Russie. Arrestations massives, brutalités policières, censure: autre facette de l’«opération spéciale»

Par OVD Info

Le site OVD Info a publié un long document (33 pages) sur la répression en Russie des actions contre la guerre. Ci-dessous la traduction du résumé publié sur le site de OVD Info.

Au cours des deux premières semaines et demie de guerre en Ukraine et de répression des actions de protestation contre elle, 14 906 personnes ont été arrêtées en Russie dans plus d’une centaine de villes. On compte au moins 170 mineurs parmi les personnes interpellées [le 2 avril, OVD Info indique que 15 392 personnes ont été arrêtées].

Au moment des arrestations, puis, ensuite, dans les locaux de la police, les agents des forces de l’ordre ont eu recours à la force: des gens ont été poussés à terre, jetés sur les trottoirs, matraqués, étouffés, frappés au ventre, frappés au visage et dans les yeux, on leur a tapé la tête contre les murs, tordu les bras et fait des clefs de bras. De nombreux témoignages en provenance de Saint-Pétersbourg font état de recours à des pistolets à impulsion électrique (taser). A 39 reprises au moins, des personnes ont dû quitter les postes de police en ambulance et être hospitalisées. Les personnes interpellées sont victimes d’actes d’intimidation et de torture de la part des policiers, elles sont accusées de haute trahison, menacées de poursuites pénales pour extrémisme et terrorisme, ou encore menacées de violences sexuelles. Dans les postes de police, on confisque les téléphones portables; on exige des prévenu·e·s qu’ils livrent la liste de ceux de leurs contacts qui sont eux aussi contre l’«opération spéciale»; sans la moindre justification légale, on relève les empreintes digitales, on photographie, on prélève des échantillons d’ADN et on soumet à des interrogatoires. Les personnes interpellées de nationalité étrangère intéressent tout particulièrement les policiers: elles sont menacées de reconduite à la frontière, soumises à des interrogatoires supplémentaires, menés parfois par des représentants du FSB.

En plus des actes de violence et de torture, les personnes arrêtées sont soumises à des conditions difficiles lors du transport vers les commissariats, puis en détention sur place: certaines personnes sont maintenues des heures durant dans des fourgons pénitentiaires non chauffés et surchargés, sans pouvoir aller aux toilettes; dans les commissariats, on ne donne pas toujours à manger et à boire, les couvertures manquent en cas de détention prolongée. Il nous a été rapporté que dans certains cas les policiers diffusaient de la musique forte, de nuit, pour empêcher les prévenus de dormir.

Les autorités s’emploient à isoler les prévenus, elles ne les laissent pas s’entretenir avec les avocats et les juristes. Outre la mise en œuvre du plan spécial de sécurité «forteresse», qui interdit les entrées et les sorties des postes de police, les autorités n’autorisent pas les avocats à voir les personnes interpellées, soit en vertu d’un obscur «ordre», soit sans même en expliquer les raisons. Les avocats et les juristes qui assistent les prévenus sont eux-mêmes soumis à des pressions et à des violences physiques.

Les arrestations massives lors des manifestations contre la guerre sont menées parallèlement aux procès des personnes interpellées lors des manifestations et de celles qui sont arrêtées après les faits grâce au système de reconnaissance faciale. Le plus souvent, ce dont on accuse les prévenus est la violation des règles d’organisation ou de participation à un événement public, le refus d’obtempérer à un ordre légitime émanant des forces de police, ainsi que le manquement aux restrictions liées au coronavirus. A la date du 11 mars, on recense au moins 7828 procédures administratives motivées par l’article 20.2 du Code sur les infractions administratives. De même, au 8 mars, on a relevé dans 15 villes au moins l’application contre des manifestants du nouvel article «Sur les actions publiques visant à discréditer le recours aux forces armées de la Fédération de Russie pour défendre les intérêts de la Fédération de Russie et de ses citoyens, et pour maintenir la paix et la sécurité internationales». Lors des procès, les affaires des personnes arrêtées lors de manifestations sont traitées à la chaîne, on relève de très nombreux vices de procédure, notamment la violation du droit à la défense, ainsi qu’une tendance très prononcée en faveur de l’accusation. Les prévenus sont condamnés à de la détention et à des amendes très lourdes.

