Par Panos Petrou
C’est un hiver dur pour une grande partie de la population grecque. La plupart des gens ne peuvent se permettre l’achat de gaz, de fioul ou d’électricité [1]. De nombreuses personnes ne parviennent pas à payer leurs factures d’électricité (32% de la population est en difficulté de paiement, selon Eurostat) et des milliers de familles ont vu l’électricité de leurs domiciles coupée en raison des impayés à la compagnie d’électricité (on dénombre 173’000 coupures d’électricité au cours de la première moitié de 2013). En conséquence, de nombreuses personnes utilisent des brasiers et des poêles à bois pour chauffer leurs maisons.
Certaines nuits froides, les fumées qui sortent des maisons recouvrent le ciel d’Athènes. Certains accidents tragiques (tels que la mort d’une jeune fille à la suite de l’inhalation de fumées d’un brasier ou à la suite d’incendies de maisons), en raison de l’utilisation de poêles de fortune utilisés dans les logements, soulignent la brutalité de la situation. En outre, selon les spécialistes, l’air que nous respirons devient extrêmement dangereux du fait de ces fumées. Ce tableau, dans une ville industrialisée d’un capitalisme développé du XXIe siècle, a autant de signification que des milliers de phrases au sujet des ravages provoqués par les mesures d’austérité sur la société grecque. A Thessalonique, la pollution (en fin décembre 2013), c’est-à-dire la concentration en particules toxiques dans l’atmosphère – dont le seuil «d’urgence» est établi à 50 mg/m3 et «le niveau d’alarme» à 150 mg/m3 – se situait à 316 mg/m3, avec les problèmes respiratoires qui en découlent et les «coûts pour la santé» induits, pour autant que les personnes atteintes disposent des ressources pour se soigner!
«Aucun pays n’a eu autant de (contre)réformes structurelles»
2013 a été une nouvelle année d’austérité et de politiques néolibérales extrêmes. Elles ont accéléré les destructions imposées depuis 2010 lorsque le gouvernement grec a signé le Mémorandum avec la «troïka» (Banque centrale européenne, Commission européenne et Fonds monétaire international).
Le gouvernement Samaras jubile sur «l’excédent primaire» (avant service de la dette) budgétaire qu’il est parvenu à dégager [2]. Il ne mentionne pas le gigantesque coût social et, y compris, les données comptables peuvent être discutées. Cela n’empêche pas Angel Gurria, le secrétaire général de l’OCDE, d’affirmer, avec une sorte de vantardise: «Aucun pays n’a fait autant de réformes structurelles que la Grèce.»
L’EOPPY (Organisation nationale pour la dispense des soins de santé), une organisation qui dispense des services sanitaires basiques à l’échelle locale, fait face à une «réforme» qui en détruira l’essence. Les médecins menaient une grève (en fournissant des soins gratuits), fin décembre, depuis des semaines. Le financement des hôpitaux est réduit de 21%, alors que déjà amputé en 2012, et, débutant cette année, les patients devront s’acquitter de 25 euros s’ils veulent être hospitalisés. Cette mesure, adoptée en 2012, s’appliquera dès le 1er janvier 2014. Le ministre de la Santé, Adonis Georgiadis, est la cible d’une vraie rage, après avoir déclaré, sur un ton de statisticien: «Selon les statistiques,les citoyens sont hospitalisés une fois tous les dix ans. Ainsi, payer 25 euros, ce n’est pas la fin du monde.» La presse et la radio rapportent de nombreux témoignages de ce type: «Je suis retraitée, je reçois 500 euros par mois, comment puis-je payer cette somme.» Y compris le PASOK (Mouvement socialiste panhellénique) s’est trouvé obligé d’émettre quelques critiques contre Georgiadis. A cela s’ajoute, l’impossibilité pour un nombre croissant de malades de suivre en traitement, car l’achat de médicaments est prohibitif, impossible.
Le financement étatique du fonds de pension publics (retraite) est réduit de 22%, cela à une époque où le chômage, l’évasion fiscale des employeurs et des années de spéculation sur les réserves de ces fonds ont conduit à l’effondrement du système de pension, ouvrant ainsi la voie à la mise en œuvre du rêve néolibéral qu’est le «système Pinochet» dans le domaine des assurances publiques.
