Par François Sabado et Christine Poupin
Sarkozy a été battu. Ce résultat nous soulage et nous réjouit. Nous devons analyser le rapport de forces qu’il traduit et la situation qu’il ouvre.
Comme dans le reste de l’Europe, «les sortants ont été sortis». La social-démocratie – grecque, espagnole et portugaise – a été balayée. Ici [en France] la droite autoritaire est chassée. La crise déstabilise toute la représentation politique. La mise en œuvre de politiques d’austérité brutales ruine l’adhésion et la confiance de la population vis-à-vis des partis au pouvoir, qu’ils soient de droite, comme l’UMP en France, ou de gauche, comme les partis sociaux démocrates, en Espagne, Portugal ou en Grèce.
A l’occasion de cette élection, la gauche a connu une légère progression, mais le rapport de force droite-gauche du 1er tour de la présidentielle reste largement favorable à la droite (56 % contre 44 %). La victoire de Hollande est due à l’échec de Sarkozy plus qu’à sa dynamique propre. Plus, le Front national de Marine Le Pen a connu une poussée sans précédent. La vie politique est désormais surdéterminée par le poids de l’extrême droite. L’UMP risque l’implosion, tiraillée entre un secteur, polarisé par le parti lepeniste, et d’autres secteurs de la droite traditionnelle, qui refusent la dérive populiste ou fasciste. A la différence des élections de 1981 ou 1988, ce président de gauche a été élu sans poussée massive des votes de gauche. Il arrive au pouvoir à la faveur de la division des droites. Division confortée par l’appel de François Bayrou à voter Hollande. Au lendemain de ces élections, c’est la crise mondiale et spécifiquement européenne qui va dominer la situation économique, sociale et politique. Les agences de notation ont annoncé la couleur: il faudra encore réduire les budgets sociaux, démanteler les services publics. L’Union européenne exige la «règle d’or», en intégrant l’interdiction de tout déficit public dans la Constitution. Nous connaissons déjà les résultats de cette politique: l’Europe s’enfonce dans la récession, avec plus de chômage, moins de pouvoir d’achat, toujours moins de services publics. A l’inverse de toutes ces politiques, nous proposons de mettre au cœur du débat public un plan de mesures d’urgence anticrise. Ce bouclier social pour les classes populaires comportera une augmentation de salaire pour tous de 300 euros net, un salaire minimum de 1 700 euros, la création de centaines de milliers d’emplois publics, l’interdiction des licenciements, la réduction du temps de travail hebdomadaire à 32 heures pour combattre le chômage. François Hollande a dénoncé pendant sa campagne un ennemi sans visage: la finance. Comment résistera-t-il à la pression des marchés financiers sans s’attaquer aux banques et aux banquiers? Comment réduire la pression de la dette et de la spéculation en laissant fonctionner le secteur bancaire selon les règles néo-libérales? Sans expropriation des banques et sans leur nationalisation sous contrôle social, aucun gouvernement ne disposera des moyens pour financer une politique répondant aux besoins sociaux. Pour donner la priorité aux services publics il faut s’attaquer à la dette: organiser un audit public pour l’annulation de la dette illégitime et de ses intérêts. Une nouvelle politique fiscale, supprimant les cadeaux aux grandes fortunes et taxant les plus riches et les profits capitalistes, sera au centre de nos propositions. Mais la profondeur de la crise, son caractère global, exige non seulement de résister à l’austérité, mais de réorienter l’économie selon des besoins sociaux et écologiques, de sortir du nucléaire, de réorganiser les secteurs de l’énergie et des transports, de l’habitat, dans de vastes secteurs publics qui échappent à la logique du profit capitaliste.
Loin de prendre des décisions radicales contre la crise, Hollande s’inscrit dans les grandes orientations de l’Union Européenne, en voulant «donner du sens à la rigueur», c’est-à-dire en reprenant une politique d’austérité. «Hollandréou», cette formule illustre bien les risques d’une évolution de la situation à la grecque. Et le soutien à François Hollande de Bayrou, farouche partisan de la «règle d’or», pour déployer une politique d’union nationale n’est pas de bon augure. Face aux diktats de l’Union européenne, une première tâche s’impose: rejeter le nouveau pacte européen et, pour cela, convoquer un référendum où, une nouvelle fois, le peuple souverain dira «non» à cette Europe néo-libérale.
