Quelle solution en Syrie?

Manifestation de jeunes étudiants à Damas

Par Khalil Habash

Vendredi 28 octobre 2011, pour la première fois, les manifestations en Syrie ont mis en avant la demande pour une «zone d’exclusion aérienne». Certains membres du Conseil national syrien (CNS) ont appelé à une intervention étrangère militaire. Les Frères musulmans et les courants libéraux bourgeois ayant des liens avec les Etats-Unis, comme Radwan Ziadeh, à la tête du bureau des affaires étrangères du CNS, se sont fait entendre sur ces questions et ont déclaré qu’une intervention militaire était une possibilité, ceci malgré les déclarations de Burhan Ghalioun, président du CNS, contre toute intervention militaire étrangère (voir l’entretien avec B.Ghalioun publié sur ce site en date du 30 octobre 2011).

Cela marque un tournant important dans la position publique du CNS qui s’opposait jusqu’à maintenant à toute intervention étrangère, tournant qui représente un affaiblissement sérieux de la révolution. Par ailleurs, le week-end passé, la Ligue arabe a suspendu provisoirement l’adhésion de la Syrie et a menacé de prendre des sanctions économiques et politiques contre le gouvernement syrien. Samedi, la Ligue arabe a donné à la Syrie un délai de trois jours pour cesser sa répression et a annoncé qu’il y aurait des sanctions si ce délai n’était pas respecté. Le bloc régional a annoncé que si la Syrie ne se conformait pas à leurs exigences, les sanctions entreraient en vigueur le 16 novembre. Or, n’oublions pas que c’est la suspension de l’adhésion de la Libye par la Ligue arabe qui a facilité le vote du Conseil de sécurité en faveur d’une campagne militaire contre ce pays.

Ces récents événements exigent une analyse des différents courants du CNS, de la stratégie des impérialistes et de la possibilité d’une intervention étrangère.

Il est clair que certains membres du CNS, en particulier les libéraux et les Frères musulmans ont des liens avec des pays impérialistes tels que les Etats-Unis et la France, même si ce courant reste fortement minoritaire dans le Conseil. Les membres de ce courant ont également renforcé leurs liens avec les monarchies réactionnaires du Golfe comme l’Arabie saoudite ainsi qu’avec la Turquie, qui espère renforcer sa position dans la région. Aussi bien les pays du Golfe que la Turquie soutiennent les Frères musulmans et les libéraux en Syrie et ailleurs dans la région, pour stimuler des politiques économiques néolibérales et pour normaliser les relations avec Israël.

Ces groupes et ces personnalités, qui sont loin de représenter le mouvement populaire syrien, devraient être dénoncés pour leurs liens avec des impérialistes. C’est ce courant au sein du CNS qui a été le plus favorable à  demander des sanctions contre la Syrie [dont une partie frappe la population] et à une intervention militaire étrangère.

Pourtant, même maintenant, ces forces restent très minoritaires en Syrie. Les appels pour une intervention militaire ne sont pas suivis par la majorité du mouvement populaire. C’est ce qu’on peut constater en parcourant la déclaration intitulée: «La position des Comités locaux de coordination locaux (CLC) sur la Protection internationale». Sur le terrain le CLC est une véritable force qui se bat contre le régime sans aucun lien avec des impérialistes étrangers. Voici quelques citations tirées de cette déclaration:

• «Nous affirmons le droit du peuple syrien a se déterminer librement, sans ingérence extérieure, sur la forme politique de son gouvernement et sur la poursuite du développement économique, social et culturel de la société syrienne.»

