L’engagement de la France au plus haut niveau contre le régime de Bachar al-Assad suscite des interrogations discrètes, y compris parmi certains diplomates et experts de la région. «On s’est planté», disait franchement l’un d’entre eux début janvier 2012, à propos de la capacité de résistance du régime. Il reste en effet dans la haute administration de nombreux nostalgiques de l’époque où la coopération entre la France et la Syrie était pleine de promesses, notamment au plan sécuritaire, quand Claude Guéant [ministre de l’Intérieur de Sarkozy; Bachar al-Assad et Hosni Moubarak étaient au premier rang au défilé du 14 juillet 2008 sur les Champs-Elysées parisiens – réd] faisait des sauts réguliers à Damas en 2007 et 2008, ou ceux qui craignent une relève islamiste après le renversement du pouvoir. Plus direct, Jean-Marie Le Pen, accusant récemment l’Occident de vouloir «mettre au pouvoir les islamistes partout dans cette région du monde», a réjoui les médias officiels syriens. Ses propos vont droit dans le sens du message essentiel d’un régime qui se dit victime d’un «complot américano-sioniste» agissant à travers des bandes de terroristes salafistes.
«Ré-information». Cette théorie du complot contre la Syrie, bastion autoproclamé de la résistance à Israël et aux plans occidentaux dans la région est relayée en France par une galaxie improbable de mouvements. On y retrouve pêle-mêle des militants anti-impérialistes, des propalestiniens, d’autres d’extrême droite, en passant par le Réseau Voltaire de Thierry Meyssan [le spécialiste patenté de théorie du complot portée à l’extrême de l’ineptie et rassurant les béotiens incrédules qui croient ainsi pouvoir facilement «comprendre le monde» – réd.]. Certains experts et «géostratèges» diffusent les mêmes messages. Dans la droite ligne de la communication officielle syrienne, ces différents milieux s’emploient depuis des mois à dénoncer les médias arabes et occidentaux «qui enfoncent les gens dans la tromperie et la duperie» sur la «réalité» de ce qui se passe en Syrie. Une «agence de ré-information sur l’actualité en Syrie» a été spécialement créée en juin pour épingler médias et journalistes français en particulier. Son site (infosyrie.fr) a été construit par Riwal, une agence de communication parisienne, qui confirme être «en charge du développement et de la maintenance mais n’intervient en aucun cas sur le contenu ou la ligne éditoriale», selon Frédéric Chatillon, son gérant. Figure connue de l’extrême droite, cet ancien du GUD [Groupe union et défense créé en 1968 par d’ancien militant de l’extrême-droite comme Alain Robert; le GUD participera à la création d’Ordre nouveau; après divers détours il se rapprochera du FN de Le Pen en 1993 – réd.] ne serait donc qu’un «prestataire de service», selon les termes de Marine Le Pen qui l’a défendu récemment dans une interview sur France Inter.
A travers sa branche Riwal Syria, «spécialisée dans la promotion des sociétés privées et des institutions publiques syriennes en France», l’agence a mené des campagnes ces dernières années pour des sociétés syriennes réputées, tel le confiseur Ghraoui ou le ministère syrien du Tourisme. Frédéric Chatillon s’est occupé personnellement du développement syrien de sa société, grâce à ses contacts dans les milieux d’affaires proches du régime. «L’activité de Riwal en Syrie a été maintenue malgré le gel de la majeure partie de notre activité sur place. Nous attendons des jours meilleurs car nous sommes persuadés que la crise sera surmontée grâce aux réformes annoncées», explique Chatillon. Il se montre aujourd’hui peu disert sur les éventuels conseils en communication qu’il continuerait d’apporter au gouvernement de Damas. Pourtant, le 30 octobre encore, il apparaît dans une manifestation «pro-Bachar» au Panthéon filmée par [la chaîne de TV] Canal+.
Voyage de presse. Comme d’autres, Frédéric Chatillon a trouvé dans la cause du régime syrien une belle occasion de faire des affaires tout en servant ses convictions. Bien moins discrets, certains de ses amis se sont lancés activement dans les relations publiques de Bachar al-Assad, tels Alain Soral, ancien membre du comité central du Front national qui anime le mouvement Egalité et Réconciliation, Christian Bouchet, également lepéniste, ou encore le Belge Michel Collon [lié au Parti des travailleurs de Belgique et fervent partisan, fort longtemps, de Staline; dans un de ses livres, il soutenait que Saddam Hussein n’avait jamais gazé les Kurdes, mais que ce crime avait été commis par les services iraniens – réd.], «spécialiste de la désinformation» comme il se présente lui-même sur son blog. Ces militants ont participé à un voyage de presse en Syrie en août 2011, aux côtés de journalistes russes, chinois et libanais ainsi que de Thierry Meyssan. Ce dernier qui s’est fait connaître par son ouvrage l’Effroyable imposture, mettant en cause la réalité des attentats du 11 Septembre, est quasiment installé à Beyrouth. Commentateur régulier sur al-Manar, la chaine du Hezbollah [force politico-islamiste qui a trouvé ses défenseurs au nom du «front unique anti-impérialiste» parmi au moins un dit académicien enseignant à Lausanne – réd.], il est l’un propagandiste affiché de l’axe anti-impérialiste Iran-Syrie-Hezbollah. Ce genre de littérature est largement relayé par certains milieux propalestiniens antisionistes, notamment Palestine Solidarité,une plateforme d’ONG proches du Hamas dont le site renvoie en premier lieu sur celui du Centre d’information palestinien à Gaza.
