Le constat de la Confédération syndicale internationale (CSI)

Le constat de la Confédération syndicale internationale (CSI)

Lors du débat sur les «mesures d’accompagnement» dans le cadre des bilatérales II – il y a deux ans – nous avions mis en relief les fortes limitations des droits syndicaux en Suisse. Le dernier rapport de la Confédération syndicale internationale confirme cela. Il n’est pas certain qu’une vaste publicité soit faite à ce document. Nous le publions ci-dessous.

Ce constat est établi à partir des «normes» contenues dans les Conventions fondamentales de l’OIT (Organisation internationale du travail) ratifiées. Il s’agit des conventions suivantes: sur le «travail forcé» datant de 1930 (N°29) ; sur la «liberté syndicale et la protection du droit syndical» datant de 1948 (N°87); concernant l’application des principes du droit d’organisation et de négociation collective datant de 1949 avec entrée en vigueur en 1951(N°98) ; sur «l’égalité de rémunération» datant de 1951 (N°100) ; sur «l’abolition du travail forcé» (N°105) ; concernant «la discrimination (emploi et profession)» datant 1958 (N°111) ; sur «l’âge minimum d’admission à l’emploi» datant   de 1973 et sur la Convention 182 sur «les pires formes du travail des enfants».(Réd).

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Les limitations du droit de grève ont persisté, à tel point que les grèves sont interdites dans certains cantons et de nombreuses communes. Un jugement du tribunal fédéral paru en décembre 2005 a créé un précédent inquiétant. Alors qu’il a défendu le droit du syndicat d’organiser un piquet de grève, le tribunal a également rendu responsable le syndicat du paiement des frais encourus pendant le conflit, y compris les coûts écrasants d’un service privé de sécurité. Le gouvernement suisse a contesté une décision de l’OIT concernant la protection insuffisante des représentants syndicaux. Plusieurs cas de violations ont été rapportés pendant l’année.

Libertés syndicales en droit

Reconnaissance de la liberté syndicale et du droit de grève:  Une clause de la Constitution fédérale (article 28), entrée en vigueur en janvier 2000, reconnaît explicitement le droit des travailleurs à former des syndicats et à s’y affilier. Cette clause reconnaît également la légalité des grèves, pour autant qu’elles se rapportent aux relations de travail et soient conformes «aux obligations de préserver la paix du travail ou de recourir à une conciliation». Il faut que la grève soit menée par une organisation ayant la capacité de conclure des conventions collectives de travail (CCT).

Limitation de l’action de protestation:  L’article 357a du Code des obligations prévoit l’obligation de préserver la paix sociale pour toutes les questions régies par une CCT. Environ deux tiers des CCT en vigueur en Suisse contiennent une obligation, dite absolue, de préserver la paix du travail. Elles excluent de fait le recours à toute mesure de lutte, même pour des mesures non réglées par la CCT, pendant la validité de la CCT. Les syndicats suisses ont signalé l’absence de mécanismes de compensation pour les fonctionnaires de l’État qui ne peuvent toujours pas mener une action de grève. Il n’y a par exemple pas de procédures de conciliation et d’arbitrage pour résoudre les différends.

La grève interdite dans des cantons et de nombreuses communes:  Le demi-canton de Nidwald et le canton de Fribourg ont introduit l’interdiction du droit de grève dans la loi qui s’applique à leur personnel. Certaines communes fribourgeoises ont repris ces dispositions cantonales dans leur réglementation. Dans quelques autres cantons, certains changements sont en cours pour mettre la législation en conformité avec la Constitution fédérale.

Pas de protection suffisante contre les licenciements antisyndicaux:  Si la législation suisse n’autorise pas le licenciement de représentants syndicaux, à moins que l’employeur ne puisse prouver qu’il soit justifié, la loi ne prévoit pas la réintégration des personnes injustement licenciées. Tout au plus, le juge peut condamner l’employeur fautif à payer une indemnité compensatoire équivalente à six mois de salaire aux victimes de tels agissements. En novembre 2006, le Conseil d’administration du BIT a approuvé à l’unanimité une décision du Comité de la liberté syndicale qui demande à la Suisse de mieux protéger les représentants des travailleuses et des travailleurs au sein des entreprises. Le Conseil fédéral est prié de prendre des mesures visant à procurer, pour le moins aux victimes de licenciements antisyndicaux, le même type de protection que pour celles victimes de licenciements violant le principe d’égalité de traitement entre hommes et femmes, y compris la possibilité d’une réintégration au sein de l’entreprise fautive.