Du point de vue formel, les arrestations massives sont motivées par le fait que les manifestations n’ont pas été déclarées. La législation de la Fédération de Russie ne prévoit pas les rassemblements spontanés, et dans certaines villes le contexte est encore aggravé par une interdiction totale des rassemblements et des piquets individuels du fait de la pandémie. Les actions de protestation revêtent pourtant un caractère pacifique, ce dont témoignent même les procédures administratives engagées contre les personnes interpellées. Les quelques cas de violence dont sont accusés certains manifestants sont isolés et ne remettent pas en cause le caractère pacifique de la protestation.

A la date du 12 mars on recensait 21 procédures pénales possiblement liées à la réaction de la population à l’«opération militaire spéciale» en Ukraine. Les protagonistes de ces affaires sont accusés d’avoir recouru à la violence contre la police, de hooliganisme, de vandalisme, de diffusion consciente de fausses informations, d’appel à des actes extrémistes. Cinq au moins de ces procédures pénales ne sont pas liées directement aux manifestations, mais elles ont été engagées pendant les manifestations, et soit elles mettent en cause des activistes, soit elles leur valent le statut de témoin. Par ailleurs, le Parquet général a déclaré que la participation à des actions «illégales» pouvait être qualifiée comme une participation à l’activité d’une organisation extrémiste.

Les parents et les proches des personnes interpellées doivent eux aussi subir des poursuites lourdes de conséquences. Ainsi, des parents de mineurs interpellés font l’objet de procès-verbaux pour manquement à leurs obligations parentales; on a relevé des cas où, suite à l’arrestation de mères d’enfants en bas âge, les enfants ont été mis en foyer le temps de la détention. Outre les poursuites administratives et pénales, on recense d’autres formes de pression sur les manifestant·e·s. On sait que des étudiant·e·s sont exclus des universités et que des personnes sont licenciées pour avoir participé à des actions de protestation et à des initiatives contre la guerre. Les personnes et les groupes qui ont signé des pétitions contre la guerre ou qui ont participé à d’autres événements reçoivent la visite de représentants des organes de sécurité, ils font l’objet de menaces par téléphone et d’agressions physiques.

Les arrestations massives et autres formes de persécution des personnes se déclarant contre l’«opération spéciale» s’accompagnent d’une gigantesque campagne menée par l’Etat pour renforcer la censure et la propagande. Au cours des deux semaines qui viennent de s’écouler des dizaines de médias et d’outils d’information ont été bloqués, de nombreux journaux ont reçu l’ordre de supprimer des articles consacrés à la guerre en Ukraine, un certain nombre de rédactions a choisi de ne pas publier sur ce thème. Les réseaux sociaux Facebook et Twitter ont également été bloqués.

Les autorités adoptent de nouvelles lois visant à établir ou à renforcer la responsabilité pour toutes les formes de diffusion d’informations indésirables. Entre autres, des peines ont été introduites contre des personnes diffusant publiquement des informations considérées comme trompeuses sur le recours aux forces armées de la Russie, des informations visant à discréditer le recours aux forces armées de la Russie, notamment par des appels à des actions publiques non déclarées, ou bien des informations appelant à mettre en œuvre des sanctions contre la Russie. Le Parquet général a également déclaré que «tout soutien financier, matériel ou technique, consultatif, ou toute aide à l’égard d’un Etat étranger, d’une organisation internationale ou étrangère ou bien de ses représentants dans une activité dirigée contre la sûreté de la Fédération de Russie» était de nature à relever de la haute trahison et pouvait valoir une peine pouvant aller jusqu’à vingt ans d’emprisonnement. Le 10 mars, les députés de la Douma d’Etat ont adopté en seconde lecture le projet de loi créant un registre unique des personnes physiques déclarées agents étrangers, dans lequel il est question d’inscrire les collaborateurs passés et présents des organisations déclarées agents étrangers.

A mesure que se renforce la pression sur les médias indépendants, la propagande prend de nouvelles proportions: des cours spéciaux sont organisés dans les écoles et les établissements d’enseignement supérieur, lors desquels on explique les raisons de l’«opération spéciale» en Ukraine; on organise des manifestations de soutien à l’armée russe; des symboles militaristes se multiplient dans les établissements publics ou proches de l’Etat. (Article publié sur le site OVD Info, traduction du russe faite par le site OVD Info)

 

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