France. Huit ex-salariés de Goodyear condamnés à 9 mois de prison: un message politique à tous les salarié·e·s qui luttent

En janvier 2014: tous les salariés de Goodyear avaient reçu l'ordre de se rendre... «à la cellule de reclassement». Aujourd'hui: huit seront «conduits en prison»
En janvier 2014: tous les salariés de Goodyear avaient
reçu l’ordre de se rendre… «à la cellule de reclassement».
Aujourd’hui: huit seront «conduits en prison»

Neuf mois de prison ferme ont été prononcés contre huit anciens salariés pour avoir «séquestré» leur patron. Du jamais vu dans ce type d’affaire.

Huit anciens salariés de l’usine Goodyear d’Amiens-Nord ont été condamnés mardi à Amiens à 24 mois de prison, dont 9 fermes pour la «séquestration» de deux cadres dirigeants. Le chef de «violences en réunion» figure également dans la condamnation de deux d’entre eux.

Cette condamnation est inédite par sa lourdeur. Malgré la baisse du nombre de conflits sociaux et de violences, les plaintes se sont multipliées ces dernières années. Aucune peine de prison ferme n’avait en revanche été prononcée jusqu’ici, les magistrats préférant généralement tenir compte du contexte social de ces événements et de la faiblesse des dommages humains et matériels.

Un procès politique

L’entreprise Goodyear avait poursuivi ses salariés pour avoir bloqué durant 30 heures le directeur des ressources humaines et le directeur de la production, entre le 6 et le 7 janvier 2014. Ils demandaient une renégociation du Plan de sauvegarde de l’emploi pour les 1143 salariés de l’usine.

L’entreprise avait en revanche retiré sa plainte avant le procès du 24 novembre, en application de l’accord de fin de conflit signé avec les syndicats fin janvier 2014. Le maintien des poursuites est donc le fait du procureur de la République, ce qui démontre le caractère politique de l’affaire. Le parquet avait requis une peine de deux ans d’emprisonnement, soit un an «ferme aménageable» et un an de sursis, lors de l’audience.

A la barre, les salariés avaient évoqué «un coup de colère» non prémédité face à une direction qui «n’apportait aucune réponse» à la «détresse sociale». Mickaël Wamen, délégué CGT qui a bataillé durant sept ans contre la fermeture de l’usine, figure parmi les personnes condamnées. Les salariés ont décidé de faire appel de cette condamnation.

Suite à la fermeture de l’usine, Goodyear a été condamnée en juin 2015 à suspendre le démantèlement de l’usine, entamé au mépris du projet de reprise partielle de l’activité des ex-salariés. L’entreprise a été condamnée à verser 50 euros à 90 plaignants.

On recense plusieurs cas similaires dans l’histoire sociale récente, mais aucune peine de prison ferme:

• En 1997, deux salariés de l’usine de chaussures Myrys ont été condamnés à deux mois de prison avec sursis pour avoir retenu deux cadres. Une peine qui n’apparaissait pas sur leur casier judiciaire.

• En 2008, la plainte déposée à l’issue de la «séquestration» des cadres de l’usine Kléber de Toul a été classée sans suite.

Le directeur des opérations européennes du groupe Sony, retenu une nuit, a renoncé à porter plainte. Le sens de la «cravate» du soldat de la cavalerie légère avant 1789. La différence avec l'artillerie de Valls-Hollande.
Le directeur des opérations européennes du groupe Sony, retenu une nuit, a renoncé à porter plainte. Le sens de la «cravate» du soldat de la cavalerie légère avant 1789.
La différence avec l’artillerie de Valls-Hollande.

• Le patron de Sony France, retenu pendant une nuit, en mars 2009, n’a pas voulu porter plainte.

• Après l’occupation de locaux de La Poste à Nanterre en mai 2010, Olivier Besancenot et 12 autres postiers avaient ainsi été condamnés à 1500 euros d’amende avant d’être finalement relaxés.

• Les Bonnets rouges poursuivis pour la destruction d’un portique écotaxe se sont vus condamnés à trois mois de prison avec sursis.