Libertés syndicales dans la pratique

Syndicats représentatifs écartés:  L’absence de règles clairement établies relatives à la représentativité des organisations syndicales en Suisse conduit des employeurs à choisir sur le «marché» des organisations de salariés les partenaires les plus commodes, fussent-ils fantômes dans l’entreprise, en rompant leurs relations professionnelles avec des syndicats représentatifs.

Licenciements antisyndicaux:  Bien que relativement peu nombreux, les licenciements antisyndicaux ont tendance à s’accroître en Suisse en l’absence de protection efficace empêchant la résiliation abusive de leur contrat de travail. Étant donné que les tribunaux ne peuvent ordonner la réintégration dans l’entreprise des victimes de ces abus, ces pratiques exercent un effet dissuasif certain quant à l’exercice concret de la liberté syndicale.

Absence de véritables négociations collectives dans l’agriculture:  Le secteur agricole n’est pas soumis à la loi sur le travail et les relations de travail ne font pas l’objet d’une CCT au niveau suisse. Toutes les tentatives syndicales ou politiques d’améliorer les conditions de travail et la protection légale des ouvriers agricoles ont échoué à ce jour. Le Conseil fédéral n’a pas entrepris de démarches pour inciter les organisations d’employeurs du secteur à négocier une CCT digne de ce nom avec des organisations syndicales représentatives au plan national.

Droit de grève – jurisprudence:  Un jugement du tribunal fédéral, paru en décembre 2005, traite de la licéité de mesures de combat prises par le syndicat Comedia dans un conflit collectif. Le syndicat Comedia est entré en lutte contre l’imprimerie des Presses Centrales S.A. à Lausanne, au printemps 2001, en raison de la démission de l’entreprise de l’association patronale et de la dénonciation de la CCT. Vu le refus de la direction d’entrer en matière pour en négocier une nouvelle, un piquet de grève sera organisé devant l’imprimerie, avec pour objectif le blocage de la parution du journal «L’Agefi». La police dégagera de force l’entrée de l’entreprise pour y faire pénétrer des salariés qui furent ensuite contraints de livrer le journal. Une petite échauffourée se produisit durant laquelle une vitre fut brisée et une porte d’entrée endommagée. Selon le tribunal fédéral, l’action du syndicat Comedia contre les Presses centrales de Lausanne était une mesure de lutte collective comparable à une grève. Donc un tel blocage est protégé par la garantie constitutionnelle du droit de grève.

Mais le tribunal fédéral a aussi estimé que l’échauffourée devant la porte d’entrée représente un usage disproportionné de la violence contre l’entreprise. Le syndicat Comedia est tenu de réparer les dommages. Cela concerne non seulement le remboursement des dégâts commis pour environ 1.500 francs (une vitre, une serrure de porte, un pneu), mais aussi les coûts d’un service privé de sécurité recruté par l’entreprise. Ces coûts pourraient s’élever à plus de 50.000 francs suisses (environ 40.000 US$). Le jugement du Tribunal fédéral est particulièrement choquant lorsqu’il rend le syndicat aussi responsable du paiement des frais entraînés par la surveillance mise en place durant des mois après son action.

Faiblesses de la législation suisse:  En septembre 2005, la 1re Cour civile du Tribunal fédéral a rejeté le recours principal du syndicat (Comedia) contre l’entreprise Presses Centrales S.A. Ce recours portait notamment sur la protection contre les actes d’ingérence et la négociation collective au motif que si les dispositions relatives des Conventions n°98 et 154 ont été introduites valablement dans l’ordre juridique suisse lors de leur ratification, elles ne sont pas directement applicables. Ce jugement montre bien les insuffisances de la législation suisse à propos de la mise en œuvre de ces instruments.

Violations en 2006

Offre d’emploi antisyndicale:  Au mois d’avril, un artisan a fait publier dans un journal gratuit du Jura bernois, «La Région», une offre d’emploi pour un peintre en bâtiment «non syndicalisé». La discrimination à l’embauche n’est pas punissable en Suisse lorsqu’elle se limite à l’offre d’emploi.

Licenciements antisyndicaux:  Le président de la commission d’entreprise de Swissmetal S.A. de Reconvilier, Nicolas Wuillemin, a été licencié avec effet immédiat, pendant une grève, au début du mois de février 2006, après 17 années de travail dans l’entreprise. Deux autres délégués du personnel de la même entreprise ont ensuite été licenciés, ainsi que l’épouse de Nicolas Wuillemin, Maria, également déléguée du personnel. À Genève, Caran d’Ache a licencié deux délégués syndicaux afin d’éjecter le syndicat Unia de la convention collective de travail du personnel administratif.