Une vague de licenciements menace de laisser les universités sans certain personnel administratif essentiel, alors que les écoles traversent déjà une époque difficile, à la suite de la mise à pied de milliers d’enseignant·e·s. De nouvelles créations d’impôts, centrées sur la propriété immobilière, qui entend maintenir l’objectif d’un excédent [budgétaire], ciblent principalement ladite classe moyenne et ces sections de la classe laborieuse qui sont parvenues à acquérir de la propriété immobilière [une petite maison, ou un appartement] au cours de ces dernières années. Avec une majorité de 152 voix sur 300, le gouvernement de Samaras [3], coalition entre la Nouvelle Démocratie (ND) et le PASOK, a fait passer une loi qui implique – dans un délai de temps qui n’est pas encore précisé – que l’expulsion du logement deviendra une réalité. Autrement dit, pour une personne qui se trouve au chômage ou qui ne dispose que d’un revenu très bas de retraité… la possibilité d’une expulsion du logement peut se concrétiser assez vite. La loi prévoit que le propriétaire ne peut vendre son logement avant d’avoir payé ses arriérés d’impôts, impôts qui n’ont fait que croître. Des amendes sont prévues si, à une date donnée, l’arriéré n’est pas payé. Un député de la ND, Vyron Polydoras, a été expulsé du parti par Samaras pour avoir refusé cet «impôt unifié sur la propriété», un impôt qui touche aussi les agriculteurs.
Le taux officiel de chômage se situait en septembre 2013 à un niveau record de 27,4%. En octobre 2013, il se situe à hauteur de 27,8%. La hausse continue. En octobre 2013, 57,9% des jeunes de 15 à 24 ans sont au chômage. Le secteur généralement considéré le plus productif, soit la tranche d’âge des personnes entre 25 et 34 ans, est à 37,8% au chômage. En septembre 2013, sur les 1’365’406 (en octobre, le nombre est de 1’387’520) chômeurs, 71% le sont sur la longue durée (à la recherche d’un emploi sans succès pour plus d’une année) alors que 23,3% d’entre eux sont des «nouveaux chômeurs» (des personnes qui n’ont jamais eu d’emploi au cours de leur vie). La croissance des chômeurs du deuxième trimestre 2010 au même trimestre de 2013 est de 130,1% . Les chiffres de l’Institut d’études du GSEE (syndicat du secteur privé) sont plus élevés. Un examen plus détaillé de la statistique officielle révèle une réalité plus alarmante de ce qui est nommé le «marché du travail». Ainsi, le nombre de travailleuses et travailleurs à temps partiel, mais qui voudraient accroître leur temps de travail et sont disponibles pour cela (selon la définition statistique) – en vue d’obtenir un salaire permettant de survivre «un peu mieux» – a passé de 135’100 au troisième trimestre 2010 à 213’9oo au troisième trimestre 2013. Le nombre de personnes qui ne cherchent plus un emploi (par découragement), mais qui indiquent qu’elles seraient disponibles a passé de 54’900 au deuxième trimestre 2013 à 96’700 au deuxième trimestre 2013.
La Grèce a désormais le plus faible pourcentage d’employés publics au sein de la population «active» de tous les pays de l’OCDE. On dénombre 1’371’450 employé·e·s dans le secteur privé, chiffre équivalant au nombre de chômeurs. Cette situation aide les capitalistes à imposer la «loi de la jungle». Ainsi, 20% des travailleurs gagnent jusqu’à 500 euros par mois (avant déductions sociales et impôts), alors que 43% reçoivent un salaire allant jusqu’à 800 euros par mois (là aussi, avant déductions sociales et impôts). L’indice des salaires (selon l’étude de l’Office de statistique publiée le 27 décembre 2013), corrigé des variations saisonnières, pour l’ensemble des secteurs économiques, se situait à 101,5 en 2008 (troisième trimestre) et à 82,1 au troisième trimestre 2013. Dans de très nombreux secteurs, la chute des salaires dépasse 35% ; dans la fonction publique elle est estimée à 30%. En outre, une part importante de la force de travail est officiellement employée à «temps partiel», alors qu’en réalité elle travaille 8 heures voire plus, tandis qu’elle est payée pour 4 heures ou moins. Sans mentionner que recevoir ce salaire de merde chaque mois est devenu un «luxe», lorsque de nombreux salarié·e·s ont des retards de salaire atteignant parfois des mois (4 mois sont quasi «traditionnels»), mais travaillent souvent gratuitement pour garder un lien avec les maigres assurances sociales.
