de la restauration en favorisant les produits locaux, fourniture de matériel pédagogique pour tous les élèves.
- Politique académique. Valider le principe de la mise en place d’une politique académique adaptée avec l’introduction officielle dès la rentrée prochaine de l’étude des langues maternelles [1], de l’histoire-géographie du territoire, des sciences en s’appuyant sur les structures technologiques, de recherche et de l’environnement naturel guyanais.
- Mise en place d’un projet académique sur 5 ans avec gouvernance stable et au fait des réalités guyanaises.
- CDIsation (CDI) des contractuels et embauche de 400 ILM (Intervenants en Langues Maternelles).
- Ouverture de filières en relation avec le développement (biodiversité, or, spatial, eau, sciences du vivant et du sol, langues…).
- Université: construction du pôle de Saint-Laurent, création de 20 postes, versement automatique de la taxe professionnelle du CSG (Centre Spatial Guyanais) pour la formation continue.
- Ouverture et stabilisation de filières en relation avec le développement.
- Désenclavement, construction de la route de Bélizon à Maripasoula pour l’accès de tous les élèves (écoliers, collégiens, lycéens et étudiants) à l’éducation.
Elle s’intègre à la plateforme unitaire inter-catégorielle qui est en cours d’élaboration.
- SUD Education Guyane demande à tous les syndicats SUD Education de soutenir, de relayer et de participer à l’amplification du mouvement actuel!
- SUD éducation Guyane rejoint la population de Guyane dans sa volonté de construire un avenir meilleur pour toute sa population: loin des discours haineux et racistes qui nous montent les uns contre les autres, nous appelons tous les hommes et les femmes qui nous écoutent à construire un mouvement populaire et solidaire de révolte contre l’injustice sociale qui fait de notre territoire un des grands oubliés.
- La Guyane se lève aujourd’hui et nous devons tous et toutes nous lever avec elle pour construire l’école que nous réclamons depuis tant d’années!
- Nous nous levons pour tous les habitants de la Guyane.
- Nous nous levons contre la non-scolarisation, contre la pauvreté, contre l’incurie des pouvoirs publics, contre une école qui ne prend pas en compte des cultures et des langues qui font partie intégrante de notre identité!
- Nous nous levons pour dénoncer la situation des personnels notamment les précaires qui subissent la pression de leur hiérarchie!
- Nous nous levons contre une école qui n’est plus gratuite et qui discrimine de plus en plus!
- Nous nous levons pour proposer notre projet: une gouvernance collective, démocratique et autogestionnaire!
- Ne laissons pas la Guyane aux lois du Marché et à des puissants avides de s’enrichir encore plus!
- Levons-nous pour ne plus subir!
- Rejoignons les travailleurs et travailleuses en lutte!
- Tous solidaires pour une école émancipatrice, laïque, gratuite, et accessible à tous et toutes! (28 mars 2017)
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[1] L’anthropologue Isabelle Hidair explique que «cette grève générale qui paralyse aujourd’hui [la Guyane] est inédite. C’est la première fois que la route menant au centre spatial de Kourou, pôle économique majeur du département, est barrée. Seconde nouveauté : naguère, on faisait appel aux élus locaux pour jouer le rôle de porte-parole des revendications. Là, on a une révolution «participative». Les grévistes guyanais disent: «Nous avons les réponses et nous pouvons négocier directement avec les ministères parce que nous savons ce que nous voulons et que nos élus ne sont pas à la hauteur. Nous tiendrons le temps qu’il faudra.» (Le Monde, 30 mars 2017)
[2] Comme l’expliquait SUD Education en 2010: «La Guyane est riche d’une formidable diversité multiculturelle et plurilinguistique avec une vingtaine de langues considérées comme «fréquentes». Parmi ces langues, se trouvent celles que l’on qualifiera d’autochtones. En Guyane, il faut attendre 1998, pour voir des chercheurs du programme «Langues de Guyane» demander au Rectorat de la Guyane la mise en place d’un dispositif permettant de valoriser les langues présentes qu’elles soient autochtones (amérindiennes ou busi-nengee) ou issues de l’immigration (d’abord le Hmong puis dans une moindre mesure le Portugais du Brésil).» Le busi-nengee fait référence aux populations autrement appelées «noirs-marrons» qui sont les les descendants d’esclaves échappés de plantations du Surinam au XVIIIe siècle et réfugiés sur les rives du fleuve frontière entre le Suriname et la Guyane. Au XIXe siècle, la Guyane a connu de diverses vagues d’immigration: chinoise, hmong (populations montagnardes du sud de la Chine et du nord du Vietnam et Laos), ou libanaise. Depuis quelques années, les immigrations en provenance du Surinam et du Brésil se sont renforcées. (Réd. A l’Encontre)
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