• Six ouvriers de l’usine Continental de Clairoix (Oise) avaient écopé de peines allant de trois à cinq mois de prison avec sursis pour des dégradations dans la sous-préfecture de Compiègne. Sanctions jugées symboliquement sévères à l’époque compte tenu du contexte social. Leur peine s’est transformée en dommages et intérêts de 1280 euros à l’Etat, tandis que Xavier Mathieu avait, lui, écopé de 1200 euros d’amende pour avoir refusé des prélèvements ADN. Les prud’hommes invalidaient par la suite le licenciement de 683 salariés de l’usine pour «défaut de motif économique» et non-respect des obligations de reclassement.

• En novembre 2015, quatre salariés d’Air France ont été licenciés «pour faute lourde»pour s’en être pris à deux dirigeants dans le fameux épisode de la chemise. Cinq salariés devant le tribunal correctionnel de Bobigny pour des faits de «violence en réunion»sur deux cadres et des vigiles et dix autres pour«dégradations». Ils avaient été interpellés à leur domicile au petit matin. (Politis, 12 janvier 2016)

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«Faire un exemple»

Plus de deux ans après les faits, huit anciens salariés de l’usine Goodyear à Amiens-Nord (Somme), qui avaient retenu durant 30 heures deux cadres de leur entreprise menacée de fermeture, ont été fixés sur leur sort, mardi 12 janvier. Ils ont été condamnés par le tribunal correctionnel d’Amiens à deux ans de prison, dont quinze mois de sursis assortis d’une mise à l’épreuve de cinq ans. La peine de prison ferme est aménageable.

Dénonçant une décision «injuste» et la volonté «de faire un exemple», les prévenus ont annoncé leur intention de faire appel.

Le directeur des ressources humaines ainsi que le directeur de la production avaient été retenus pendant trente heures dans les locaux de l’usine de pneumatiques que plusieurs dizaines de salariés avaient occupée, avant de les laisser partir, sans violence. Les deux hommes, ainsi que l’entreprise, avaient renoncé à leur plainte, mais le parquet avait décidé de poursuivre les anciens salariés, le procureur de la République avait requis contre eux une peine de deux ans d’emprisonnement, soit un an «ferme aménageable» et un an de sursis.

«Un coup de colère»

A la barre, tous les prévenus avaient évoqué «un coup de colère» face à une direction qui «n’apportait aucune réponse» à la «détresse sociale» dans laquelle se trouvaient les salariés de cette entreprise de 1143 salariés, fermée quelques jours après. Ils avaient aussi réfuté toute préméditation de leur geste: «Si des gens étaient préparés à une telle action, les deux cadres de Goodyear n’auraient pas donné un rendez-vous dans une salle bondée de salariés déjà très remontés», avait expliqué l’avocat des prévenus, Fiodor Rilov.

La sévérité inédite de la peine a suscité de nombreuses réactions, à commencer par celles des condamnés eux-mêmes. «Je m’y attendais, mais en même temps on trouve la décision très injuste. On va faire appel. Ça fait longtemps que la confiance en la justice est cassée…», a réagi Hassan Boukri, l’un des prévenus. Pour moi, six mois de sursis c’était déjà une catastrophe alors imaginez neuf mois ferme…», a affirmé de son côté Reynald Jurek, un autre prévenu, dénonçant une «décision purement politique»«Le gouvernement a voulu faire de nous un exemple. Et dire aux gens: Faites attention si vous vous battez pour votre boulot, regardez ce qui peut vous attendre», a-t-il encore lancé.

Mickaël Wamen, le leader syndical CGT Goodyear, aussi condamné, a appelé de son côté «l’ensemble des salariés de notre pays, tous ceux qui pensent que la justice sociale est importante à une mobilisation d’ampleur hors norme, le jour de l’appel».

Patrons et gouvernement «voyous»: «le procureur d'Amiens n'a pas décidé seul de requérir la prison»
Patrons et gouvernement «voyous»: «le procureur
d’Amiens n’a pas décidé seul de requérir la prison»

«Je ne suis pas un bandit, je n’ai rien volé. J’ai essayé de faire en sorte que les directeurs ne subissent pas d’atteinte physique de la part des 200 à 300 salariés présents qui étaient très en colère dans la salle (…). Aujourd’hui, je paie pour tous!»

Pour Fiodor Rilov, avocat des huit condamnés et de la CGT, ce jugement est «manifestement le résultat d’une opération politique».