La prétendue «histoire à succès» du gouvernement est donc une blague amère pour la majorité de la population qui traverse ces épreuves.
Mais il s’agit même d’une blague si l’on considère les critères dominants de «sortie de la crise économique»: les prévisions de «croissance économique en 2014» du gouvernement (0,5% de «croissance» du PIB) ont été répétées toutes les années, en 2011, 2012, 2013… Et même cette année, Morgan Stanley, Moody’s, l’OCDE, les principaux conseillers économiques de la chancelière allemande Angela Merkel prédisent que 2014 sera une nouvelle année de récession en Grèce. Même l’objectif d’une dette à 124% du PIB pour 2020 est farfelu. Selon l’OCDE, la dette publique atteindra 157% du PIB en 2020. En 2013, elle se situe, officiellement, à hauteur de 174% du PIB.
Samaras va-t-il être le sacrifié de sa politique?
La même politique se poursuivra toutefois. Non parce que le gouvernement est stupide. Ni parce qu’il a «capitulé» devant le gouvernement allemand d’Angela Merkel. Elle sera poursuivie parce que pour une minuscule partie de la population, il s’agit bien d’une «histoire à succès»: les patrons font la fête (au moins ceux d’entre eux qui survivent aux «dommages collatéraux» de la guerre qu’ils entreprennent). La situation lugubre qui est décrite ici ayant trait à la situation du travail salarié permet aux patrons d’extorquer de plus en plus de plus-value de la classe laborieuse. Les entreprises qui sont cotées en bourse ont enregistré une augmentation moyenne de leur profitabilité de 152,6% (!), au cours des premiers mois de 2013. Les banques grecques qui ont été renflouées par des fonds publics et qui, ensuite, «avalèrent» quelque 10 banques pour rien avec le soutien de l’Etat (entre autres du Hellenic Financial Stability Fund), sont les championnes des profits. D’autres monopoles, tels que la compagnie d’aviation Aegean (qui absorba son principal concurrent, qui fut un temps en mains publiques, Olympic Air), enregistre aussi d’importants profits.
Alors que l’attaque concrétisée par de nouveaux impôts (une averse qui ne cesse pas) est en cours contre la classe laborieuse et la classe moyenne, de nouvelles niches fiscales sont réalisées en faveur des armateurs, la frange la plus riche de la classe dominante grecque qui est fameuse pour ne pas payer un centime d’impôt (au même titre que l’Eglise qui résiste, tout en jouant la carte de la charité). En dépit de la recherche effrénée de nouvelles sources fiscales, le gouvernement a admis que sur les 6575 compagnies offshore dénombrées en Grèce, il en a touché… 34! Lorsqu’il s’agit d’imposer les riches, le gouvernement s’est montré capable et suffisamment fort pour négocier avec succès et «camper sur ses positions» face à la Troïka qui insiste en vain depuis des mois sur le fait que les riches devraient payer quelque chose de plus.
La poursuite de cette politique provoque toutefois une sérieuse crise politique. Les deux principaux partis, qui dominèrent la politique grecque pendant des décennies, font face à un effondrement historique comme résultat de leurs politiques et en raison de l’activité du mouvement de résistance. Le PASOK (Mouvement socialiste panhellénique), autrefois puissant, a déjà souffert d’une défaite humiliante en 2012 [4]. Il se positionne actuellement en sixième ou cinquième place dans les sondages. De nombreuses personnes s’interrogent sur la possibilité de sa disparition du parlement à l’avenir [5].