• «En insistant dans les conditions actuelles, très particulières, sur le droit direct du peuple syrien à affirmer son droit à l’auto-détermination face à la communauté internationale, nous assurons que tous les appels fondés sur le « droit d’ingérence », sur le « devoir d’ingérence », d’intervention humanitaire » ou de « responsabilité de protéger » ne devraient en aucun cas entraver l’aspiration du peuple syrien à obtenir un changement pacifique par ses propres moyens, ni faire traiter le peuple syrien comme partie d’une sphère d’influence de plus dans le jeu des nations. Tous les jours les manifestants dans les villes et villages syriens scandent: « Le peuple veut… ». Le peuple veut l’émancipation par rapport à un règne autoritaire. Il veut prendre et conserver l’initiative pour appliquer de manière indépendante et pacifique les décisions d’ordre publiques, afin de pouvoir déterminer tous les aspects de sa vie publique librement et par la délibération. Il veut aussi maintenir des relations amicales avec les autres nations. Le peuple syrien ne veut pas échanger un règne autoritaire contre une soumission à l’influence étrangère. Le peuple syrien a gagné son indépendance et a fondé son Etat moderne. Il aspira à libérer toutes ses terres et surtout le Golan. Il aspire à continuer à soutenir les luttes des peuples pour l’auto-détermination, et surtout celles du peuple palestinien. Tout comme le peuple syrien se révolte contre des dirigeants qui l’oppriment, ils n’hésiteront pas à se révolter contre toute forme de domination étrangère.»

• «Nous considérons que les objectifs de la protection internationale doivent être limités à assurer que des assemblées et des manifestations puissent se dérouler en sécurité [observateurs internationaux], de manière à permettre au peuple syrien d’exercer librement leur droit à l’autodétermination, par ses propres forces pacifiques dans une transition vers un système de gouvernement pluraliste, laïque et démocratique, fondé sur des libertés publiques et sur l’égalité légale et politique parmi tous les Syriens.»

Outre cette déclaration, on ne peut plus claire, refusant toute influence étrangère en Syrie et dans l’avenir du pays, plusieurs membres de l’opposition tels que Michel Kilo et Haytham Manna ont dénoncé tout appel soutenant une quelconque intervention militaire étrangère.

Les impérialistes et les régimes autoritaires du Golfe n’ont pas réussi à intervenir ou à influencer de manière directe le mouvement populaire en Syrie ces derniers mois parce qu’ils comprennent que leurs clients syriens, les Frères musulmans et les libéraux, sont trop faibles au sein du mouvement populaire et dans la rue syrienne pour pouvoir protéger les intérêts des impérialistes étrangers en Syrie et dans la région dans le cas où le régime serait renversé. Pour le moment, malgré les apparences tendant à faire croire qu’ils soutiennent le mouvement populaire, les impérialistes ont donc opté pour le statu quo en Syrie.

C’est la raison pour laquelle aucun des pays impérialistes n’ont rappelé leurs ambassadeurs et que l’OTAN a déclaré à plusieurs reprises sa volonté de ne pas intervenir en Syrie, en expliquant que la situation n’est pas la même qu’en Libye. Les impérialistes et les pays du Golfe ont également soutenu le plan de la Ligue arabe que le régime syrien a accepté sans réserves…tout en continuant à réprimer les protestataires.

Le texte de la Ligue arabe déclare que le régime syrien a accepté plusieurs mesures, y compris le retrait des militaires des villes et des quartiers résidentiels, la libération de tous les prisonniers politiques et qu’il accepte que la Ligue arabe et les médias étrangers surveillent la situation et fassent des rapports.

En fait les forces impérialistes ont déjà appliqué des sanctions contre le régime syrien au cours de ces mois passés, mais le but de ces sanctions était peut-être uniquement de l’affaiblir assez pour pouvoir imposer leurs propres intérêts sans renverser complètement le régime.

Alors, pour quelle raison l’OTAN n’est-t-il pas intervenu militairement dans le pays?

Une des raisons est que l’opération libyenne, même si elle a abouti finalement à la victoire de l’OTAN, a été plus longue et plus risquée que ce qu’ils avaient pensé et a débouché sur un résultat plus instable que ce que les forces impérialistes avaient prédit. Les risques en Syrie seraient encore plus importants parce que même si les puissances impérialistes détestent le régime Assad, il constitue au moins un ennemi stable, connu. Une intervention pourrait produire un «opposant plus instable» et qu’ils ne connaissent pas.