Profil bas. Dans cette constellation, apparaît également Richard Labévière, ancien de RFI (Radio France Internationale), présenté comme «grand journaliste français» sur le site officiel Syria News quand il parle du «complot» auquel la Syrie est confrontée, mené par Israël et s’appuyant sur les Frères musulmans. Cet auteur d’un ouvrage au titre trompeur Quand la Syrie se réveillera [Librairie Académique Perrin] paru en janvier 2011 et faisant la promotion du pays de Bachar al-Assad, fait profil bas ces derniers temps. Il s’est rendu à Damas en décembre 2011 pour «une mission d’information et d’évaluation» menée par une ancienne ministre algérienne avec le Centre international de recherche et d’étude sur le terrorisme (Ciret), présidé par Yves Bonnet, ancien chef de la Direction de la surveillance du territoire (DST). Richard Labévière a refusé de commenter ou de répondre aux questions de Libération, après avoir été cité comme référence par une élégante sexagénaire qui, à la fin d’une conférence d’un chercheur syrien à l’Institut du Monde arabe le 10 janvier 2012, a lu un texte sur le soutien financier de la CIA aux protestataires.
Le peu d’influence, voire la contre-productivité de tous ces défenseurs qui livrent leurs témoignages, analyses et «informations alternatives» sur des sites confidentiels (reprenant souvent les mêmes articles), ne semble pas déranger leurs sponsors syriens. Ces derniers, des milieux d’affaires proches du pouvoir, sont sollicités par le régime pour contribuer bon gré mal gré à ses opérations de communication.
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Article publié dans le quotidien français Libération en page 5, le jeudi 9 février 2012.
On pourrait croire à une deuxième degré (genre : “sioniste et pro-américain malgré tout”), mais ce n’est que le re-post d’un article de L’Aberration, journal de Monsieur de Rothschild. La Brèche colporte la propagande néo-colonialiste et la désinformation atlantiste, nourrie au biberon des infos d’une seule ONG islamiste basée à Londres. Navrant.
Monsieur Ulrich Doepper: de peur des faits, établis? Pour ne pas les affronter et s’y confronter, on peut outrageusement disqualifier le contenu de l’article reproduit et son auteure, Hala Kodmani, comme représentant «une ONG islamiste basée à Londres». Il suffit de consulter le site SouriaHouria.com (Syrie Liberté)– dont Hala Kodmani est une des animatrices – ainsi que le contenu de son identification culturelle, sociale et politique pour saisir qui est frappé d’aberration. Voir à ce sujet: http://souriahouria.com/qui-sommes-nous/
On peut être d’accord ou pas avec l’orientation politique de Hala Kodmani – sœur de Bassma Kodmani, dont les liens avec des réseaux occidentaux sont connus, au même titre que son Arab Reform Initiative – mais cela ne dispense pas de comprendre des phénomènes sociaux et politiques de l’ampleur de ceux à l’œuvre en Egypte ou en Syrie; et qui sont les oppresseurs et les opprimés.
Une question pour faire exemple analogique. Qui était plus proche de la réalité des processus politiques et des affrontements sociaux en Hongrie en 1956: la Gazette de Lausanne, le Journal de Genève – donc une presse de droite libérale – ou la Voix ouvrière du Parti suisse du travail (Parti «communiste»)? Aussi bien sur la révolution hongroise que sur les massacres satliniens (des années 20-30…), malheureusement pour celles et ceux engagés dans une orientation socialiste révolutionnaire, les deux premiers journaux bourgeois traduisaient avec plus d’exactitude factuelle les conflits et les tragédies de l’époque. La seule lecture de la Voix ouvrière permet de le confirmer. La Voix ouvrière utilisait, en 1956, la même méthode de disqualification calomnieuse que Monsieur UD-UP.
Quant à la référence à Monsieur de Rothschild, elle fleure bon l’antisémitisme soft, si courant depuis longtemps en Helvétie et en terre vaudoise.
Enfin, toutes les lectrices et lecteurs de alencontre.org apprécieront la formule selon laquelle «La Brèche colporte la propagande néo-colonisaliste et de la désinformation atlantiste». Ce faisant, ils pourront mesurer, sans difficulté, la valeur du commentaire d’UD-UP et celle (politique, ici) de son auteur. Nous n’avons pas voulu le censurer. Mais son commentaire révèle une personne que la censure ne doit pas trop effrayer. Pour la suite, Monsieur UD-UP diffusera ailleurs ses «réflexions». Rédaction A l’Encontre