Nous assistons aussi au déclin régulier du parti de droite Nouvelle Démocratie (ND) [6], le pilier «solide» de la coalition. Samaras a tenté de rassembler à ses côtés un «bloc social» afin de gagner du soutien sur une base anti-travailleurs, anti-immigré·e·s et contre la gauche. Il a tenté d’y parvenir à travers une contre-révolution idéologique contre toutes les valeurs de gauche et progressistes, par l’utilisation de la «peur du pire à venir» et des politiques autoritaires destinées à réprimer toute forme de résistance.
Cette stratégie a permis de maintenir, durant un temps, un certain degré de soutien (autour de 25%), mais elle s’est montrée un échec lorsqu’il s’est agi de galvaniser un soutien plus large, au-delà du noyau traditionnel d’électeurs conservateurs. Le nouvel élément est que, dans la dernière phase, même cette base de soutien électoral retire sa confiance de la Nouvelle Démocratie.
Une raison est manifeste: la poursuite de l’austérité, l’échec de faire face à la crise et de «stabiliser l’économie», la nouvelle vague d’impôts contre la classe moyenne éloignent même ces électeurs du parti dominant. La seconde raison est le résultat de la lutte de classe en Grèce: Samaras a échoué d’imposer des défaites écrasantes au mouvement social de résistance. Il a échoué à imposer un «silence de cimetière» à la société grecque, ce qui était une condition préalable nécessaire au succès de sa stratégie. Enfin, Samaras est également touché par les «affaires de corruption» qui explosent, et frappent aussi le PASOK.
Aube dorée en embuscade
Il faut ajouter que Samaras n’est pas parvenu à des gains électoraux [dans les sondages] suite à l’attaque contre Aube dorée, après l’assassinat de Pavlos Fyssas [voir à ce sujet l’article publié sur ce site en date du 27 novembre 2013, onglet Europe, Grèce]. La croissance en popularité des nazis s’est arrêtée, mais ils sont parvenus à conserver un soutien important dans les sondages qui se situe autour de 7% à 9%. Nous avons toujours insisté sur le fait que l’Etat n’était pas désireux d’écraser les nazis. Leurs réseaux locaux, leurs liens avec divers secteurs de l’appareil d’Etat et une partie de la classe capitaliste (par exemple les armateurs) restent intacts. Nous avons aussi affirmé que le gouvernement bourgeois était incapable d’écraser les nazis. Et c’est le cas avec le maintien du soutien à Aube dorée. Aussi longtemps que la dévastation sociale, le chômage de longue durée, la ruine des classes moyennes et la crise politique qui en résulte perdurent, le fascisme aura toujours une audience sociale désireuse d’entendre son message toxique. Maintenant que la Nouvelle Démocratie amorce un déclin régulier, s’aliénant même des franges de la classe moyenne conservatrice, nous pourrions assister au relèvement d’Aube dorée (selon certains sondages, ils atteignent à nouveau les 10%) qui se «nourrit» de la colère et du désespoir de ces couches sociales.
La bonne nouvelle est que la vague de manifestations antifascistes massives, qui impliquèrent bien plus de personnes que les «habitués» du milieu antifasciste, est parvenue à affaiblir la présence d’Aube dorée dans les rues. Aube dorée a organisé, le 30 novembre 2013, une mobilisation nationale à Athènes pour exiger la libération de son dirigeant. A la suite d’un effort énorme de sa direction, essayant de mobiliser tous ses partisans dans l’ensemble de la Grèce afin d’envoyer un «message fort», il n’y avait que 2000 personnes sur la place Syntagma (place de la Constitution à Athènes). Ils ne reçurent pas l’autorisation de défiler en raison des deux contre-manifestations qui étaient organisées le même jour dans des rues avoisinantes. Les nazis ont souffert d’une défaite similaire à Thessalonique: suite à plusieurs jours d’une campagne antifasciste massive qui culmina dans une manifestation significative, les nazis durent modifier la date prévue de leur manifestation et le lieu du rassemblement (du centre-ville à l’extérieur de leur local). Ils ne parvinrent qu’à rassembler 200 personnes démoralisées.