Pour les forces impérialistes à différents niveaux, le régime syrien a été un élément assez docile dans la région. Elles craignent qu’un changement de régime en Syrie pourrait modifier le statu quo actuel entre la Syrie et Israël. La Syrie a évité toute confrontation ouverte avec Israël pendant presque quatre décennies, malgré son soutien mesuré aux groupes de résistance palestiniens et libanais. A l’exception de quelques batailles aériennes en 1982, Israël et la Syrie n’ont pas été en conflit militaire depuis 1973.

La Syrie n’a pas riposté aux attaques directes sur son sol, largement attribués à Israël, y compris une frappe aérienne en 2007 sur un réacteur nucléaire suspecté ou l’assassinat du dirigeant résistant libanais Imad Moghniye en 2008. Pendant la guerre du Liban en 2006, pas un seul tir n’est parti depuis le territoire syrien.

La Syrie s’est engagée dans de multiples pourparlers de paix. Même si ces pourparlers n’ont pas abouti à un accord, leur échec n’a fait que maintenir un «froid» climat entre les deux pays. Les experts israéliens estiment que l’instabilité du régime syrien ou son changement pourraient modifier cet accommodement qui dure depuis longtemps. Des officiels syriens ont déclaré à maintes reprises qu’ils étaient prêts à signer un accord de paix avec Israël, dès la fin de l’occupation du Golan. Toutefois, ils n’ont rien dit sur la question plus ample du statut des Palestiniens. Rami Makhlouf [homme d’affaires de premier rang], le cousin de Bachar el-Assad, a déclaré en juin que sans stabilité en Syrie il n’y aurait pas de stabilité en Israël. Il a ajouté que personne ne pouvait prévoir ce qui se passerait si quelque chose arrivait au régime syrien.

Nous ne devrions pas oublier que c’est le régime de Hafez el-Assad qui a écrasé les Palestiniens et le mouvement progressiste au Liban en 1976, mettant un terme à leur révolution et qui a participé à la guerre impérialiste contre l’Irak en 1991 avec la coalition dirigée par les Etats-Unis. Durant ces derniers 30 ans, le régime syrien a arrêté tous ceux qui tentaient de développer dans le pays une résistance pour la libération du Golan et de la Palestine.

Dans le passé c’est le peuple syrien qui a fait pression sur le régime syrien pour soutenir la résistance. C’est la population syrienne qui a accueilli les réfugiés palestiniens et irakiens lorsqu’ils étaient attaqués et occupés par les puissances impérialistes. Une victoire de la Révolution syrienne ouvrira un nouveau front contre les puissances impérialistes, alors qu’une défaite les renforcerait.

Mais cette situation pourrait changer rapidement si les puissances impérialistes pensaient que l’équilibre des risques à renverser le régime syrien se modifiait en leur faveur. Un appel à l’aide de l’opposition à l’OTAN est justement le genre de revirement qui pourrait inciter les puissances de l’OTAN à penser qu’elles pourraient gagner le pari de renverser le régime.

Mais nous devrions inviter ceux qui croient encore qu’une intervention étrangère pourrait avoir des effets positifs pour la Syrie à observer les situations irakienne et afghane: après dix ans ces deux pays n’ont ni démocratie, ni justice sociale, ni stabilité. La catastrophe humaine – qui se poursuit encore actuellement – dans ces deux pays est indescriptible.

L’expérience libyenne a également montré à quel point une intervention militaire peut être destructrice. Le bilan des morts en Libye au moment de l’intervention de l’OTAN était d’entre 1’000 et 2’000 (selon des estimations de l’ONU), alors que huit mois plus tard il est probablement de dix fois ce chiffre. Des estimations du nombre des morts durant les huit derniers mois – alors que l’OTAN interdisait les cessez-le-feu et les négociations – varient entre 10’000 et 50’000. Le Conseil National de Transition estime le nombre de pertes à 30’000 morts et 50’000 blessés.