Refus de négocier avec le syndicat:  Implanté depuis peu en Suisse, Aldi, le géant allemand de la distribution, interdit à ses employés de parler aux médias et aux syndicats pour les informer de leurs conditions de travail. Le Syndicat Unia, qui a demandé l’ouverture de négociations collectives avec la direction, a essuyé un refus. Le syndicat n’a pas pu vérifier si l’entreprise a apporté, comme elle le prétend, les corrections élémentaires des contrats individuels de travail requises pour assurer le respect de la liberté syndicale.

Convention collective avec un syndicat fantôme:  La direction de l’entreprise de charcuterie Del Maître a adressé une nouvelle CCT à ses employé(e)s au début du mois de septembre 2006. L’entreprise avait conclu la CCT avec une association fantôme inconnue dans le canton de Genève: l’Association suisse du personnel de la boucherie (ASFPB), qui ne compte alors aucun affilié parmi les salarié(e)s de Del Maître. La nouvelle convention a introduit une série de changements négatifs pour les employés, y compris l’augmentation de la durée du travail à 43 heures hebdomadaires, la suppression de la pause payée et de la compensation des jours fériés qui tombent sur un samedi ou un dimanche. Pour le personnel d’exploitation, Del Maître envisage l’introduction d’horaires de travail flexibles, entre 5 heures et 21 heures.

Conditions draconiennes à la négociation:  Quatre associations patronales vaudoises du secteur parapublic de la santé écrivaient en septembre 2006 à la Fédération syndicale SUD qu’elles n’accepteraient de reprendre les négociations en vue de la conclusion d’une CCT qu’à condition que les syndicats SSP, SUD, APEMS et SYNA s’engageaient à n’entreprendre aucune action en lien avec la négociation de la CCT – y compris la distribution des circulaires d’information – jusqu’à la conclusion de celle-ci ou jusqu’à l’éventuel échec définitif des négociations. Ces quatre associations patronales exigeaient des syndicats qu’ils s’engagent à respecter la paix du travail, rejetant même toute proposition tendant à la création de délégations syndicales sur les lieux de travail.

Arrestation d’un syndicaliste:  Suite à des distributions de tracts, qui ont irrité certains des employeurs concernés par l’affaire susmentionnée, plainte a été déposée par ceux-ci pour violation de domicile. Un secrétaire syndical sera arrêté à son domicile le 9 novembre 2006. Les gendarmes de Rolle le conduiront au poste pour l’interroger. La police lui demandera de fournir des documents pouvant identifier des militants engagés dans l’action syndicale. Il a refusé.

Empêchement systématique des activités syndicales chez Migros:  Depuis 2001, Migros interdit formellement au syndicat Unia d’entrer dans ses locaux, en se livrant à de la désinformation par communication interne diffusée au personnel. Cette société coopérative de consommation engage systématiquement des procédures contre les secrétaires syndicaux d’Unia, au motif qu’ils distribuent des tracts d’information à ses employé(e)s. Six tribunaux ont eu l’occasion de se prononcer à propos des accusations de violation de domicile portées par Migros. Finalement, toutes les plaintes ont été rejetées et tous les syndicalistes d’Unia acquittés. Pour autant, Migros n’abandonne pas sa politique d’intimidation visant à réprimer toute velléité syndicaliste. En novembre 2006, un commerce Migros du centre-ville de Neuchâtel a empêché la distribution de tracts à l’intérieur du magasin. Pourtant, Migros exige contractuellement de ses fournisseurs la garantie que les syndicats puissent accéder à leurs entreprises.

Le gouvernement conteste la légitimité du Comité de la liberté syndicale de l’OIT:  Le gouvernement de la Suisse a contesté la saisine du Comité de la liberté syndicale (CLS) du BIT dans la procédure ayant traité à une plainte de l’USS concernant la Convention n°98, notamment en ce qui concerne la protection des représentants syndicaux. Dans un document soumis au Comité en juin 2006, le gouvernement a remis en question la légitimité du CLS et a estimé que la Convention n°98 ne s’appliquait pas dans l’ordre constitutionnel et juridique suisse, malgré la ratification par la Suisse de cette Convention. Pourtant, sept mois plus tard, la Commission fédérale tripartite de la Suisse pour les affaires de l’OIT a accepté d’entrer en matière sur les recommandations du CLS de novembre 2006 de mieux protéger les représentants syndicaux.

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