Les nazis restent, ainsi, en crise – au niveau de leur présence physique dans la rue, mais ils conservent une réserve importante de partisans et d’électeurs silencieux qui pourraient être à nouveau mobilisés dans les rues si la situation se modifie – à moins que la classe dominante ne décide de les promouvoir à nouveau ou que le mouvement antifasciste et la gauche échouent à accomplir sa tâche.
L’action antifasciste doit continuer à faire partie de tâches prioritaires des forces de la gauche radicale, combinées et coordonnées avec le mouvement contre l’austérité de la classe laborieuse; ce qui peut «tirer le tapis sous les pieds» des nazis.
La difficulté d’une mobilisation socio-politique centralisée et la trajectoire de Syriza
Dans le domaine de la lutte contre l’austérité, nous avons eu un sérieux manque d’affrontements aptes à occuper «le centre de la scène» socio-politique depuis un certain temps, à l’instar des grandes grèves de 48 heures, des manifestations importantes devant le parlement ou encore du «mouvement des places». Mais, au même moment, la résistance ne s’est jamais arrêtée. Qu’il s’agisse de la grève des enseignant·e·s en septembre, de la grève militante qui a duré plusieurs semaines du personnel administratif des universités cet automne, de la grève importante des médecins qui travaillent au sein de l’EOPYY au cours du mois de décembre, il y a toujours eu l’une ou l’autre action de grève significative contre les mesures d’austérité et le gouvernement.
Il s’agit là de l’arrière-fond des dernières tendances électorales. Après des mois de «batailles rapprochées» entre Syriza et la Nouvelle Démocratie [dans les sondages], le parti de la gauche radicale mène régulièrement la course dans tous les sondages, alors qu’il se trouve largement en tête lorsqu’est posée la question: «qui, selon vous, gagnera les prochaines élections?». L’absence de larges mouvements de résistance conduit à une augmentation des illusions électorales parmi une importante partie de la population. Elle dépose ses espérances dans les urnes, dans les prochaines élections et dans la possibilité d’une victoire de Syriza. Mais, en même temps, la poursuite et la permanence de plusieurs grèves sectorielles permettent de maintenir cette tendance «électorale» sur une voie radicale, de gauche. Ce qui signifie que le soutien à Syriza ne s’est pas encore transformé en un choix fondé sur le désespoir, mais qu’il conserve ses dynamiques d’espoir et «d’attente» d’un «mandat populaire» pour renverser l’austérité.
C’est dans cette situation que la classe dominante réalise que Syriza gagnant le pouvoir gouvernemental est une possibilité sérieuse qu’il doit affronter. Il choisit donc de faire monter en puissance sa vieille bonne tactique de la carotte et du bâton.
Le «bâton» est manifeste. Une attaque dans le style et le ton de la période la «guerre froide» – particulièrement marqués en Grèce étant donné son histoire – contre la gauche, jouant sur les peurs des franges conservatrices de la population. Alexis Tsipras est présenté par des médias comme un descendant de Staline. Toutefois, les attaques les plus rudes sont dirigées contre l’aile gauche de Syriza, les «hyènes néostalinistes dangereuses qui se dissimulent derrière Tsipras», pour reprendre une formule à la mode. Nous sommes familiers de cette approche depuis la période électorale de [mai-juin] 2012. Si cela devait démontrer quelque chose, c’est la peur de la classe dominante, sa crainte des forces sociales et politiques qui soutiennent la coalition Syriza. Les électeurs de Syriza, le mouvement de résistance, la base du parti, ses cadres plus radicaux sont les «hyènes» qui rendent la classe dominante inquiète face à une victoire électorale possible de Syriza.
Ce qui est nouveau, et potentiellement plus dangereux, réside dans la «carotte», une orientation qui occupe plus de place, alors que Syriza se rapproche du possible pouvoir gouvernemental. Nous avons assisté à un bombardement d’articles dans la presse dominante «flirtant» avec la possibilité d’un «gouvernement Syriza réaliste, modéré» et même essayant de dicter une telle orientation par le biais de «suggestions amicales» destinées à la direction qui devrait «affronter l’opposition radicale de gauche au sein du parti, si elle souhaite gouverner le pays».