Il est important de comprendre qu’une possible intervention de l’OTAN en Syrie ne protégera pas des civils, comme on l’a vu en Libye, en Irak et en Afghanistan, mais multipliera au contraire le nombre de civils tués et n’apportera que le chaos.

En plus, une intervention militaire étrangère soumettrait le pays à une occupation pendant des années. Là encore nous pouvons voir les exemples irakien et afghan, où les forces de l’OTAN sont encore installées, et en Libye, où les nouvelles autorités ont demandé aux forces de l’OTAN de rester dans le pays.

Le peuple syrien ne veut pas remplacer un régime autoritaire par une occupation étrangère.

La solution? Une mobilisation populaire permanente!

Le peuple syrien comprend de plus en plus clairement que la victoire de la révolution ne doit être recherchée à l’étranger ou avec les puissances impérialistes, à moins d’être prêt à leur obéir. Et le mouvement populaire n’est pas prêt à cela. La mobilisation permanente des masses est la seule manière de protéger la révolution et d’atteindre une victoire contre ce régime autoritaire et violent. Cela implique que tous les secteurs de la société participent au mouvement populaire et à la lutte, en rehaussant quotidiennement l’éducation politique et la conscience de chaque citoyen syrien dans la voie vers la création de la future Syrie : démocratique, sociale et anti-impérialiste. C’est ainsi que les Syriens vont renverser le régime et assurer la destinée de leur pays.

Rosa Luxemburg a bien résumé le dilemme du prolétariat dans sa lutte contre le capitalisme, qui peut par certains aspects être comparée à la lutte du peuple syrien: «Pour pouvoir renverser [le capitalisme], le prolétariat a besoin d’un niveau élevé d’éducation politique, de conscience de classe et d’organisation. Toutes ces conditions ne peuvent être remplies par des brochures et des tracts, mais uniquement par l’école politique vivante, par la lutte et dans la lutte, dans le cours permanent de la révolution.»

Cela signifie multiplier le nombre de grèves et d’actions de désobéissance civile contre les autorités illégitimes, tout en créant des centres de pouvoir alternatifs. Les Syriens doivent poursuivre et multiplier les mouvements de grève, comme nous l’avons vu au cours de ces sept mois passés, élargir leur sphère d’influence dans tout le pays et atteindre les villes de Damas et d’Alep à une beaucoup plus grande échelle.

L’histoire de la Syrie a connu des grèves massives qui ont paralysé le pays. En 1936 des Syriens ont lancé une grève générale réussie. Elle a duré deux mois et qui a coïncidé avec une vague de protestations contre les occupants français. La grève générale a touché la plupart des secteurs de l’administration, de l’éducation et du commerce. Nous pouvons également nous référer à la grève de trois jours menée par les négociants à Damas en 1965 et de nouveau en mars 1980. La mobilisation de masse n’est pas un élément ou un concept étranger dans l’histoire de la lutte des masses syriennes. Ces formes de mobilisation peuvent et doivent être répétées aujourd’hui pour pouvoir renverser le régime.

Une mobilisation permanente des masses est la manière de diffuser la révolution partout en Syrie, comme l’a indiqué Trotsky: «La révolution réveille – et c’est là que réside sa force – les masses travailleuses les plus rétrogrades, tyrannisées et opprimées. La grève est la forme que prend leur réveil. Par ce moyen, diverses couches et groupes du prolétariat se manifestent, se font des signaux, vérifient leur propre force et celle de leur adversaire. Chaque groupe étend la contagion et réveille d’autres secteurs.»

En conclusion, la révolution syrienne fait partie intégrante du processus révolutionnaire et de la dynamique des événements qui se déroulent actuellement dans le monde arabe, et ne devrait pas en être séparée. Nous luttons comme les Egyptiens, comme les Tunisiens et d’autres démocrates, socialistes et anti-impérialistes de la région. C’est la raison pour laquelle il est si important de protéger la révolution syrienne des puissances impérialistes, dont une intervention n’irait pas dans le sens souhaité par le peuple syrien. (Traduction A l’Encontre)

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