Austérité de droite ou austérité de gauche? Nos dirigeants n’envisagent pas d’autre alternative. Et c’est d’autant plus inquiétant que le Front national guette. Marine Le Pen l’a déjà annoncé: elle veut être l’opposition de droite. L’enjeu pour son parti? Créer les conditions en 2017, ou même avant, pour une confrontation droite-extrême droite face à la gauche, où le parti lepéniste emporterait la mise. En effet, rien ne dit qu’un gouvernement Hollande tiendra face à une accélération de la crise. C’est dans ce cadre que s’engage une course de vitesse qui accentuera la polarisation entre le Front National et la gauche radicale et anticapitaliste. Course de vitesse résumée par la situation ouverte par le résultat des élections en Grèce avec d’un côté les bons résultats de la gauche radicale, dont Syryza particulièrement, et de l’autre, la mauvaise nouvelle, l’entrée des nazis au parlement… Nous ne pouvons laisser le drapeau de l’opposition à Marine Le Pen. Nous proposons d’engager la construction d’un large mouvement unitaire de la gauche sociale et politique contre le Front national.
Nous avons avancé durant la campagne la perspective d’une opposition de gauche unitaire à un gouvernement qui appliquerait une politique d’austérité de gauche. Non par impatience mais par analyse de la politique sociale libérale en France et en Europe, et nécessité de défendre les intérêts de la majorité de la population.
Nous proposons, que se rassemblent dans les entreprises, les quartiers, les travailleurs, les jeunes et leurs organisations pour exiger «le changement, maintenant!», créer les conditions d’une mobilisation pour arracher des augmentations de salaires, bloquer les licenciements, obtenir la titularisation des précaires dans le secteur public, imposer la retraite à 60 ans. Nul doute que s’engager dans la satisfaction de ces revendications conduira à la confrontation avec les marchés financiers et les grands groupes bancaires.
Ces premières propositions s’opposent à toute politique d’austérité et à la rigueur «sauce hollandaise». Voilà pourquoi on ne saurait à la fois défendre ces mesures d’urgence et soutenir de près ou de loin un gouvernement Hollande. Les dirigeants du Front de gauche décideront de leur participation au gouvernement après les élections législatives. A cette étape, il semble qu’ils écartent une participation directe et envisagent un «soutien sans participation», vieille formule du passé déjà utilisée par le PCF. Lors des prochaines élections législatives, il faudra battre une nouvelle fois la droite et l’extrême droite, mais la seule politique claire, c’est de refuser, toute austérité qu’elle soit de droite ou de gauche. Il faudra une opposition de gauche au gouvernement. Le NPA y est prêt. Et les dirigeants du Front de gauche? Nous sommes à la croisée des chemins.
La crise du système est globale, économique bien sur mais aussi écologique et politique. Elle marque aussi un basculement du monde. Dans ces conditions, l’outil politique à construire ne peut faire l’impasse ni sur la question du productivisme, ni sur la question de l’internationalisme, ni sur celle de la démocratie réelle et de l’auto-organisation.
Pour affronter la crise, les appels à la «république», les dénonciations de la «finance», les combinaisons institutionnelles avec le social-libéralisme ne feront pas le poids. Dans une conjoncture électorale marquée par des défaites sociales, le discours du Front de gauche a pu convaincre des millions d’électeurs. Pourtant, nous pensons que ni la direction du PCF ni la rhétorique de Mélenchon ne seront à la hauteur des défis de la crise. Les projets réformistes, même de gauche, peuvent dans un premier temps rassembler les premières résistances à la crise. Il s’agit maintenant de préparer la confrontation avec les capitalistes et de rejeter l’austérité de gauche du gouvernement. L’objectif, nous ne le cachons pas: préparer un nouveau mai 68 ou un nouveau juin 1936 qui impose une transformation radicale de la société. Nous sommes prêts à marcher ensemble avec le Front de gauche et tous ceux qui s’opposeront aux politiques d’austérité, à discuter des modalités d’un bloc anti-austérité, anti Front National, d’un bloc qui soit l’opposition de gauche au gouvernement Hollande. Mais les chocs sociaux et politiques à venir exigent, plus que jamais, l’indépendance des anticapitalistes. Face aux incertitudes de la politique du Front de gauche et à son orientation «un pied de dedans, un pied dehors» vis-à-vis de la nouvelle majorité, nous proposons que se fédèrent sur des bases 100% indépendantes du PS toutes les forces et courants anticapitalistes, les forces qui ont assuré la continuité et le fil historique du courant révolutionnaire, les libertaires, les écologistes radicaux, les militant·e·s du mouvement social et syndical…
Cela suppose de construire un outil vraiment indépendant. C’est l’enjeu d’un double défi pour le NPA: la relance du regroupement des anticapitalistes et une politique unitaire anticrise, en particulier avec le Front de gauche mais, bien au-delà, avec tous ceux qui s’opposent aux politiques d’austérité.
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François Sabado, membre «historique» de la direction de la LCR et Christine Poupin, porte-parole du NPA.
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