Alors que Syriza est plus proche de la possibilité de réclamer le pouvoir gouvernemental – mais en l’absence de luttes massives, occupant le centre de la vie du pays – il y a une pression à ce qu’il devienne un parti «attrape-tout» afin d’atteindre ce but. Cette pression se manifeste dans la modération du discours de certains de ses économistes de premier plan.
Pour l’heure, les pressions visant à «modérer» l’orientation politique de Syriza proviennent principalement de la question européenne et plus spécifiquement de la campagne électorale du Parti de la gauche européenne [7], dont Tsipras est le vice-président, Pierre Laurent du PCF étant le président. Lorsque Tsipras fut proposé comme tête d’affiche de la campagne électorale, nous avons (comme membres de la Plateforme de gauche de Syriza réunissant le Courant de gauche animé par le député Lafazanis et le Red-Network, composé de DEA, Appo et Kokkino, plateforme ayant réuni quelque 30% des voix lors du Congrès de fondation de Syriza) affirmé que cela «transférerait» les politiques du Parti de la gauche européenne au sein de Syriza.
Le problème avec cela est que pour de nombreuses raisons (une importante réside dans le degré élevé des luttes en Grèce et les traits propres à la crise en Grèce), les positions de Syriza et de ses membres sont, dans les faits, bien plus radicales que celles de ses alliés de la gauche européenne. De plus, dans ses documents officiels, Syriza s’engage clairement en faveur du renversement des politiques d’austérité par tous les moyens nécessaires. Pour l’heure, cette coalition qu’est Syriza a clairement et explicitement rompu avec les stratégies et alliances de «centre gauche». Ce n’est malheureusement pas le cas de tous les partis de la gauche européenne (le Parti communiste français, une force majeure au sein du Parti de la gauche européenne, est un exemple clair de cela).
Le discours d’Alexis Tsipras au Congrès du Parti de la gauche européenne qui s’est tenu à Madrid [IVe Congrès, 13 au 13 décembre 2013] est une illustration du danger d’ajuster la ligne politique radicale de Syriza sur les politiques plus modérées de la gauche européenne: cela a impliqué une critique minimale et partielle de l’Union européenne, une approche keynésienne de questions telles que la dette publique, le secteur bancaire ou la taxation du capital résumées par l’idée d’un «New Deal européen».
Cette orientation concernant les élections européennes et ses implications sur la politique de Syriza ont été mises en question par la Plateforme de gauche lors de la dernière réunion du Comité central de Syriza. La Plateforme de gauche a voté contre la décision politique de la majorité et présenté son propre document alternatif.
Dans les mois à venir, les choix qui seront pris sur des questions telles que: les élections locales (alliances, programme, etc.); l’attitude dans les luttes (l’organisation active de la résistance au lieu de simplement annoncer son soutien à des grèves dans l’attente d’une défaite électorale de Samaras, sans s’engager dans une perspective de préparation d’une grève générale politique); l’engagement programmatique et pratique contre l’austérité – avec ce que cela implique en termes d’orientation liée non seulement à la Troïka, mais aux classes dominantes en Grèce – au moment où possibilité de Syriza de se retrouver au gouvernement est plus proche. Enfin, se pose la question du fonctionnement politique, concret du parti-coalition, par exemple la mise en œuvre de la décision d’organiser activement les Comités populaires de résistance. Cette idée reste, pour l’essentiel, sur le papier. Enfin, il s’agit de renverser la tendance à substituer un «groupe dirigeant» aux organes collectifs du parti. Tout cela sera crucial pour l’avenir de Syriza.
Une gauche dite «de gauche» au sectarisme incantatoire
Ce combat politique repose malheureusement sur les épaules de la Plateforme de gauche – et de la gauche de Syriza en général – alors que les autres forces de gauche ne quittent pas leur orientation sectaire.