 «Je ne crois pas un seul instant que le procureur d’Amiens ait décidé seul de requérir des peines de prison. On veut faire passer un message à ceux qui se battent contre la fermeture de leur entreprise, contre les délocalisations, pour leur emploi, leur dire ce qu’ils risquent.»

Pour l’avocat, les personnes condamnées l’ont été «du fait de leur statut de syndicalistes. On ne peut pas dissocier ce jugement du recul sans pareil des acquis sociaux décidés par le gouvernement. Et désormais, dans toutes les luttes sociales, il y aura le jugement d’Amiens en toile fond.»

De la CGT Goodyear Amiens nord à la fédération au Parti socialiste de la Somme, en passant par Jean-Luc Mélenchon et Pierre Laurent, les réactions se multipliaient à gauche pour dénoncer le jugement rendu par le tribunal d’Amiens mardi 12 janvier 2016. (Le Monde, avec AFP)

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Pétition

Adressée à François Hollande

L’APPEL DES GOODYEAR
CGT GOODYEAR AMIENS NORD

Syndicalistes et militant·e·s de gauche, manifestez votre solidarité en signant cet appel:
cliquez ici

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Goodyear Amiens, l’inacceptable vengeance

Par le NPA

Le tribunal d’Amiens vient d’annoncer la condamnation de huit ex-salariés de l’usine Goodyear, à 24 mois de prison, dont 9 mois fermes, assortie d’une possibilité d’aménagement. Six des huit accusés sont relaxés de l’accusation de violences en réunion mais tous sont déclarés coupables de séquestration.

C’est le 24 novembre dernier que s’est tenu le procès des huit salariés de Goodyear, dont cinq militants de la CGT parmi lesquels son responsable Mickaël Wamen, pour la séquestration, sans violences, de deux cadres, pendant 30 heures, dans l’usine occupée d’Amiens.

Dans les jours qui suivirent, l’usine était fermée avec près de 1150 licenciements. Sur ces 1150 salariés, plus de 750 d’entre eux n’ont toujours pas trouvé de travail. 70 personnes sont en CDI, environ 80 ont créé leur entreprise, une trentaine sont en CDD supérieur à 6 mois, une trentaine sont en intérim, il y a eu près de 140 départs en retraite et 9 décès.

En application de l’accord de fin de conflit signé avec les syndicats fin janvier 2014, Goodyear avait retiré sa plainte, tout comme les deux cadres concernés qui se sont désistés après avoir, dans un premier temps, déposé plainte à titre individuel.

C’est donc le parquet qui a poursuivi les salariés pour séquestration et violences en réunion et voies de fait pour lesquelles ils encouraient jusqu’à cinq ans de prison. Une décision donc clairement politique qui s’inscrit dans la volonté de répression du mouvement syndical, du mouvement social, engagée par le gouvernement.

Les salariés déclarent vouloir faire appel de ce jugement scandaleux. Après la mobilisation de soutien aux salariés d’Air France, voilà l’occasion d’une nouvelle étape dans la lutte contre la politique répressive du gouvernement, et à laquelle nous répondrons présent.

Montreuil, le 12 janvier 2016

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Goodyear: une condamnation révoltante

Par Lutte ouvrière

Nathalie Arthaud
Nathalie Arthaud

Huit travailleurs de Goodyear Amiens-Nord ont été condamnés mardi 12 janvier à neuf mois de prison ferme, plus quinze mois avec sursis, parce qu’ils se sont battus contre la fermeture de leur usine et ont alors retenu deux cadres pendant plusieurs heures. Ainsi, les patrons peuvent jeter à la rue, vers la misère voire vers le suicide les travailleurs, tout cela est «juste». Mais que des travailleurs relèvent la tête et ne se laissent pas faire, et c’est la menace de la prison!

Après la chemise déchirée des cadres d’Air France, le gouvernement et la justice montrent à nouveau qu’ils considèrent les ouvriers qui défendent leur emploi comme des criminels. Il n’y aurait pas eu de poursuite si le parquet, et derrière lui le gouvernement et la ministre de la Justice Taubira, avait retiré sa plainte, comme la direction de Goodyear et les deux cadres concernés eux-mêmes l’ont fait. L’acharnement dont sont victimes les ouvriers de Goodyear est à l’image de la politique du gouvernement, ignoble!

Alors, solidarité et relaxe pour les travailleurs de Goodyear!

Nathalie ARTHAUD (12 janvier 2016)

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