Le Parti communiste (KKE) poursuit ses attaques constantes contre Syriza. Se dissimulant derrière l’argument que «nous savons déjà ce qu’est la droite», il passe souvent plus de temps à attaquer Syriza qu’à attaquer le gouvernement! Derrière «l’anticapitalisme pure» du KKE, qui continue de répéter que c’est seulement le socialisme qui résoudra les problèmes de la classe laborieuse, se trouve une attitude profondément passive et conservatrice. L’idée principale est que «jusqu’à ce que les conditions soient mûres» rien ne pourra être fait. Malheureusement, cette politique passive, ce jugement «conservateur» semble désormais prendre plus de place dans l’activité du KKE. Ainsi, dans de nombreuses situations – la grève des enseignant·e·s ou la grève du personnel administratif des Universités – ses forces syndicales ont joué un rôle négatif en mettant un terme à la grève. En ce sens, le KKE n’applique pas une stratégie «révolutionnaire», mais la stratégie staliniste de la «troisième période» [période de l’Internationale communiste stalinisée, allant de 1928 à 1934, durant laquelle, entre autres, la social-démocratie en Allemagne fut traitée par le PC de «social-fasciste» et présentée comme l’ennemi principal à abattre, ce qui impliquait aucune unité dans la lutte contre la montée du nazisme, bien au contraire] de qui a conduit à la passivité et aux défaites historiques connues.
Antarsya refuse également de s’allier avec Syriza à un niveau politique central. La critique adressée par de nombreux camarades d’Antarsya a toujours été plus fraternelle que celle en provenance du KKE. En outre, les activistes d’Antarsya ont toujours été plus désireux de s’engager dans l’unité d’action, au niveau de la base, local ou syndical. Ce qui est triste, c’est qu’il semble qu’il y ait désormais une tendance à se retirer même de telles actions unitaires dans les quartiers et les syndicats. Certains camarades d’Antarsya semblent aboutir à la conclusion que la capitulation de Syriza face à la classe dominante n’est qu’une question de temps. Ainsi, au lieu de se battre pour éviter un tel scénario – possible, comme nous l’avons indiqué – ils ne font qu’attendre sur les côtés, avertissant que «Syriza trahira la classe laborieuse». Une dénonciation propagandiste (auto-rassurante face à leur faiblesse dans la configuration politique effective) qui s’oppose à une unité d’action permettant, à la fois, de modifier concrètement l’issue de certaines luttes (même partiellement) et de changer les rapports de forces au sein même de la gauche radicale et donc de Syriza, sa principale expression politique actuellement.
2014 sera une année cruciale, pleine de potentiels pour la gauche grecque. Mais ce sera une année aussi pleine de responsabilités. Beaucoup doit être fait. La tendance à la modération et au «réalisme» peut être politiquement défaite au sein de Syriza. La tendance à la passivité sectaire doit être politiquement défaite au sein de «l’autre gauche».
L’unité dans l’action et le radicalisme peut fournir à la classe laborieuse et à la gauche en Grèce une victoire politique importante qui jettera les bases d’une nouvelle vague d’affrontements. La Grèce demeure le «maillon faible» de la «chaîne» européenne et s’il se «brise», cela engendrera une vague de choc à travers toute l’Europe. Mais les devoirs de s’opposer à l’Union européenne et de mener une lutte victorieuse contre l’offensive capitaliste ne peuvent être pleinement accomplis dans un seul pays. Cette lutte peut débuter en Grèce, qui se trouve actuellement sur la ligne de front, mais une mobilisation internationale de la classe laborieuse et de la gauche sera nécessaire si nous voulons ouvrir la voie pour une victoire de la classe laborieuse et une transformation radicale de la société vers le socialisme. (3 janvier 2014, traduction A l’Encontre. Panos Petrou est membre de DEA, Gauche ouvrière internationaliste, une des forces décisives animant, avec le Courant de gauche, la Plateforme de gauche de Syriza).
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[1] Dans la presse ou sur le Net les exemples se multiplient. Ainsi, un journaliste a dû payer 76 euros pour 25 heures de chauffage au gaz naturel. A ce tarif, s’il s’était chauffé durant 8 heures par jour durant 30 jours, la facture se serait élevée à 720 euros. Ou à 320 euros pour se chauffer de 18h à 22h, durant 30 jours. La réaction: «Je préfère me chauffer avec du bois.» (Réd. A l’Encontre)
[2] Le ministre grec des Finances, Yannis Stournaras, dans un entretien donné au quotidien Libération, le 5 décembre 2013, affirmait avec orgueil: «Nous prévoyons effectivement un léger excédent budgétaire primaire, c’est-à-dire hors charge de la dette, de 340 millions d’euros dès la fin de l’année. Et il devrait passer à 2,8 milliards en 2014. Nous sommes très proches de la sortie du tunnel.» (Rédaction A l’Encontre)
[3] Il est souvent ignoré qu’Antonis Samaras a rompu, sur la droite, avec la Nouvelle Démocratie, en créant un parti de droite extrême du nom de Printemps politique (POLAN), qui collaborait alors avec le Front national de Le Pen. Le POLAN a réuni 8% des suffrages aux élections européennes de 1994. Suite à son déclin électoral, Samaras l’a dissous et a réintégré la ND. Il est élu, à nouveau, député en 2004. (Réd. A l’Encontre)
[4] En 1993, lors des législatives, il a obtenu 46,88% des voix ; en 1996: 41,49% ; en 2000: 43,80% ; en 2004: 40,55% ; en 2007: 38,10% ; en 2009: 43,94% ; en mai 2012: 13, 18% ; le 17 juin 2012: 12, 28%. (Rédaction A l’Encontre).
[5] Les derniers sondages (pour qui voteriez-vous si vous votiez dimanche) donnent les résultats suivants: 20,0% pour la Nouvelle Démocratie (certains sondages donnent 21% à la ND). Le PASOK oscille entre 4,7% et 4,5% (or la barre des 5% doit être atteinte pour entrer au parlement). SYRIZA mène avec 21,9% (ou 21,2%). Et 39,6% des personnes interrogées pensent que SYRIZA va gagner les prochaines élections. Les néonazis d’Aube dorée oscillent entre 7,2% et 8,9%. Par contre le KKE (le PC stalinien qui fait de SYRIZA le principal ennemi) vogue entre 5% et 3,8%. La Gauche démocratique (de Fotis Kouvélis), qui n’est plus formellement dans la coalition gouvernementale, se situe à hauteur de 3,1%. (Rédaction A l’Encontre)
[6] L’évolution électorale de la Nouvelle Démocratie est la suivante lors des élections législatives: 1993: 39,30% ; 1996: 38,12% ; 2000: 42,73% ; 2004: 45,36% ; 2007: 41,84%; 2009: 33,49% ; 18,85% en mai 2012; en juin 2012: 29,66%. Le parti arrivé en tête lors des élections reçoit un bonus de 50 sièges. (Rédaction A l’Encontre)
[7] Fondé en 2004, le Parti de la gauche européenne est présidé depuis 2010 par Pierre Laurent, membre du PCF. Ses prédécesseurs furent Fausto Bertinotti (2005-2007) de Rifondazione comunista, Lothar Bisky, ancien membre du parti unique est-allemand (SED) et membre de Die Linke entre 2007 et 2010. Ses composantes les plus importantes sont: Die Linke en Allemagne; Le Parti de gauche (dont la figure est Jean-Pierre Mélanchon – qui a suspendu sa participation en décembre 2013 en raison de la réélection de P. Laurent – en désaccord concernant la présentation sur des listes communes, au premier tour des élections municipales, entre le PS et le PC à Paris) et le PCF en France qui forme l’essentiel du Front de gauche; le Bloc de gauche au Portugal qui est en déclin électoral; Izquierda Unida dans l’Etat espagnol et, enfin, Syriza (représentée par sa «majorité présidentielle», soit Tsipras). En Suisse, le Parti du Travail (POP selon les régions) – pour ses alliés locaux leur positionnement n’est pas clair – en fait partie. (Rédaction A l’Encontre)
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